FOCUS
Saint Céré 2011 : une édition exceptionnelle
L’édition 2011 du festival de Saint Céré a offert quelques beaux moments d’émotions, portés par des artistes hauts en couleur et aux personnalités hors du commun, dans un paysage à couper le souffle. Michel Fau et Eric Perez font partie de ces artistes rares, qui pratiquent le grand écart entre les genres. Leurs personnalités étonnantes se sont greffées à une programmation particulièrement riche et éclectique. Du 25 juillet au 14 Aoà »t 2011, les surprises étaient au rendez vous : opéra romantique, opérette parodique, musique sacrée, chants de différentes cultures et poésie, se sont enchaînés en un véritable tourbillon...
Au programme, cette année, Eugène Onéguine de Tchaïkovski, d’après le poème de Pouchkine, Rigoletto de Verdi, inspiré du Roi s’amuse de Victor Hugo et une découverte totale, Le roi Carotte d’Offenbach, qui n’avait jamais été joué depuis sa création, en 1872. Cette dernière partition, réflexion joyeuse et féroce sur le pouvoir, au livret surréaliste, avait été adorée en son temps par Paul Verlaine.
Troublantes métamorphoses
La première image de Rigoletto, mis en scène par Michel Fau, est saisissante. Dans cet opéra du masque et de la duplicité, le bouffon du duc de Mantoue apparaît, durant les premiers accords, travesti en femme, le visage froid et impassible. Cette confusion initiale introduit, de manière grinçante, toute la série des méprises qui conduiront à la mort de Gilda, fille de Rigoletto, à la place d’un autre. Ce travestissement est aussi un procédé récurrent dans le travail de Michel Fau. On l’a vu, lors de la nuit des Molières 2011, en costume de chanteuse d’opéra.
Michel Fau MOLIERES 2011 : Carla Bruni Sarkozy... par Films7music
La pseudo diva entrait en scène avec son pianiste, et se lançait dans une incroyable et désopilante parodie de Quelqu’un m’a dit de Carla Bruni, avec le sérieux d’un Lied. On l’a vu, au cinéma, dans Harry, un ami qui vous veut du bien et dans Swimming pool de François Ozon. Durant cet été, il jouait aussi Néron dans Britannicus de Racine et présentera, aux Bouffes du nord, un Récital emphatique du 20 au 30 décembre 2011. Sous la parure d’une diva, l’artiste décalé et improbable interprètera, au cours de ces soirées particulières, des airs de Dalila, de Samson et Dalila, mais aussi des extraits de Castor et Pollux, de Porgy and Bess et, dans un savoureux mélange des genres, de Phèdre de Racine. La mise en scène de ce Rigoletto porte des traces de cette personnalité baroque et excessive, par un jeu urgent, qui va au plus loin de la démesure du théâtre romantique.
La mise en scène de ce Rigoletto porte des traces de cette personnalité baroque et excessive, par un jeu urgent, qui va au plus loin de la démesure du théâtre romantique.
Une toile représente, au fond du plateau, un visage d’ogre, sorte de Saturne dévorant ses enfants, à l’image d’un drame qui n’en finit pas d’engloutir ses victimes. L’esthétique, très expressionniste, rappelle le cinéma muet. On songe aussi à Frédérick Lemaître, et au boulevard du crime, de tous ces meurtres de théâtre au XIXème siècle, immortalisé par les enfants du paradisde Marcel Carné. Pour accentuer la confusion et la cruauté de l’intrigue, Michel Fau a choisi de faire jouer Giovanna et Maddalena par une même interprète : la nourrice et la prostituée ont un visage semblable et la première est, dès lors, complice de l’enlèvement de Gilda. Enfin, en un troublant jeu de miroir, le metteur en scène a ajouté la figure muette de la fille de Monterone, lequel avait maudit le bouffon. Ce dernier a ainsi, sous les yeux et sans s’en rendre compte, la préfiguration de la déchéance de sa propre fille, cause de sa douleur.
Personnalités hors du commun
Michel Fau est un artiste de l’excès et de tous les paradoxes. Ses travestissements, construits avec sérieux et beaucoup d’élégance, troublent, par leur évidence. Eric Perez est l’une des autres personnalités marquantes de ce festival. Il fait le grand écart entre les genres et les répertoires. Ses intenses Dialogues des carmélites, créés à l’opéra de Dijon, seront repris cette saison à l’opéra de Massy, les 13 et 15 janvier 2012. Dans le même temps, il participe à la reprise de La belle de Cadix, jouée à Saint Céré en 2010, au théâtre Comédia à Paris, jusqu’au 31 décembre. Durant ce festival, Eric Perez a mis en scène un Eugène Onéguine, intime et d’une belle intensité, au château de Castelnau.
Tel un funambule évoluant sur un fil aux extrémités contrastées, on a pu le voir aussi au Château de Montal, au cours d’un Café chantant de la méditerranée, où il chantait, avec un artiste algérien, une version d’une grande sensualité de Bambino, immortalisé par Dalida. Eric Perez a également interprété, au cours d’une soirée extrêmement poétique, dans ce même château de Montal, des textes de Louis Aragon, mis en musique par Léo Ferré, Jean Ferrat et Georges Brassens. Cette abolition des frontières entre les genres, qui est l’une des marques de fabrique du festival, créé des instants réjouissants, qui nous rappellent, aussi, que tout être est multiple. Christophe Lacassagne, baryton basse au timbre riche, et à l’énergie communicative sur un plateau, en a donné une belle illustration : il a composé une désopilante parodie de Karl Lagerfeld dans Le roi Carotte d’Offenbach et, le lendemain, incarnait un Rigoletto sombre et blessé, dans l’opéra de Verdi .
Ouragan de lyrisme
Le choix de deux œuvres romantiques permet d’explorer des sentiments démesurés, que l’opéra restitue en des hyperboles encore plus vives. Sous la nuit étoilée qui plane au dessus du château de Castelnau, Domnique Trottein donne, dès le prélude d’Eugène Onéguine, des contours chambristes et intimes à son orchestre. On a le sentiment d’entrer, de manière émouvante, par effraction au cœur des émois et des secrets de la famille Larine. Dans un espace sobre et épuré, aux lumières adaptées aux variations des âmes, ce spectacle nous plonge au plus près des battements de cœur des protagonistes, depuis la lettre passionnée de Tatiana, jusqu’à son rejet par Onéguine, et du poignant monologue de Lenski, trahi par son meilleur ami, juste avant de mourir, à l’image d’un Eugène Onéguine abandonné, victime de son cynisme. Tatiana écrit sa lettre brûlante, en pleine fièvre amoureuse, à Onéguine sur un tableau blanc, à l’arrière du plateau. Ce pourraient être les murs de sa chambre.
Elle s’y reprend par trois fois et cette lettre géante fait ensuite partie du décor. Ekaterina Godovanets construit un personnage d’une grande justesse. Sa Tatiana est introvertie puis explosive, dans les instants où son cœur saigne. Elle exprime bien l’évolution du personnage, la perte de ses illusions et son désir, malgré tout, de rester au plus près de sa vérité. Béatrice Burley apporte, par de beaux graves caverneux et sa présence lumineuse, une force consolante à la figure de la nourrice. L’un des chocs du spectacle est la fervente incarnation de Lenski de Svetislav Stojanovic. Il confère à ce touchant personnage une fougue incroyable et de belles nuances, et fait du poignant monologue qui précède la scène du duel, un chant déchirant, d’une désespérante beauté : un moment de grâce au seuil de la mort. Rigoletto nous hisse à de semblables sommets de lyrisme. En raison de la pluie, le 14 Août, le spectacle était représenté au gymnase de Saint Céré. Cette capacité d’adaptation est aussi l’une des grandes forces du festival. Les spectacles sont repris l’hiver, dans le cadre des tournées de Opéra éclaté, dans les espaces les plus divers. Le changement de lieu n’ôte rien à la puissance de l’oeuvre , et l’illusion théâtrale reste intacte. Longtemps on se souviendra de la voix cristalline et d’une grande pureté de Isabelle Philippe en Gilda.L’ actrice est totalement investie dans ce drame de la duplicité et de la trahison amoureuse, une figure romantique de l’innocence persécutée. Le long cri tremblant de Christophe Lacassagne, découvrant le corps sans vie de sa fille, dans le sac qui aurait dû en contenir un autre, fait frémir. Par l’investissement total des artistes et leur don sans compter, le festival de Saint Céré offre des émotions contrastées et riches. Ses secrets : l’authenticité, avant toute chose, et un bel esprit de troupe.
Christophe Gervot
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses