DEBAT CULTURE
Nidiad ouvre la langue bretonne sur le monde
Avec quelques 150 associations basées en Loire Atlantique et un fort développement des écoles brittophones, le milieu culturel breton nantais est en pleine effervescence. Dans ce paysage, le magazine littéraire Nidiad apparait comme une expérience singulière. Zoom sur un OVNI culturel créé par une poignée d’étudiants nantais.
"Ce n’est pas parce qu’on parle Breton qu’on est obligé de parler de Bretagne." Cette idée, mise en avant par les fondateurs de Nidiad, parait simple. Mais à bien y regarder, elle est en fait assez novatrice dans le milieu culturel breton. C’est cette idée que même si on parle breton, on n’est pas obligé d’aimer les bagads, [1], les fest noz [2], les danses et chants traditionnels. Cette idée finalement qu’en utilisant le Breton, on peut parler de tout, comme avec n’importe qu’elle autre langue. Fort de ce principe, trois étudiants nantais d’un peu plus de vingt ans, Gwendal Piégais, Hoel Mahe et Malo Adeux, ont créé en janvier 2010 un magazine littéraire mensuel en breton appelé Nidiad.
Après un premier numéro photocopié et relié avec les moyens du bord, Nidiad a croisé la route de la maison d’édition Preder basé à Plomelin (Finistère). Depuis, une dizaine de personnes contribue à noircir les pages du Nidiad en produisant des nouvelles, des poèmes, des études littéraires, philosophiques, des traductions, etc. A Nidiad, on décrypte des formes poétiques japonaises, on étudie le fascisme, on traduit Howard Phillips Lovecraft en breton… Bref, à Nidiad, on ouvre la langue bretonne sur le monde, quitte à s’affranchir des questions identitaires qui animent le milieu breton.
Se dégager du militantisme
On utilise cette langue parce que c’est la langue de notre cœur, pas parce qu’on cherche à défendre quelque chose
"Pourquoi le Breton ? En fait, il n’y a pas vraiment de réponse, explique Hoel Mahé. On utilise cette langue parce que c’est la langue de notre cœur, pas parce qu’on cherche à défendre quelque chose. En écrivant breton, on fait vivre cette langue, mais ce n’est pas une revendication." Pour Malo Adeux, il faut que les Bretons "commencent à revendiquer une non-revendication. Même si je suis issu d’un milieu militant, je pense que c’est dangereux d’être forcément militant quand on est Breton. L’une des grandes forces que les Bretons vont devoir montrer dans les prochaines années, c’est d’être capable de faire du breton parce que c’est comme ça, et pas parce qu’il faut honorer la mémoire des grands-parents ou parce qu’il faut combattre un système français centraliste." Plus qu’une revendication brittophone, le désir culturel des membres de Nidiad est une revendication humaine : pouvoir s’exprimer sur n’importe quel sujet, dans la langue de son choix.
Créer un breton moderne
Mais réaliser un magazine littéraire et philosophique en breton n’est pas une mince affaire. La rédaction des articles nécessite une tonne de dictionnaires bilingues spécialisés (et il en existe : en informatique, économie, médecine, cuisine, etc.). Et très souvent, les rédacteurs doivent inventer de nouveaux mots. "Le Breton, après avoir été mis à mal par l’école de la IIIe république, est devenu au XXe siècle une langue orale, dialectalisée, créolisée, explique Malo Adeux. L’enjeu, avec le développement de son apprentissage à l’école, c’est de restructurer cette langue à partir d’une base qui est finalement assez faible. Or nous, on a plein de choses à dire en littérature, en philosophie, en histoire, en poésie... On est donc obligé, si on veut aller de l’avant, de développer le breton, de le moderniser, parfois en créant des mots nouveaux." C’est d’ailleurs pour cette raison que le magazine s’appelle Nidiad, littéralement « celui qui crée », en breton.
Contre la culture du facile
On a un regard démocratisant à l’excès en matière culturelle [...] C’est certainement lié à la société dans laquelle on vit.
Le revers de la médaille s’est vite révélé aux membres de Nidiad. Car si l’aventure peut séduire quelques 150 abonnés sur toute la Bretagne (environ 50% en Loire Atlantique et 50% dans le Finistère), les rédacteurs ont droit à leur lot de critiques dans le milieu culturel breton. "On se heurte à des gens qui ne comprennent pas ce qu’on écrit, explique Hoel Mahe. "Soit parce que ça leur parait trop compliqué, soit parce que les gens qui parlent un breton familial refusent qu’on crée de nouveaux mots." "On passe parfois pour les sales intellectuels hérétiques cherchant à détruire la langue du peuple, s’amuse Malo Adeux. Mais c’est absurde, une langue est toujours quelque chose d’imparfait qui doit être détruit, reconstruit, remodelé en vue de la réalité dans laquelle on se trouve."
Derrière cette confrontation autour de la langue bretonne, c’est toute une posture philosophique vis-à-vis de l’offre culturelle qui est en jeu. Doit-on offrir une culture facilement accessible ou, au contraire, tirer les lecteurs vers le haut, vers un langage plus recherché, quitte à passer pour élitiste ? "On a un regard démocratisant à l’excès en matière culturelle, critique Malo Adeux. On veut des choses faciles à lire, faciles à consommer, faciles à digérer... C’est certainement lié à la société dans laquelle on vit. Mais je trouve absurde de dire : Nidiad, c’est trop compliqué alors je ne le lirai pas. A ce compte-là, Proust c’est trop compliqué, alors on ne le lit pas ? Surtout qu’on est loin d’être des Proust bretons. Le niveau de langue de Nidiad, ce serait plutôt l’équivalent de celui de Télérama en français."
Faire du neuf avec la tradition
Quand on parle de Nidiad à Yves Averty, coordinateur de l’Agence culturelle bretonne à Nantes, celui-ci sourit, puis répond : "Nidiad, c’est vraiment particulier. Souvent je dis qu’à Nantes, il se passe des choses uniques en matière de culture bretonne… Là, c’est vraiment le cas ! Ce qu’ils font est vraiment ardu et très novateur, tout le monde n’y a pas accès." Mais pour Yves Averty, qui coordonne pas moins de 110 associations culturelles bretonnes (danse, musique, histoire, jeux, etc.), soient 5000 personnes sur toute la Loire Atlantique, Nantes n’a pas attendu Nidiad pour faire du neuf avec le patrimoine culturel breton. Et le coordinateur de citer, entre autres, la salle de concert du Nouveau Pavillon à Bourguenais, l’association Dastum 44, ou les différents groupes de rock ou d’électro qui ont fait leur percée dans le milieu des fest noz.
L’aventure Nidiad fait évidemment partie de cette culture bretonne nantaise qui, depuis l’époque Tri Yann, fait du neuf à partir d’un matériau traditionnel. Reste une différence fondamentale (peut-être signe d’un mouvement culturel breton émergent ?), qui est la non-politisation de leur pratique culturelle. Car si pour Yves Averty, "animer la culture bretonne, c’est forcément résister contre l’uniformisation de la culture, se battre pour l’existence de cultures locales construites au fil des siècles", pour les membres de Nidiad, rédiger un magazine en breton c’est d’abord… vivre en tant que Breton, tout simplement. Différence importante entre deux générations, signe que le combat pour la culture bretonne mené dans les années 1970 porte aujourd’hui ses fruits : les « petits » issus des écoles diwan entendent eux vivre Bretons… de leur propres ailes.
Pierre-Adrien Roux
[1] groupe en breton ; formation musicale de défilé
[2] fête de nuit en breton
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