DEBAT CULTURE
Moi, citoyen lambda, auteur d’une œuvre collective ?
Depuis quelques années fleurissent les créations artistiques qui impliquent la participation de personnes lambdas, de citoyens artistes le temps d’un projet. S’agit-il d’une tendance ou d’une nouvelle pratique culturelle porteuse de sens ?
Culture partagée, création interactive, action culturelle, démarche artistique vers les habitants (…), une terminologie fourre-tout qu’il est essentiel d’éclairer. Globalement l’idée est plutôt simple : associer les citoyens à des projets artistiques. Cependant elle pose beaucoup de questions. Zoom sur le flashmob.
Mobilisation « éclair » : le flasmob comme moyen d’appropriation de l’espace public
Il s’agit d’une mobilisation éclaire où des personnes se regroupent dans un espace public pour y effectuer une action décalée, puis se dispersent aussi vite qu’elles se sont regroupées. Le flashmob émerge avec l’avènement d’Internet. Encore peu pratiqué en France dans les années 2000, on assiste désormais à une multiplication de flasmobs, impossible aujourd’hui d’ignorer cette pratique que les collectivités se sont même appropriées. La flashmob c’est surtout une initiative individuelle mystérieuse à l’effet domino. Difficile de connaître l’instigateur, l’action reste inconnue jusqu’au signal, méconnu lui aussi. Ce manque d’informations créé une effervescence collective, chacun participe à une expérience commune inédite. Le citoyen devient alors créateur d’un moment loufoque, artistique ou non, qui arrête le quotidien des usagers de la place publique. Par cette initiative, il s’approprie son territoire en lui donnant un autre sens. La spontanéité de l’action est primordiale, c’est elle qui alimente le flashmob car elle est souvent impossible sur l’espace public. Le flashmob c’est cool. Sauf que depuis quelques temps il est mort. Enfin dénaturé. L’initiative publique a pris le dessus : désormais le flashmob s’organise. Souvent à l’initiative de professionnels, associations ou collectivités, des chorégraphies exigeantes sont mises en places pour animer l’espace publique. Un événement citadin devient prétexte au flasmob qui n’a plus rien de spontané. Le flashmob devrait changer de nom, il n’a plus rien de flash.
Le {flashmob} devrait changer de nom, il n'a plus rien de flash
La création partagée comme évolution logique du monde de la culture
S’il n’est plus « éclair », le flashmob a le mérite de rendre visible la question de la place du citoyen dans la performance artistique. Depuis quelques années émerge l’envie chez les citoyens de s’impliquer directement dans les pratiques artistiques, autrement qu’en tenant un rôle de spectateur. La création partagée débarque et vient faire et défaire les schémas artistiques classiques. Philippe Henry [1] évoque l’originalité de la création partagée où « des non professionnels de l’art sont amenés à participer, avec leurs propres singularités, à des canevas d’action initialement conçus et pour partie déjà composés par des artistes professionnels. » [2]. La création partagée questionne donc la démocratie culturelle. En venant questionner les domaines sociologique, géographique et politique entre autres, la création partagée vient renouveler le milieu artistique. La réalisation d’œuvres avec des citoyens, ces « non-professionnels », interroge les professionnels de l’art sur leurs pratiques. L’artiste doit ouvrir son champ d’action, et saisir des enjeux globaux. Pour cela il s’entoure de partenaires compétents : associations de quartier (maîtrise du territoire, connaissance du public) et institutionnels (soutien financier, suivi de projets). La création partagée ce sont « des projets « faits sur mesure », en relation directe avec les caractéristiques culturelles des personnes qui y participent, mais aussi avec les traits sociologiques et morphologiques d’un territoire donné, d’un quartier par exemple. » A la différence de l’action culturelle qui vise à accompagner le public autour d’une œuvre, la création partagée est bien un projet participatif qui prend en compte la singularité de ses acteurs. Investie à l’échelle d’un territoire comme le souligne Philippe Henry, elle doit prendre en compte une série de facteurs et s’inscrit souvent dans une démarche de longue durée. Les pouvoirs publics ont saisi l’intérêt géo-socioculturel d’impliquer les habitants d’un quartier dans une démarche de création artistique. En effet l’intérêt est au moins triple : les habitants s’approprient leur territoire et l’animent, la création partagée créé du lien social et elle permet un accès participatif à la culture. Chaque habitant est porteur de ressources et de connaissances qui font de lui un acteur clef de la cité.
Un exemple de création partagée : le projet ZAP de l’association Lolab
Nantes a créé le dispositif L’Art en Partage, tourné vers les populations en fragilité sociale ou du moins « la population la plus éloignée des institutions culturelles ». Ce dispositif a vu son budget presque tripler entre 2009 et 2011, passant de 74 500€ à 200 000€. C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet ZAP de l’association Lolab. Cette association œuvre dans le multimédia et les arts numériques, elle « développe des projets artistiques interdisciplinaires basés sur des principes d’interactivités entre publics et artistes. ». ZAP (Zone Active de Publication) est « un média culturel participatif et citoyen ». L’idée : recueillir les petites annonces des habitants du quartier et les diffuser sous formes d’œuvres sonores et graphiques dans le quartier du Breil. Quentin Faucompré et Wilfried Nail sont les deux artistes qui se sont réappropriés les annonces des habitants et acteurs locaux pour construire un média utile et inédit. Actuellement en phase d’expérimentation, ZAP est bien un projet artistique ouvert vers la place publique. Les habitants ont pu s’approprier le projet à travers une phase de récolte de données. Pour José Cerclet, coordinateur de Lolab, « l’œuvre finale est le processus qui a permis la création artistique ». Car il s’agit bien d’art et non d’action culturelle. Certes les habitants du quartier sont éveillés aux pratiques d’art contemporain, mais ils sont pleinement acteurs et construisent avec les artistes une œuvre collective porteuse de sens : « on peut avoir une exigence artistique et technique dans ces projets ». En effet le résultat est concluant. Les vidéos au graphisme volontairement enfantin sont efficaces : elles assurent une bonne compréhension de chaque annonce en apportant une plus-value souvent décalée. Ces projections géantes investissent les façades des immeubles à la tombée du jour. A l’heure précoce de l’hiver, elles apportent une belle poésie au milieu des immeubles. Les habitants peuvent aussi entendre des installations sonores originales qui les projettent dans un univers presque onirique.
ZAP Ecart by lolab ZAP ECOS by lolabL'œuvre est intelligente car plurielle donc accessible à tous
Après une journée de travail, chacun peut ainsi prendre les nouvelles du quartier en rentrant chez soi, un peu comme s’il s’arrêtait de discuter avec le commerçant du coin ou s’il lisait le journal local bien installé dans son fauteuil. L’œuvre est intelligente car plurielle donc accessible à tous. Elle s’impose comme un nouveau service indispensable à la vie du quartier. Le projet ZAP saisit donc les données actuelles et invente un nouvel espace de citoyenneté dans un cadre culturel, faisant de cette création partagée une œuvre porteuse de sens.
La culture est un processus, l’art un mouvement qui doivent continuellement s’adapter aux nouvelles données sociétales. Plus qu’une tendance, l’implication des citoyens dans des projets artistiques est un réel besoin. La création partagée fait indéniablement partie du paysage culturel actuel, la question est de savoir si elle sera l’unique forme artistique de demain.
Texte et photos : Annabelle Durand
[1] Chercheur, sociologue et maître de conférence au Département théâtre de l’université de Paris 8-Saint Denis.
[2] P. Henry, Démarches artistiques partagées #1 : des processus culturels plus démocratiques, décembre 2011, artfactories.net
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