Amour, violence et violon
Dans le cadre du cycle du Théâtre des Humanités, organisé par le Grand T, le TU a invité le public du 5 au 7 mars 2012, à la dernière œuvre du jeune dramaturge et metteur en scène argentin Claudio Tolcachir : El viento en un violÃn. Cette pièce en espagnol, brillamment interprétée par le collectif argentin Timbre 4 fondée par Claudio lui-même, compose avec toutes les gammes le thème de la famille. Au-delà des mots, ce sont les corps des comédiens qui, comme un violon dont l’archet frotte les nerfs, crient, chantent, s’accordent ou déraillent sur leur existence qui cherche un sens. Pas de « valse mélancolique et langoureux vertige  » pour ce violent violon. Claudio a réussi la gageure de rendre des situations tragico-absurdes en scènes piquantes où mieux vaut rire que pleurer car comme l’un des personnages le dit : « La vie n’a aucun sens et ça, c’est merveilleux.  »
Quatre espaces comme les quatre cordes d’un violon, sur lesquelles les personnages marchent en équilibre. Il y a le salon de Mecha et de son fils Dario : lieu où se déroule le terrible délit qui va changer le destin des personnages ; la chambre de Mecha où règne un « désordre esthétique » à l’image de son personnage ; le bureau du thérapeute que consulte Dario, « looser » moderne qui vit au crochet de sa mère et ne parvient pas à se prendre en main ; et la maison étroite de Dora, servante de Mecha, qu’elle partage avec sa fille instable Celeste et l’amante de cette dernière Lena. Deux familles, deux mondes que tout oppose et qui vont devoir recomposer leurs liens et apprendre à redonner du sens au mot « famille ».
Quand on a que l’amour
Lena et Celeste s’aiment. Lena, écorchée vive, s’accroche à Celeste, jeune fille fragile dont la mère cache la maladie. Tantôt sœurs, âmes-sœurs et amantes, elles veulent concrétiser le fruit de leurs amours. Pour avoir un enfant, c’est le corps de Céleste qui servira de réceptacle de vie. Un soir, elles prennent en embuscade Dario. Sous la menace aiguisée de Lena, celui-ci est contraint de se donner à Celeste. Contrairement au public, elles ne savent pas encore que Dario est le fils de Mecha, qui est la patronne de la mère de Celeste. L’intrigue théâtrale est lancée. Quand le jeune homme perdu prend conscience qu’il pourrait devenir père, c’est sa vie qui, contre toute attente prend un sens. Il veut élever cet enfant. Mecha, femme ambitieuse, est aussi une mère étouffante avec son fils. Sûrement parce qu’elle l’accuse d’avoir étouffé son frère jumeau avec le cordon ombilical avant leur naissance. Comment ce fils « raté » pourrait-il envisager son avenir avec un enfant alors qu’il ne sait pas ce qu’il va faire le jour même ? Elle en est même à supplier le thérapeute de son fils de lui donner un emploi fictif qu’elle-même rémunèrera . Pourtant, Mecha va devoir assumer la décision de son fils, car malgré tous les maux dont elle le rend responsable, elle serait prête à tout pourvu qu’il soit heureux. C’est comme Dora. Cette mère courage qui s’est toujours voilée la face sur la relation ambigüe qu’entretiennent Celeste et Lena, va finir par l’accepter. Autant de sujets, encore délicats et compliqués à aborder dans la société actuelle et bien plus au sein de la famille car au sommet de tout cela, il y a l’amour. L’amour ébranlé des mères qui s’étaient projetées dans leurs enfants ; l’amour passionné des amantes qui a dépassé l’entendement ; l’amour de la vie qui est un combat où personne ne sort indemne. Tout part de l’amour et se termine par l’amour. Claudio Tolcachir raconte son œuvre ainsi : « des femmes qui s’aiment cherchant désespérément un enfant. Des mères avec leurs enfants, désespérées de leur assurer le bonheur. Des enfants désorientés, désespérés de trouver leur place. Des histoires d’êtres riches et pauvres, cherchant un sens à leur vie. Et l’amour qui sublime tout, permet tout, le meilleur comme le pire. L’amour de penser la vie sous une autre forme, et l’accepter peut-être au nom même de l’amour. »
Un exercice d’observation
Claudio ne se sert pas du théâtre pour dénoncer quelque chose. C'est avant tout une pièce d'histoires humaines que le public doit appréhender comme un exercice d'observation
La particularité de l’œuvre de Claudio est de sans cesse interroger ses personnages sur leurs propres conditions, mais aussi celles de leurs interlocuteurs pour finalement, ne jamais donner de solution. Ainsi, même le spectateur se retrouve à adopter toutes les positions des personnages et comprendre le rôle de chacun sans jamais juger. Le désir de Celeste et Lena est légitime, elles s’aiment et veulent un enfant. Mais Dario qui est génétiquement le père, a le droit de se demander où et comment va vivre l’enfant. Mecha et Dora peuvent paraître des mères indignes dans leurs mensonges, mais elles ne veulent que le bonheur de leur enfant. Même les enfants, s’ils prennent le contre-pied de leur éducation, ne veulent pas décevoir leur mère. « Le personnage est toujours renvoyé à l’autre comme un miroir qui lui laisse voir une autre vérité, car il n’y a pas de vérité unique. » explique les comédiens. Même si la pièce aborde des thèmes en prise avec l’actualité, elle ne prend aucun parti pris. On parle de l’éducation d’un enfant, de l’homosexualité, de l’utilité du psychologue dans nos sociétés, de l’évolution du rôle des parents... Aujourd’hui, ce ne sont plus des thèmes tabous en Argentine, il y a même une longueur d’avance sur l’Europe, ce qui peut expliquer le rire cathartique du public français. « On peut parler de tout en Argentine. L’homosexualité est accepté, bientôt les couples homosexuels pourront adopter. Claudio ne se sert pas du théâtre pour dénoncer quelque chose. C’est avant tout une pièce d’histoires humaines que le public doit appréhender comme un exercice d’observation. » rappelle Inda Lavalle, interprète de Lena.
Un théâtre intuitif
Il faut mettre toute son humanité pour dessiner son personnage, ne pas faire comme si
Claudio Tolcachir a ouvert Timbre 4, théâtre expérimental au cœur de Buenos Aires en 2001. « Timbre 4 est une maison. Et la maison est une école. Et l’école un théâtre. » Une porte verte pour l’école, une rouge pour la salle de spectacle avec un couloir à ciel ouvert typique des « casas chorizos » argentines. C’est là que la compagnie Timbre 4, créée en 1999 et composée d’une dizaine de personnes, à la fois comédiens et professeurs, a élu domicile. C’est là aussi que Claudio Tolcachir a écrit El viento en violín. Pour sa troisième pièce, le dramaturge est parti de six comédiens du collectif et leur a composé des personnages parfois à contre-emploi, incarnant chacun des réalités différentes. Rencontrés en bord de scène, les comédiens ont abordé leur travail avec Claudio, également metteur en scène de la pièce. La troupe se connaît bien ce qui explique la synchronisation et la bonne entente qui transparaît sur le plateau. Pour autant, chaque pièce donne lieu à un travail nouveau. En proposant toujours des personnages différents, Claudio lance le défi à ses comédiens de s’échapper de ce qu’ils connaissent déjà, d’oser aller vers l’inconnu. Même si rien n’est laissé au hasard (le texte, la musicalité, les pauses ne laissent pas de place pour l’improvisation), Lautaro Perotti, qui joue le rôle de Dario, explique qu’en tant que comédiens, leur travail d’interprétation n’est pas que mécanique. « Le travail consiste à donner vie à des personnages. Il faut mettre toute son humanité pour dessiner son personnage, ne pas faire comme si. » L’écriture et le montage de la pièce ont duré à peine six mois, mais la durée de travail de la troupe est subjective : « Claudio laisse chacun travailler à son rythme, trouver instinctivement son personnage ».
Après Le Cas de La Famille Coleman (La Omisión de La Familia Coleman) qui avait été bien accueillie par le public français, El viento en un violín n’a pas menti aux spectateurs. Quand Claudio était petit, il aimait regarder son frère jouer du violon. Il regardait toujours à l’intérieur pour comprendre comment venait le son. C’est de cette anecdote enfantine qu’est venu le titre. El viento en violín explore l’intérieur des personnages, tente d’en saisir le souffle qui a guidé leur vie et renvoie chacun de nous dans nos cordes.
Pauline Vermeulen
Crédit photos : Timbre 4
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