PSYCHOMAGIE
Panique aux Utopiales
Rencontre avec Alejandro Jodorowsky
Alejandro Jodorowsky était l’invité d’honneur de la douzième édition du Festival des Utopiales qui s’est tenu à Nantes du 9 au 13 Novembre 2011. Il aurait pu tout aussi bien être l’invité du festival d’Avignon, de Cannes, ou du Printemps des poètes. Car le célèbre auteur de la BD SF L’Incal et Les Méta-Baron, a plus d’une carte de visite. Il se plaît d’ailleurs à dire que les premières qu’il sort sont toujours celles de son tarot. Le tarologue et scénariste de BD est aussi écrivain, réalisateur, dramaturge, poète, scénographe, compositeur, sculpteur, mime, dessinateur, et même psycho-magicien. Mais Alejandro Jodorowsky préfère le titre moins conventionnel de «  professeur d’imagination  ». Rien que ça . C’est vrai que pendant quatre jours, on se serait cru au Café de la Paix à Paris, il y a 50 ans, là où Jodorowsky, Arrabal et Topor laissaient éclater leur imagination pour créer le mouvement Panique.
Du haut de ses quatre-vingt-trois ans, Jodo n’a pas le vertige. Il sautille lorsqu’il rentre sur la scène de la Cité des Congrès, attendu par une foule hypnotisée. Il faut dire que celui qui écrivaient les pantomimes de Marceau, maîtrise tous les arts du cirque. Clown spirituel et funambule des mots, il a conquis tout le monde en deux soirées, même Monsieur le Maire s’est laissé porter. Mais ce n’est pas Raël non plus. Car comme il le dit lui- même, "Je ne suis pas Gourourovsky mais Jodorowsky ". Avec une vie aussi longue et rocambolesque que la sienne, son histoire captivante a tout de la science-fiction.
Clown spirituel et funambule des mots, il a conquis tout le monde en deux soirées
Ça commence souvent comme ça avec Jodo. Des phrases bizarres, sorties de nulle part, qui chantent avec son accent espagnol. Quoique Jodorowsky, ça sonne plutôt russe. Son père en effet russe, juif a émigré au Chili à l’âge de 5 ans. C’est là que bien plus tard, Alejandro a vu le jour en 1929. Enfant, il ne se sent ni russe ni chilien, mais « étrange ». Son grand nez, sa peau blanche, son sexe circoncis l’excluent des autres et du monde. Il berce alors sa solitude dans les bibliothèques où il fait la connaissance de Jules Verne. Ses œuvres lui ont ouvert l’esprit et depuis, il a toujours travaillé pour apprendre à développer encore et encore sa conscience. "Quand l’enfant naît, son cerveau est infini, mais la culture, la langue, la famille limitent ses capacités. L’individu doit être ce qu’il est et non ce que les autres veulent qu’ils soient !". C’est sans doute pour cela qu’à 24 ans, il brûle toutes ses photos, son passé et s’envole pour la capitale française, sans jamais se retourner. "Avoir le courage de le faire, c’était avoir le courage de se regarder soi-même. ". Son premier acte en arrivant à Paris et qui annoncera ses futurs "actes poétiques", "théâtraux" et "magiques" est d’appeler André Breton. "Il faut sauver le surréalisme !", lui répète-t-il. Mais à 3 heures du matin, le théoricien du mouvement surréaliste préfère son oreiller. " Alors vous n’êtes pas un vrai surréaliste !" et il raccroche. La provocation, l’affirmation de l’individualité, la croyance en l’utopie, le jeu théâtral comme catharsis, telles sont les guides du jeune Jodo (« La vieillesse n’existe pas ») qui le conduiront à réaliser ses fantasmes.
Je suis amoral, libre de toute religion ou idée préconçue, mortel et humble
Vince Neil, Lemmy Kilmister et autre Marilyn Manson peuvent aller se rhabiller. D’ailleurs, ce dernier est son premier fan. Jodo est plus trash que tous les rockeurs. A un détail près, il n’a jamais touché à la drogue ni à l’alcool. "J’ai toujours été conscient dans mes actes. " Même s’il a toujours vécu avec une totale démesure, il se qualifie plus poète que rockeur dans l’âme car "mon art est fait pour guérir pas pour détruire". Ceci dit, quand il nous explique qu’avec les Paniques, ils exécutaient une poule devant le public pour créer une œuvre abstraite, buvaient du sang humain, ou s’habillaient avec de la viande crue, on a du mal à comprendre la vertu thérapeutique. Le but selon lui, est qu’en jouant son propre drame poussé à l’extrême, l’être se purifie. Le choc est positif. Même dissout en 1973, le dieu Pan continuera d’influencer Jodo. La même année, il réalise La Montagne Sacrée projeté pour l’occasion durant les Utopiales. Basé sur le roman inachevé du poète René Daumal, il raconte l’histoire d’un alchimiste, sosie de Jésus qui part en quête d’immortalité. Cette succession d’images de violence et de luxure lui a valu des menaces de mort mais aussi une sélection au festival de Cannes. Deux ans après, il décide de se lancer dans un projet plus ambitieux : l’adaptation du roman Dune de Franck Herbert. Mais parfois, le cinéma porte doublement bien son nom de « fiction », car le film ne se réalisera jamais. Les producteurs le lâchent. Cela laissera la « chance » au novice David Lynch qui réalisera un Dune en 1984. Jodo ne se décourage pas pour autant, "L’échec n’existe pas, il n’ y a que des changements de chemin. Tout refus est une opportunité ".
Mais ne garderait-il pas une petite rancune contre le cinéma ? Cette année, des producteurs russes lui ont proposé 40 millions de dollars pour réaliser la suite de son western métaphysique El Topo (1970), avec dans le premier rôle Johnny Depp ; offre qu’il a gentiment déclinée. " J’en ai marre de l’industrie qui n’accepte plus l’impulsion artistique. La solution, c’est de ne pas être cinéaste pour ne pas faire de concession." Et d’ajouter : "Faire du commerce avec l’art est méprisable. Cette année, je vais tout faire pour perdre de l’argent, je ferai un film cadeau !.
C’est donc pour combattre l’industrie qui, selon lui conduit à la destruction, que Jodorowsky s’est tourné vers la science-fiction. Mais sa propre science-fiction. Loin des précurseurs Kafka, Proust qui "tournaient autour de leur nombril" (sic). " La science-fiction présente des mondes parallèles, donc plusieurs possibilités. En réinterprétant le mythe, base de toute société, la science-fiction doit donner la possibilité de changer le monde ! ". C’est comme avec le tarot. Jodo ne donne pas des prédictions mais des possibilités pour que l’individu se change et par la suite change le monde.
Mes actes psychomagiques économisent deux à trois années de psychanalyse
C’est après un long séjour au Mexique où il a développé son théâtre éphémère avant-gardiste, qu’il s’initie à la psychomagie au contact d’une mystérieuse et célèbre sorcière Pachita. Cette femme de quatre-vingts ans, qu’hommes politiques, artistes, journalistes, éditeurs des quatre coins du monde venaient consulter, avait le pouvoir de guérison. Loin d’être crédule, Jodo reconnaît que cette "formidable prestidigitatrice", lui a fait comprendre que l’accomplissement d’acte symbolique avait un pouvoir inestimable sur l’individu, pourvu qu’on y croit. C’est comme ça qu’il s’est mis petit à petit à prodiguer des "actes psychomagiques " pour soigner les blessures physiques et mentales de son entourage. Institutionnalisés aujourd’hui en Cabaret Mystique qui se tient tous les mercredis soirs, dans un bar juste en bas de chez lui à Paris, ces actes ravissent un public toujours plus nombreux. Et c’est gratuit !
En pleine crise financière, identitaire, morale, c’est le monde qui aurait plutôt besoin d’un acte psychomagique... Et bien justement, Jodo se lance depuis peu dans des actes psychomagiques sociaux. Pour libérer l’Argentine du traumatisme des Desaparecidos, Jodo a fait construire l’année dernière, avec la population un cimetière métaphorique afin que chacun fasse son deuil. Le 27 novembre prochain, au Mexique aura lieu la marche de 50 000 squelettes pour rendre hommage aux 50 000 victimes de la guerre contre les narco-trafiquants. Ou encore le 7 mai, sera une nouvelle journée de la Femme, où des milliers de femmes se rejoindront déguisées en papesse devant les cathédrales du monde pour affirmer leur dignité. Les femmes et Jodo, c’est aussi une longue histoire. "Avec les femmes, je suis un vétéran de la guerre du Vietnam. Toute ma vie, je suis tombé amoureux de femmes qui ne m’aimaient pas, j’en garde encore les cicatrices. Mais maintenant, j’ai fait la paix avec le Vietnam..." dit-il toujours avec ses yeux pétillants et son sourire charmeur en présentant sa jeune femme, d’origine vietnamienne.
Il est drôle Jodo. Un peu fou ? En tout cas, il est libre et son parcours prouve incroyablement ce qu’il veut enseigner à tous : l’Homme peut tout faire s’il s’en donne les moyens. Il aurait pu rester le "voleur de bananes de Valparaíso ", mais l’enfant mâlin et rêveur a fait confiance à la vie. Quand on lui demande si quelqu’un pourra prendre sa suite, il répond naturellement " Mon fils Cristobal, mon ex-femme, le psychiatre chilien Martin Vaquero ou les 300 013 suiveurs de Twitter ! Le mieux serait que tout le monde devienne son propre guérisseur !". Quand on a tout fait Monsieur Jodorowsky, que reste-t-il ? "Mourir tranquille !".
Pauline Vermeulen
S’ajoute à cette rencontre aux Utopiales les éléments de langage d’Alejandro Jodorowsky. Florilège de la prestation, extralucide :
" Les banquiers sont des voleurs qui créent des crises artificielles et les politiques des guignols qui servent les banquiers. "
" On est plein de qualités, mais on les oublie, alors les défauts apparaissent."
" La femme est une architecte naturelle qui construit l’homme alors que les architectes sont des imposteurs présomptueux qui construisent des tours comme des grands sexes pour forniquer le ciel."
"Aujourd’hui, on est scandaleux quand on est gentil. "
"Un artiste peut prédire l’avenir car il connaît le présent."
"La premier être à avoir eu une influence sur moi est une mouche qui s’est posée sur mon nez. Je suis une merde ? Me suis-je dit. Et ça m’a changé la vie."
"Je suis comme un portable, je vibre mais de quatre façons : émotionellement, artistiquement, physiquement et spirituellement."
"Les Borgia sont la première mafia qui faisaient un trafic de passeport pour le Paradis."
"On est complice de tout ce qui nous arrive, le hasard n’existe pas. "
" Si on ne transforme pas le conflit en art, on ne peut pas le résoudre. "
"Le conscient est une barque qui nage dans l’océan de l’inconscient."
"Le plus beau mensonge : Dieu !"
"Lao Tseu est mon héros car il est anonyme, transpersonnel et il a mon âge."
" Ce que je donne, je me le donne. Ce que je ne donne pas, je me l’enlève."
" On ne pourra jamais chasser la lune avec des flèches, mais si on s’obstine, on deviendra le meilleur archer du monde."
"Le rôle des parents est de savoir se laisser vaincre à un moment."
"J’ai un égo très fort, mais transparent.
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