Le silence des mots
La mémoire enfouie d’anciens appelés portée à la scène
Comment raconter la guerre d’Algérie ? Julien Simon, auteur et acteur s’y est employé. En récoltant les témoignages d’anciens appelés du contingent, il livre sur scène leurs paroles enfouies et refoulées et reconstitue ainsi les heures sombres de notre histoire.
Un homme seul emprisonné dans une arrière-boutique remplie d’objets hétéroclites qui se veulent véritables révélateurs de mémoire. L’apparente incohérence de ses propos souligne les tourments de cet homme. On ne sait qui il est. Cassé, brisé, il livre les paroles d’appelés du contingent, qui ont participés à la guerre d’Algérie, lorsqu’elle était encore département français. La guerre d’Algérie était alors considérée par l’état français comme des « opérations de maintien de l’ordre ». L’armée n’a jamais vraiment voulu admettre les exactions commises envers le peuple algérien. Les femmes, les enfants et les hommes ont souffert. En silence.
Ce sont les souvenirs enfouis que nous livre sur scène, Julien Simon. Ce travail sur la mémoire est un assemblage polyphonique constitué de témoignages dits par le comédien, d’actualités et musiques de la métropole, de faits divers, de commentaires sportifs et de photographies qui « recompose modestement une mémoire ». Julien Simon, auteur, a récolté toute cette matière. « C’est une mosaïque d’éléments de divers registres : politique, sportif... qui recompose modestement une mémoire. J’ai également consulté des textes d’archives, des microfilms... Puis je me suis mis à rencontrer des personnes que je connaissais pour leur demander de me conter leur histoire. Ce fut un travail difficile. Je m’interrogeais sur ma légitimité. Il n’a pas été facile de recueillir leur propos. Au début, il y avait beaucoup de silence, puis progressivement la parole s’est libérée mais pas totalement. J’ai enregistré leur parole comme un témoin effacé et j’essaie de la restituer tout en prenant en compte les non dits. Mon propos a été ensuite de recoudre ses éléments. » A la manière d’un journaliste, Julien Simon livre la brutalité des faits et laisse le propos au témoin avec l’utilisation de la formule syntaxique « qu’il dit ».
Le langage et la parole retrouvée
« Un drôle de silence » est un travail théâtral sur le langage et la parole retrouvée dont le besoin s’est fait sentir pour Julien Simon au fil des ans : « C’est un travail personnel. Je suis né en 1952 et à cette époque tout ce qui n’était pas dit, on le vivait. Puis j’ai été marqué, très jeune, par un texte sur Auschwitz. J’ai commencé à collecter des textes sur la guerre d’Algérie avant de recueillir les témoignages d’anciens appelés ».
La mise en scène conçue par Christophe Rouxel, avec ses multiples objets comme un poste à transistor qui crachote les commentaires d’un match de box, les actualités de la métropole, ou encore un projecteur à diapo montrant les bidasses dans un camp en plein djebel, permet de révéler progressivement les fragments de mémoire. Ainsi se recompose avec exactitude les exactions commises en Algérie par les appelés, mais également les choses de la vie quotidienne, les paroles des victimes... « Le texte très désarticulé, mais en résonance, doit être livrer sur le plateau. L’acteur est dans une machine de la remontée de la mémoire et il est pressé par le dispositif scénique et l’éclairage, il m’a fallu continuer le jeu de l’auteur, le compléter », souligne Christophe Rouxel. Le pari est réussi et ces petits bouts de récits juxtaposés forment une histoire vécue par tous les soldats, tous les anciens d’Algérie. Notre histoire.
Une possible réconciliation ?
Julien Simon a entrepris un devoir de mémoire salutaire. Nombre de personnes suite à la création d’ « Un Drôle de Silence », ont avoué qu’ « il y avait longtemps que l’on attendait cela ! ». La représentation de ces vies a eu un impact psychologique bénéfique. Il est vrai que la parole se libère depuis peu, en entraînant aussi nombre de polémiques sur une histoire douloureuse. Cependant ces paroles d’appelés se veulent un message d’espoir. Julien Simon pense qu’ « un travail de part et d’autre de la Méditerranée doit se faire et il commence ». Certes mais la loi du 23 février prise par le Parlement français "glorifiant le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord" entache les relations avec nos amis algériens. Puis cette loi "portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés" prévoit que les programmes scolaires français "reconnaissent (...) et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit". Le travail de réconciliation sera peut-être plus long qu’on ne le pense.
Pascal Couffin
Bloc-Notes
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