FOCUS
L’étranger comme variable d’ajustement économique et politique
Alors que le Ministre de l’intérieur estime qu’il y a trop d’étrangers en France, [1] le Centre Interculturel de Documentation a tenu un colloque autour de la question « y a-t-il trop d’étrangers sur terre ?  ». Les connaissances apportées par les travaux scientifiques viennent démystifier les idées reçues sur l’immigration. Les chiffres parlent une toute autre langue que les discours ambiants.
« L ’Europe et la France ont besoin d’augmenter leur « stocks » d’immigrés ». En période de crise, les discours contre les étrangers et les replis identitaires sont des pathologies récurrentes. L’étude des tendances migratoires vient ramollir le durcissement des discours politiques sur l’immigration. L’économiste Mariya Aleksynska, du Centre Études et Perspectives de Paris, constate que la survie de nos sociétés européennes passe par l’ouverture à l’autre. Nos populations vieillissent et même, diminuent, « 150 centenaires en 1950, 150 000 en 2050 ». Elle le confirme, il faut alimenter notre « stock » d’immigrés pour financer nos retraites et faire tourner les rouages de l’économie. La France n’a pas assez d’étrangers. Son besoin est estimé à 16% en plus, pour maintenir son équilibre démographique et budgétaire dans les années à venir.
« Un phénomène modeste, les migrations concernent 3% de la population mondiale ». Les chiffres des mouvements migratoires contredisent le cliché de l’immigration comme problème majeur. Les personnes qui quittent leur pays d’origine pour s’installer dans un autre représentent que 3% des individus sur terre (Nations Unies). Et l’Europe n’est plus la destination rêvée. Plus de 60% des mouvements migratoires s’effectuent entre pays du « Sud » [2]. Les premiers pays d’accueil sont les États du Golfe, avec 35% de population immigrée contre 7% pour la France. « Les migrations internationales se régionalisent de plus en plus. D’ailleurs, ce ne sont pas les plus pauvres qui migrent », précise Catherine de Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS (Centre National de Recherches Scientifiques).
La devinette, savoir qui est l’étranger ?
Pour ne plus être étranger, on doit s’assimiler à qui exactement ?
« Auprès de qui faut-il s’assimiler, le breton ou le corse ? ». L’enquête de l’indice de similitude->] de Mariya Aleksynka cherche à évaluer l’assimilation des immigrés installés en Europe. Cette étude, menée entre 2002 et 2009, compare des questions d’ordre économique, culturelle ou civique entre personnes natives et d’origine immigrée. « S’il est facile de deviner qui est immigré ou autochtone, c’est que l’assimilation est un échec ». Les résultats sont surprenants. Les populations immigrées sont indiscernables des européens d’un point de vue économique. Les indices culturels ou civiques montrent davantage de différences. L’économiste montre la perplexité de l’évaluation culturelle, ne sachant pas sur quel modèle scientifique se baser. Pour ne plus être étranger, on doit s’assimiler à qui exactement ? « Il n’y a pas de modèle moyen pour l’intégration de l’étranger ». Cet outil montre bien les limites de l’assimilation culturelle.
« Les mots sont des outils ». L’étranger n’est pas en trop, le problème peut alors se trouver dans l’analyse des mots. Il faut savoir de qui l’on parle. L’étranger. Le terme engage une zone de flou pouvant servir les discours ambiants. Il renvoie autant à l’autre, au sans papier, l’immigré, au migrant. Mais aussi aux « issus de », deuxième, troisième, ou encore quatrième génération. Nés en France. « L’étranger est une réalité construite socialement » tranche Abdellatif Chaouite, ethno-psychologue [3]. Les représentations véhiculées ont comme fonction de situer l’immigré par rapport à la société. Ni vraiment dedans, ni vraiment dehors. Ces discours projettent une idée de l’immigré comme variable d’ajustement économique et politique. La façon dont il est traité dans le débat publique s’ajuste et varie selon la mélodie de notre société. Cette relation imaginaire, M. Chaouite distingue quatre grandes phases depuis soixante-dix ans. En dehors, à la marge, intégré, puis rejeté.
L’étranger, la mécanique invisible des Trente Glorieuses
La France est comme une mobylette
« Pendant cette phase, l’immigré est un bras de la machine industrielle sans faire partie de la société ». De la fin de la deuxième guerre mondiale aux années soixante-dix, le registre pour décrire l’étranger relève de « l’utile » et du « provisoire ». Non reconnu socialement, il sert à combler le besoin de main d’œuvre. Pour la reconstruction du pays certes, mais aussi pour alimenter la prospérité économique des « Trente Glorieuses ». Pour le loger, les habitats à loyers modérés (HLM) poussent comme des champignons. Donnant naissance aux quartiers populaires. Eux aussi, sont conçus de façon utile, provisoire. Dormir et travailler. Un membre utile de la mécanique économique mais pas de la société.
« On a voulu des travailleurs, on a eu des gens ». Arrivent les chocs pétroliers de 1971 et 1973. C’est sur fond de crise économique et de chômage que l’on ferme les frontières à l’immigration. « Une nouvelle réalité sociale émerge, les populations présentes sur le territoire s’installent dans le paysage social et national. Ils sont là, mais pas vraiment là ». De nouveaux acteurs, les « issus de », apparaissent en marge de la société avec les premières marches pour l’égalité des droits. Leurs appels à une reconnaissance sociale percent la sphère publique avec des slogans percutants, « La France est comme une mobylette, il faut du mélange pour la faire avancer ». « J’y suis, j’y reste ». Un nouveau discours surgit pour savoir comment les « intégrer » dans la société. Ce registre reflète un modèle de pensée qui sous-entend que le problème vient de l’autre, de sa différence. Qu’il doit effacer pour rentrer dans la société dite « normale ». Un modèle ethnocentriste (quand la culture et les normes de sa société dominent toutes les autres), qui donne naissance à des expressions hasardeuses comme « handicap culturel ».
« On ne parle pas encore de discrimination, cette bombe explose dans les années quatre-vingt dix ». On prend conscience des limites du modèle avec les « refoulés du système d’intégration » et le problème récurrent des quartiers lié au chômage ainsi qu’à la montée de la délinquance. L’obstacle qui bloque l’intégration n’est plus vraiment identifié. Il apparaît cependant évident que quelque chose dans le fonctionnement de la société ne marche pas.
L’étranger, une variable d’ajustement politique
« Le débat de la discrimination intégré, apparaît la figure du demandeur d’asile. Cela prépare le terrain aux discours de l’immigration choisie et subie ». A l’aube du nouveau millénaire, c’est de nouveau comme illégitime que l’immigré est représenté à travers les discours. La chute du bloc soviétique, la multiplication des conflits dans le monde augmente le flux des demandes d’asile. Et ravive la méfiance de l’Europe contre la figure de l’étranger. En France, il devient un symptôme, que la société ne doit pas « subir », mais « choisir » selon ses besoins économiques et politiques. Expulsé si le seuil de tolérance du corps social est atteint. De nouveau utile et provisoire, comme dans les années cinquante. En 2007, un nouveau ministère surgit pour gérer l’immigration, en étant garant d’une « identité nationale », tranchant symboliquement étranger-non étranger. « Les immigrés sont discriminés à partir de leur être même. Ces discours formatent la façon de penser, ils persuadent encore que c’est la différence de l’autre qui est le problème ». Abdellatif Chaouite voit dans les discours des dernières années, une répétition de le relation imaginaire que notre société entretient avec l’immigré. Elle le rejette. Faute de l’assimiler. Mais surtout faute d’inventer un nouveau discours engageant un vivre-ensemble. En attendant, le site participatif chargé de faire le débat sur l’identité nationale a fermé, après avoir fait scandale.
Reste la course aux chiffres. Les reconduites à la frontière menées par le gouvernement français sous-entendent une certaine rentabilité dans l’expulsion des étrangers. Cependant, le Sénat a estimé en 2009, que « le coût global des reconduites à la frontière serait de l’ordre de 415, 2 millions d’euros, environ 20 970 euros par personne reconduite ». Claude Guéant veut dépasser les 30 000 reconduites à la frontière en 2012.
Geneviève Brillet
Crédits photos Photographie d’une enfant portugaise. Bidonville de Saint Denis, 1969. Source Gérald Bloncourt Destruction du dernier bidonville de Saint Denis dans les années 1960 -1970. Source Korliakov Andreï Immigrés sur une chaîne de montage aux usines Renault, 1975. Source Berretty / Rapho
[1] Déclaration de Claude Guéant, dimanche 27 novembre en amont de la convention de l’UMP sur la sécurité
[2] On appelle les pays du « Sud » les pays dit pauvres, généralement situés dans la partie sud du monde. Par opposition on appelle les pays du « Nord » les pays riches
[3] Abdellatif Chaouite est également rédacteur en chef de la revue Ecarts d’identité
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