ENTRETIEN
Autopsie d’un fait divers
François Chevallier et Anne Pitar présentent Nature morte dans un fossé au TU
François Chevallier, metteur en scène, et Anne Pitard, scénographe, nous présentent le dernier spectacle d’Addition théâtre, Nature morte dans un fossé de Fausto Paravidino.
L’inspecteur Salti, « comme saleté mais avec un i  », enquête sur la mort d’une jeune fille sous la pression des médias excités par ce nouveau fait divers...
Cette pièce est représentée cette semaine au Théâtre Universitaire dans le cadre du festival Voisinages.
Fragil : Pouvez-vous nous présenter en quelques mots la compagnie Addition théâtre ?
François Chevallier : Addition théâtre, on s’est rencontré en 97-98 et on a créé la compagnie en 99. On est trois : Christophe Gravouil (comédien), Anne Pitard (scénographe) et moi, François Chevallier (metteur en scène). On a créé un premier spectacle : Un Cœur sous une soutane [Rimbaud] qu’on a fait en auto-production. On a été repéré tout de suite, on a eu des propositions pour pouvoir remonter un autre projet. En douze ans, on a monté sept spectacles et on en monte actuellement un huitième. Il y a eu une accélération à partir de 2007-2008 lorsque nous sommes devenus une compagnie associée au Théâtre d’Auxerre. Cela a déclenché le fait de devenir une compagnie conventionnée par l’état à partir de 2009 et donc une compagnie permanente (ce qui a permis par exemple l’embauche d’un chargé de production).
Jeune fille blanche, nue, morte, assassinée, ça fait scoop et avec les scoops, on bosse mal.
Fragil : Et du coup, comment se construisent les projets ?
F. C. : Christophe, Anne et moi, on s’est rencontré autour de la création artistique. Ce qui nous semblait intéressant, c’était de ne pas être sur un principe de troupe et de permanents mais plutôt de monter une distribution par projet. On travaille sur des auteurs contemporains, sur des thématiques qui nous intéressent, et à partir de là, quand on a trouvé un texte qui nous plait, on monte la production, on cherche les comédiens.
Fragil : Mickey la torche de Natacha de Pontcharra, Chemin des passes-dangereuses de Michel Marc Bouchard, Une heure avant la mort de mon frère de Daniel Keene... on peut dire que vous choisissez des sujets graves...
F. C. : À priori, il n’y a pas beaucoup d’histoires intéressantes sans, à moment donné, le fait qu’il y ait quelque chose de grave qui se passe. Je pense que ce qui intéresse le public, c’est qu’on lui parle de choses sur lesquelles il a à s’interroger profondément.
Anne Pitar : Selon moi, l’intérêt du théâtre est de parler de la condition humaine et donc de parler de la mort. Après, cela ne veut pas dire être morbide : on peut en traiter avec beaucoup d’humour, de distance, de décalage.
François Chevallier : On est dans une société qui a perdu un certain nombre de repères (politiques, religieux, moraux...) et je crois que le théâtre essaye de rendre ces repères. C’est pourquoi on aime traiter de questions fondamentales : est-ce que l’être humain a une destiné ? Quel rapport a-t-il avec la morale ? Est-ce que la morale individuelle est suffisante ? Ou est-ce qu’il faut une morale collective ? Y-a-t-il un pont entre les deux, ou pas ? Ces sujets questionnent les gens, même s’ils ne les verbalisent pas forcément dans cet ordre-là. Nous, on pose des questions très simples. La difficulté, c’est justement d’élaborer une série de questions autour de la thématique sur laquelle on travaille.
A. P. : À chacun d’apporter ses propres réponses en fonction de sa propre vie.
Fragil : Quand et comment s’est faite votre première rencontre avec cet auteur italien, Fausto Paravidino ?
F. C. : Christophe est arrivé avec une série de dix ou douze textes qu’il trouvait intéressants et en les lisant, on s’est mis d’accord sur l’histoire de Paravidino parce qu’elle nous semblait correspondre à une actualité encore plus forte avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. On s’interroge aujourd’hui sur le lien entre politique et médias. La société italienne, avec Silvio Berlusconi au pouvoir, était déjà confrontée à ce télescopage un peu malsain : le fait divers comme outil marketing et politique.
Le flic, dans la pièce de Paravidino, quand il commence, il dit : faut que je trouve l’assassin avant le JT de 20h parce que sinon je vais avoir plus de journalistes que de témoins. C’est ce rapport d’immédiateté qui pose problème. L’analyse, ça demande du temps. Aujourd’hui, un fait divers qui nécessiterait une explication des causes et des conséquences est complètement compressé ce qui fait qu’on perçoit l’aspect extérieur des choses, mais que le fond est laissé pour compte. Paravidino fait l’inverse dans Nature morte : la pièce dure 1h45 et pendant cette durée, il déploie sur deux jours quelles sont les raisons possibles du drame et ses conséquences. Du coup, il réfléchit vraiment sur comment quelque chose du domaine du privé – un meurtre qui a lieu entre deux individus – va devenir un élément public par sa médiatisation mais aussi parce que l’affaire est gérée à l’hôpital et au commissariat. C’est la réflexion autour de ce transfert qui m’intéressait le plus.
Fragil : Quand on y pense, cette répercussion du domaine privé sur le domaine public ne vous rappelle-t-il pas les tragédies grecques ?
F. C. : Sur un plan structurel, chaque personnage a une fonction. La jeune fille est en quelque sorte une victime expiatoire. À partir de là, on est forcément dans la mythologie.
Fragil : Votre travail est axé sur la création d’univers sonores pour le spectacle vivant, cela explique-t-il votre choix d’une pièce pour 7 comédiens et un DJ ?
F. C. : Ce qu’il faut savoir c’est que le DJ n’existe pas dans la pièce mais tout ce qui conduit à l’assassinat de la jeune fille se déroule dans des bars de nuit. Ce qui m’a intéressé, c’est d’amener un espace musical fort, un univers sonore un peu archaïque, ce que permet le DJ. Il a aussi une autre fonction : il indique l’heure, qui parle et d’où il parle car c’est une pièce complexe au niveau spatio-temporel. Le DJ permet une clarification.
Fragil : Nature morte dans un fossé a été créée en 2002 à Milan par l’ATIR (l’Association Théâtrale Indépendante pour la Recherche) et a récemment été montée par le collectif DRAO, de quelle manière aborde-t-on une pièce qui a déjà été mise en scène ? Comment pourriez-vous qualifier votre mise en scène par rapport aux créations antérieures ?
F. C. : Quand on est allé voir le DRAO en 2008, on avait déjà en tête l’idée de monter la pièce. D’un côté, aller voir leur travail m’a convaincu (c’était une réussite) mais d’un autre, je n’aurais pas dû parce que j’ai ensuite gardé des images, des voix. La différence entre nos deux options réside dans le jeu, dans la performance. Le DRAO a construit une galerie de personnages.
De notre côté, nous avons choisi de laisser autant de place au son, à l’image qu’aux comédiens ; de travailler de manière concomitante, même en répétition. On installe, on questionne, on cherche à tirer le maximum de nos compétences diverses mais convergentes.
Fragil : La pièce a été créée en février 2010, depuis vous avez pu prendre du recul, votre mise en scène a-t-elle évoluée pour la rentrée 2011 ?
F. C. : Pas de beaucoup mais on est forcément sensibles à l’air du temps. À titre personnel, on peut avoir lu ou vu des choses qui font qu’à un moment donné on a envie de retravailler l’option de départ. C’est du spectacle vivant. Au niveau des comédiens, c’est pareil. Entre ce qu’ils étaient il y a un an et maintenant, la manière dont ils pouvaient donner le texte, cela change. Ils sont dans un autre état mental et physique. Autant il y a une espèce de fixité structurelle, autant la motivation de la parole évolue. Je pense qu’on ne mesure pas à quel point un spectacle bouge.
On est dans une société qui a perdu un certain nombre de repères et je crois que le théâtre essaye de rendre ces repères.
Fragil : Cette pièce est proposée dans le cadre du festival Voisinages, opération soutenue par la Région Pays de la Loire, que pensez-vous d’une telle initiative ?
F. C. : Après avoir vu la pièce à Auxerre, au Mans ou à Avignon, des diffuseurs et professionnels de la Région ont souhaité accueillir le spectacle, c’est pourquoi on a la chance d’être dans ce festival. Je pense qu’aujourd’hui et depuis des années, il y a une vraie cohérence dans la politique culturelle de la Région pour le spectacle vivant. Nous sont proposées des aides à la création et à la diffusion de spectacles mais aussi au fonctionnement de la compagnie.
A. P. : Il y a un réel soutien dans tous nos champs d’action. Ce qui, ne l’oublions pas, est indispensable pour la réalisation de projets artistiques et c’est pourquoi on travaille sur des projets qui questionnent, on se sent chargés de mission au même titre qu’un service public.
Propos recueillis par Julianne Coignard
crédits photo Laurence Navarro.
NATURE MORTE DANS UN FOSSÉ DE FAUSTO PARAVIDINO
TRADUIT DE L’ITALIEN PAR PIETRO PIZZUTI
MISE EN SCÈNE - FRANÇOIS CHEVALLIER ASSISTÉ DE - PASCALINE GAUTHIER
AVEC ALAN MASSELIN, LÉON NAPIAS, ERIKA VANDELET, CHRISTOPHE GRAVOUIL, LUDIVINE ANBERRÉE, NICOLAS SANSIER, VIRGINIE BROCHARD ET GUILLAUME BARIOU
DRAMATURGIE - CHRISTOPHE GRAVOUIL
SCÉNOGRAPHIE ET COSTUMES - ANNE PITARD
LUMIÈRE - ERWAN TASSEL
SON - GUILLAUME BARIOU
RÉGIE GÉNÉRALE - THIERRY DESCHAMPS
ADMINISTRATION ET DIFFUSION - ANNE LÉONCE
Infos pratiques :
Voisinages : http://www.culture.paysdelaloire.fr/liste-des-evenements/evenement/part/voisinages/nom/voisinages/
Théâtre Universitaire : http://www.tunantes.fr/spectacle_nature-morte-dans-un-fossE.html
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