
DEBAT CULTURE
Un militant en terrain neutre
Rencontre avec Narley Moise, directeur du TNT
Intégré dans la politique culturelle des petits lieux menée par la ville de Nantes, le TNT, salle de spectacle du centre-ville, propose une programmation riche et variée : théâtre, musique, chanson, humour, spectacles pour enfants, il y en a pour tous les goà »ts. Mais que se cache réellement derrière cette diversité ? Témoignage de Narley Moise, le directeur, en direct des coulisses...
En tant qu’association, le TNT œuvre pour une mission bien particulière : démystifier le théâtre, cette discipline trop souvent jugée élitiste, au même titre que la musique classique ou que la danse contemporaine. La première étape ? Amener les gens à aller voir au moins un spectacle dans leur vie. Le directeur ne s’en cache pas, ce qu’il adore, c’est quand des groupes « qui suivent la Star Ac’ et Secret Machin » arrivent au TNT et sortent du lieu en se disant « Ah ouais, en fait c’est fun le théâtre ». C’est pourquoi sa programmation est assez libre : en terme de spectacles, le rapport entre chanson et théâtre est de 50/50, le tout est de rester dans la diversité et l’émergence. À découvrir pendant les fêtes de fin d’année : un cabaret intitulé Jour de fête, le nouveau one man show de Laurent Cailleton, de la chanson humoristique avec Jaouen et les Rouflakets et du théâtre avec Porte de Montreuil ; sans oublier un spectacle pour enfants, coup de cœur de l’année 2010, Mon cœur qui bat. On ne s’étonne pas que nombre de programmateurs viennent faire leur marché ici. Le TNT a tout d’une véritable pépinière ! Il soutient en particulier trois compagnies par an, en général pour une durée de trois ans, qui sont prioritaires sur les créneaux de résidence et de programmation. Bien que certaines compagnies meurent en cours de résidence, d’autres arrivent à s’émanciper à l’image de Coma teatro qui part à la fin de l’année.
Une structure engagée pour la démocratisation culturelle
Pour parvenir à son but, démystifier le théâtre, l’association mène diverses actions de sensibilisation notamment avec des maisons de quartier, des associations, des foyers, des écoles... « On travaille pour l’accès à la culture et si possible avec des publics en difficulté parce que, en général, ce sont les publics qui ont le moins accès à la culture proposée par les salles de spectacles ».
Avec la maison quartier de Waldeck, le TNT a mis en place une « école des spectateurs » dont le but était de transmettre aux habitants les clés d’un spectacle par le biais de comédiens qui se déplaçaient en amont pour animer des ateliers et pour parler de leur production. « Ça n’a pas super bien fonctionné, les gens du quartier n’étaient pas forcément réceptifs. Après, on essaye des trucs, ça ne marche pas toujours, c’était quand même intéressant parce qu’à chaque fois on apprend ».
En juin dernier, le TNT a monté un projet audacieux en partenariat avec l’association nantaise ACTAROM : amener le théâtre au cœur d’un terrain d’accueil des familles Roms, route de Sainte-Luce. Au départ, ils leur ont offert des places pour qu’ils puissent venir voir un spectacle et, avec l’aide de l’une des compagnies résidentes, ils ont ensuite monté une scène sur leur terrain, les ont aidés à créer quelques saynètes pour l’ouverture du spectacle donnée juste après. « C’était vraiment très sympa. Il y avait tout le camp réuni pour cette occasion, les hommes, les femmes, les enfants et apparemment, c’est quelque chose d’assez rare. Ça a plu à tout le monde, on était vraiment contents ». Si certaines actions culturelles ont un peu de budget, là, en l’occurrence il n’y en avait pas ce qui donne encore plus de valeur à cette initiative mise en place en faveur de l’accès à la culture et non pas pour gonfler un dossier de subvention (déjà justifiée par le travail à l’année de l’association, insiste le directeur).
En juin dernier, le TNT a monté un projet audacieux en partenariat avec l’association nantaise ACTAROM : amener le théâtre au cœur d’un terrain d’accueil des familles Roms...
Dans la même démarche, le TNT a accueilli en 2010 le spectacle pour enfants Bazar bizarre (de et par Chell et Armand Placet) traduit en simultané français oral / langue des signes par Laëtitia Tual, interprète et danseuse pour l’occasion. « Ça intriguait les mômes et pour ceux qui comprenait, c’était génial ». Si le TNT ne s’est pas encore penché sur l’éveil théâtral dans des structures spécialisées, Narley Moise ne néglige pas cette piste encore à explorer.
Face aux réalités économiques
Pour pallier au frein que représente le prix des spectacles, TNT tend à faire des tarifs accessibles : entre 6 € et 13 € dont 50% revient aux artistes et 50% au fonctionnement du théâtre. « On essaye de ne pas faire trop cher pour que tout le monde puisse venir et en même temps, ce n’est pas 2 € parce qu’il faut que nous et les artistes, on puisse survivre ».
Car le TNT, c’est 7 salariés dont 6 emplois aidés, une équipe de bénévoles toujours prêts à aider pour l’accueil du public et une salle ouverte jusqu’à 7 jours sur 7 à certaines périodes. Autant dire que les 45 000 € de subventions de la ville de Nantes ne suffisent pas, d’où un autofinancement à la hauteur de 60% (notamment grâce à la billetterie). « Ils nous l’ont dit à la mairie qu’on est un super bon rapport qualité/prix pour eux ! » s’amuse Narley Moise, mais concrètement, le manque de fonds fragilise la structure et influence la programmation : il ne peut pas se permettre par exemple les spectacles qui vendent leurs dates, qui tournent beaucoup et qui ne sont pas intéressés par des prestations à la billetterie. Peu de contrats de cession, peu d’achats de spectacles, le TNT fait avant tout de la co-réalisation. « à un moment faut arrêter d’halluciner sur les prix des spectacles, parce que, ça me fait rire qu’on s’indigne de la paie des footballeurs, alors qu’on demande 10 000 € pour un show d’une heure... il faut que tout le monde reste sérieux ».
Le TNT, c’est 7 salariés dont 6 emplois aidés, une équipe de bénévoles toujours prêts à aider pour l’accueil du public et une salle ouverte jusqu’à 7 jours sur 7 à certaines périodes
Débat culture 2012 : 3 questions à Narley Moise
Fragil : Comment définiriez-vous la culture ?
Narley : Je pense que la culture commence à la maison, c’est ce qui nous entoure, les parents, l’éducation, la radio, internet....
Le théâtre est une discipline artistique souvent perçue comme difficile d’accès, qu’en pensez-vous ?
Je trouve que c’est bien dommage parce que je suis sûr que plein de jeunes hommes ou jeunes femmes invitent leur compagnon ou futur-compagnon au cinéma alors que le théâtre c’est génial, c’est plus original et maintenant, avec l’arrivée de la 3D au cinéma, c’est moins cher !
Aujourd’hui, c’est compliqué d’amener les gens au théâtre à cause de la télé, car elle ne donne pas forcément envie aux gens de sortir de chez eux et d’un autre côté c’est très difficile pour nous de recréer des explosions sur scène, de trouver des lampes infrarouges pour nos enquêtes... vous voyez bien ce que je veux dire !
Pour moi, il n’y a pas de scènes élitistes. C’est ce que les gens se disent et ce qu’on essaye de retirer de leur tête. Qu’ils ne se mettent pas de barrières alors qu’il n’y en a pas, ou alors, qu’ils les enfoncent ! Après, c’est vrai, il y a des artistes, des metteurs en scènes qui se prennent la tête, donc forcément après ça fait des spectacles prise de tête. Mais je ne suis pas sûr qu’humainement on se comprenne avec quelqu’un qui a la prétention de monter un spectacle dit « élitiste », donc pas facile d’accès par tout le monde. Tant que des gens nourriront cette image-là, on ne s’en sortira pas parce que justement la télé, c’est plus facile...
Je suis fier que nos spectacles soient accessibles, après le Bigdil , c’est accessible aussi j’ai envie de dire. Il y a même des spectacles Bigdil ! On pourrait faire du « Mon coloc est le fils de ma sœur qui est homosexuel » (parce que s’il n’y a pas un peu de cul, ça ne marche pas), on passe les places à 20 € et là ça marcherait à fond. Mais bon, ce n’est pas notre mission. Nous, on est une asso, avec un vrai projet derrière, une mission qui nous fait vibrer.
À l’horizon 2030, à votre avis, quelle sera la place des petites structures dans la vie culturelle nantaise ? Espérez-vous toucher le même public ?
Pour moi, il y a un avenir pour les petits théâtres. Après, si on n’y croit pas, ça ne sert à rien, autant fermer tout de suite. Il y aura toujours des gens qui garderont les yeux ouverts, qui seront intéressés par ce type de culture, par LA culture. Si, en plus, la politique culturelle de la ville soutien et continue toujours à soutenir les petits lieux en 2030, il n’y a pas de raison qu’il n’y en ait plus, ça serait dommage quoi ! Espérons qu’ils ouvrent des petites salles comme des Carrefours Market !
De toute façon il faut de tout : il faut des grosses méga salles pour que Johnny pousse la chansonnette, il faut des salles moyennes et des petites, après c’est à la mairie de gérer. Notre boulot, c’est de proposer les projets les plus sexy possibles et puis c’est à eux de faire le tri. De toute façon, c’est eux qui tiennent les rênes...
Propos recueillis par Julianne Coignard. Crédits photo : Aurélie Crouan.
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