
DEBAT CULTURE
Plongée dans l’underground nantais : d’irréductibles gaulois en lutte contre la culture mainstream
14 Janvier 2011. Funeste anniversaire, celui de la fermeture du Fouloir. Alors que l’un des derniers lieux alternatifs de Nantes a disparu depuis bientôt un an, il nous a paru bon d’établir un état des lieux de ce qui peut représenter l’underground à Nantes.
L’alternatif à Nantes, c’est avant tout deux lieux phares, auto-gérés, pratiquant le prix libre comme une revendication politique : les Ateliers de Bitche et le Fouloir. C’est aussi un « terme piégeux » dixit une fille du Collectif Kran, (les premiers à participer aux Ateliers de Bitche), et “galvaudé, qui ne veut plus dire grand chose” selon Etienne des Loubards Pédés, créateurs du Fouloir. Après une telle levée de boucliers, tentons d’abord de définir ce terme.
Underground, ça veut dire quoi ?
L'underground se construit toujours en opposition à quelque chose, en résistance à une culture marchande calibrée pour plaire au plus grand nombre, contre le mainstream
Comme toute définition est, par essence, restrictive, il est bon de s’adosser à des références. Jean François Bizot, (mort en 2007), était une référence majeure de l’underground en France. C’est d’abord le créateur d’Actuel, magazine phare de la contre-culture et de Radio Nova. Il a aussi écrit deux livres sur le sujet : Underground. L’Histoire, puis Free Press : la Contre-culture vue par la presse Underground.
Selon Bizot, être underground c’est “savoir faire un pas de coté, se risquer à faire ce que l’époque ne prend pas en compte”. Quand il pose la question, en 1990, à Gilbert Shelton, membre des Freak Brothers, celui-ci définit l’underground en référence à la Résistance française (french Underground). Et, en effet, l’underground se construit toujours en opposition à quelque chose, en résistance à une culture marchande calibrée pour plaire au plus grand nombre, contre le mainstream.
Les Ateliers de Bitche, une histoire collective
Au départ, une ancienne imprimerie est prêtée par la mairie pour 3 ans à une association de quartier, le 36. En septembre 2008, le 36 est relogé, et Rémy Thorain, artiste peintre, va demander les clés à la mairie pour faire des grands formats.
Bitche c'est déjà un lieu occupé, auto-géré par tous ces collectifs, qui provient d'une nécessité : avoir des ateliers indépendants
Il fera bientôt partie du Collectif Kran, formé autour de trois artistes peintres, d’une comédienne et d’un sympathisant. Un collectif qui va investir le lieu pour en faire un atelier de travail et d’expérimentations artistiques. Très vite, ils sont rejoints par d’autres collectifs comme PAN (sérigraphie), le Théâtre Amok, Cable# (expérimentation sonores), les Folles (théâtre de marionnettes), et bien d’autres aux noms les plus étranges. Bitche, c’est déjà un « lieu occupé », auto-géré par tous ces collectifs, qui provient d’une nécessité : avoir des ateliers de travail indépendants. A partir de là, Bitche devient rapidement plus qu’un atelier : une salle d’exposition et de spectacle, et même un lieu de vie (avec une cuisine et des matelas à l’étage).
A notre arrivée, on tombe en pleine expérimentation sonore, un truc carrément détonnant qui dure trois heures et demie. Une des membres du collectif Kran refuse d’abord de se reconnaître comme underground, avant d’admettre que la définition de Bizot correspond bien au lieu. Il est complexe d’en apprendre plus sur les Ateliers de Bitche. Toute expression dans les médias doit premièrement avoir l’accord de tout le collectif, ce qui s’avère quasi impossible. Bitche revêt un aspect de « grand bazar libertaire ». C’est un lieu presque inconnu du grand public, aux spectacles parfois peu accessibles, mais c’est aussi “peut-être le dernier lieu à fonctionner en dehors des institutions” d’après l’un des fondateurs de Kran.
Les Loubards Pédés, le combat permanent
"L'idée, c'est de responsabiliser les gens, on ne vient pas consommer un concert, on vient faire partie d'un mouvement"
Les Loubards Pédés, créateurs du Fouloir, parlent du prix libre, de leur démarche politique et aussi de leur opposition à une culture commerciale. Au travers de leur discours, émergent finalement des conclusions et un bilan de l’Underground à Nantes. Un combat permanent pour l’indépendance et un paradoxe : ouverts ou fermés à l’extérieur ? On s’attendait à des punks à chiens, des motards tatoués de toute part ; on se retrouve en face d’un duo plutôt sympa, Mélissa et Etienne. Le cuir qu’ils portent nous les désignent quand même comme étant "Loubards". Ils nous reçoivent d’abord au Bistrot de Monsieur Jules, où les Loubards organisent souvent des concerts depuis la fermeture du Fouloir, puis dans un PMU pour faire l’interview au calme.
Résumer une interview d’une heure en quelques lignes est un exercice complexe mais pour faire clair, les Loubards Pédés c’est au départ un noyau dur de quatre potes, vite rejoint par des bénévoles à l’esprit libre et rebelle. A la recherche d’une culture différente, ils se réunissent autour du Fouloir, « un lieu complètement à l’abandon ».
Au départ, le but était surtout de « faire vivre un lieu de manière alternative » pour organiser des concerts mais aussi « des soirées cinéma, des spectacles de danse, de théâtre et des débats ». Jusqu’à sa fermeture le 14 janvier 2011. « Début novembre 2010, on a reçu une lettre sans enveloppe, en vrac, devant la porte qui disait que nous étions expulsables sous huitaine. » Quand on évoque le terme underground, les Loubards préfèrent parler d’une « démarche pas souterraine mais, une démarche différente axée sur l’idée du partage et la proximité ». Leur idéal : sortir d’une démarche purement commerciale. Ainsi la pratique du prix libre les différencie et leur aurait permis de faire venir Lydia Lunch, icône de l’underground : « l’idée, c’est de responsabiliser les gens, on ne vient pas consommer un concert, on vient faire partie d’un mouvement ». Au delà d’une idée noble, « la culture alternative accessible à tous » , les Loubards critiquent surtout le fait que « la culture soit devenue un enjeu politique ». Ils défendent avec force l’idée de leur indépendance, du refus des subventions, « ce pouvoir politique indirect de donner de l’argent, ça a cassé toute une dynamique alternative. ». Leur but majeur reste de diffuser leur démarche culturelle de manière totalement indépendante, ce qui peut sembler paradoxal. Comment diffuser ses idées en conservant son indépendance vis à vis des institutions ? La question peut se poser.
Le coté underground subsiste avec une certaine fermeture au monde extérieur, réservé à un public d'initiés, et persiste une réelle méfiance vis à vis des médias
Quelle situation pour l’Underground à Nantes ?
A priori, l’underground n’existe plus dans sa forme première. Les acteurs rencontrés préfèrent se définir comme « alternatifs » et « indépendants ». Si Bitche, lieu réservé à l’origine aux artistes ne se veut pas forcément accessible, les Loubards Pédés semblent afficher une plus large ouverture : « on est ouvert à tout le monde, le prix libre nous rend accessible ». De fait, le coté underground subsiste avec une certaine fermeture au monde extérieur, réservé à un public d’initiés et persiste une réelle méfiance vis à vis des médias : Bitche nous a proposé un communiqué de presse, les Loubards refusent d’être pris en photo et tous sont très critiques envers les médias installés.
Marie-Laure Viaud donne des pistes pour comprendre cette méfiance. Docteur en sciences de l’éducation, elle a travaillé sur les établissements scolaires auto-gérés, comme le lycée expérimental de Saint-Nazaire. Elle parle du complexe d’Astérix : dans le célèbre village gaulois, tout le monde se tape dessus, mais dès qu’ils sont menacés de l’extérieur, ils font front comme un seul homme. L’underground, c’est pareil. Si les désaccords donnent parfois le sentiment d’être au milieu d’un gros panier de crabes, dès qu’il s’agit de l’extérieur, les collectifs présentent un visage uni.
Un milieu pas aussi idéal qu’il tente de l’être, où demeurent conflits et désaccords. C’est aussi un chaudron d’initiatives alternatives avec une démarche différente, qui sort de la marchandisation culturelle. Malheureusement, le dernier établissement vraiment alternatif, les Ateliers de Bitche, reste sous le joug du provisoire, ce qui rappelle la fermeture du Fouloir. Les institutions n’ont de cesse de vouloir contrôler ou même fermer ces lieux underground, et ceux-ci mènent donc un combat perpétuel pour garder leur indépendance et leur coté underground. Etienne des Loubards Pédés le résume bien : « Il faut comprendre tout l’intérêt de continuer à se battre pour rester indépendant. Il y a des idées derrière, qui ne vont pas avec ce que la norme attend. Voilà. C’est ça notre combat. »
Pierre Magnien
Photos : Olivier Decré
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