Entretien avec Isabelle Philippe et Béatrice Burley
Paroles de chanteuses d’opéra
Isabelle Philippe, soprano, et Béatrice Burley, mezzo soprano, sont des habituées du festival de Saint Céré. Nous les avons rencontrées. Elles nous livrent leur passion du chant et leur plaisir d’être sur scène, dans une ambiance faite de simplicité, de convivialité et de ferveur. Leurs regards bousculent une certaine image traditionnelle de l’opéra.
Fragil : Vous êtes des habituées du festival de Saint Céré. Quels bonheurs particuliers éprouvez vous ici ?
Isabelle Philippe : D’abord, le cadre est magnifique, et la beauté d’un lieu ne peut qu’induire de belles choses dans notre message musical. Il y a, de plus, un noyau de personnes, qui constituent une véritable famille de théâtre, avec ce qu’il y a de meilleur, et aussi de pire dans toute famille. Ces liens très forts qui nous animent permettent un travail en profondeur. L’accent est mis sur le rapport entre la musique et le théâtre. Nous improvisons sur de la matière humaine, à partir de ce que nous sommes. Ce qui me touche particulièrement à Saint Céré, aussi, c’est l’éclectisme des programmes.
L’accent est mis sur le rapport entre la musique et le théâtre. Nous improvisons sur de la matière humaine, à partir de ce que nous sommes.
Béatrice Burley : Ce qui domine, ici, pour moi, c’est le plaisir de chanter et de se retrouver tous ensemble. J’ai débuté à Saint Céré il y a 19 ans, et j’ai l’impression, depuis, que le rêve continue chaque année. C’est vraiment extraordinaire de chanter dans cette ambiance familiale, où chacun a son importance, que ce soit pour un grand ou un petit rôle. Les gens ne se prennent pas la tête et il y a une véritable harmonie.
Fragil : Pouvez vous citer un souvenir du festival qui vous est particulièrement précieux ?
B-B : C’est la première fois que j’ai chanté ici. J’avais 37 ans et soudainement, Olivier Desbordes m’a fait confiance dans un rôle titre. C’était dans « L’italienne à Alger » de Rossini. J’étais sur un nuage. Il y a eu beaucoup d’autres souvenirs depuis. L’année dernière, c’est la première fois que j’étais dans les chœurs. J’ai ressenti autour de moi, de la part de toute la troupe, une humanité incroyable que je n’avais jamais éprouvée de cette manière auparavant, et qui me portait. C’était quelque chose de très beau. De toutes façons, quelle que soit la taille du rôle, je me dis, inlassablement, que j’ai de la chance d’être là, et j’éprouve du plaisir.
I-P : Mon plus beau souvenir, c’est quand j’ai ressenti, pour la première fois, au Château de Castelneau, la magie qui s’opère quand la nuit tombe, face à l’attention du public. La voix se mêle à l’histoire des lieux et investit l’espace et les pierres. On s’élève, avec l’impression que le chant va jusqu’aux étoiles, comme si l’on s’adressait à l’univers tout entier !
Fragil : Gilda dans « Rigoletto » et la nourrice de « Eugène Onéguine », comment présenteriez vous chacun des spectacles auxquels vous participez ?
I-P : Michel Fau, le metteur en scène, nous dit que « Rigoletto » doit faire rire et faire peur à la fois. C’est ça le drame romantique, ce mélange de grotesque et de cauchemardesque, avec de l’excès dans les deux sens. Gilda, mon personnage, ne prête pas à rire. Ce n’est pas vraiment quelqu’un qui subit, même si le monde se ferme autour d’elle. Elle déclare son amour et accède, malgré les trahisons, à une autre forme d’humain. Elle devient en effet vraiment active au troisième acte, par son sacrifice. Elle ne peut faire autrement, prend son destin en main et se jette face au couteau. Il y a une évolution dramatique et vocale chez Verdi, traitée au plus près de l’œuvre de Victor Hugo qui inspire l’opéra (« Le roi s’amuse »). Michel Fau nous incite à jouer ce mélange de tragique et de grotesque jusqu’au kitsch, dans un jeu très réaliste, aux expressions extrêmes, qui rappelle le cinéma muet.
B-B : Dans « Eugène Onéguine », j’aime tous ces tableaux, qui créent, par la lumière, différentes atmosphères. L’apothéose en est, pour moi, cette jolie idée de la lettre de Tatiana écrite sur le mur du fond. Eric Perez a réussi à mettre en valeur, par le dépouillement et la sobriété de sa mise en scène, les rapports entre les personnages. La nourrice est très présente et a une forme de clairvoyance. Elle se rend compte de ce qui va arriver et combien Eugène va faire souffrir Tatiana, comme si elle avait d’emblée deviné la fin de l’intrigue. Elle connait bien les deux sœurs (Tatiana et Olga) et le pourquoi de chacune, elle les a élevées. L’une est secrète et torturée, l’autre est beaucoup plus extravertie. Elle a peut être aussi élevé la mère. C’est ce qui confère à ce personnage une telle tendresse, et un tel pouvoir de consolation. C’est un rôle que j’ai beaucoup de bonheur à interpréter. J’aime ce lien serré avec les trois autres femmes, qui fonctionne dès le quatuor du premier acte.
Fragil : Vous semblez, l’une et l’autre, très heureuses sur scène. Pouvez vous préciser ce sentiment sur un plateau d’opéra ?
I-P : C’est effectivement pour moi une véritable jouissance d’être sur le plateau. Je ressens un grand bonheur à partager mon plaisir. C’est comme si j’envoyais de l’affection au public, comme si je le prenais dans mes bras pour l’embrasser. Être sur scène, c’est un acte d’amour total !
B-B : Quand je suis sur scène, je ressens une plénitude, quelque chose de complet. C’est un accord entre mon corps, ma pensée, et quelque chose qui émane de moi et qui va à la rencontre des autres, une sorte de rayonnement. Ce son que l’on produit et qui, par une forme de magnétisme, amène des larmes aux yeux, c’est comme si, dans une véritable communion avec le public, on se mettait à vibrer ensemble.
Fragil : Isabelle, vous avez chanté, durant ce festival, l’une des parties solo du requiem de Fauré. Comment définiriez vous cette partition ?
I-P : C’est extraordinaire ce que ce requiem dégage de profondeur. Dès le premier accord, on est face à la misère et à la souffrance humaine, à la difficulté d’exister et de se battre, dans nos choix et nos contradictions. On se sent parfois complètement perdus mais ce chœur initial nous plonge dans le recueillement et la foi, avec un lien avec l’au delà. A chaque fois que je chante ce requiem, je pense à ces choses très humaines, et à des gens très chers qui ont disparu, pour aller ensuite dans la musique. Le dernier mouvement est, pour moi, une fin lumineuse et d’une grande pureté,une musique des anges. Je crois que c’est une partition qui peut apporter la foi, en tous cas ébranler fortement. C’est le seul requiem où l’on entend des anges !
Fragil : Béatrice, vous êtes aussi professeur d’émission vocale au stage de chant choral de Saint Céré. Quel est votre travail ?
Hegel a dit que « La beauté est le reflet du vrai ». C'est essentiel de trouver une telle vérité intérieure, pour que le chant devienne beau, à partir du moment où c'est vrai.
B-B : J’ai essayé de faire un travail global. Ce qui m’intéresse, avec des gens qui aiment le chant, des amateurs au sens propre, c’est de leur faire prendre conscience de ce qu’est l’instrument vocal. Cela passe par des échauffements corporels et musculaires, pour faire découvrir la façon dont l’instrument travaille à l’intérieur. C’est important d’être à l’écoute de sa propre vibration et de sa parole. On ne calque pas une technique. Il s’agit de retrouver, à l’intérieur de soi, son être,pour que la voix soit le reflet de son âme. Finalement, ce n’est pas faire du chant mais se laisser être le chant. Cela fait 30 ans que je fais des recherches là dessus. Le travail est infini et fait presque partie de ce qui est inaudible. C’est peut être une forme de connexion avec le divin. En tous cas, c’est un travail très particulier sur l’écoute, en retrouvant le rôle particulier de chaque oreille. Parfois, on s’écoute d’une façon qui n’est pas juste, l’intérieur n’est pas en harmonie avec l’extérieur. On doit retrouver cet accord. Quand on aborde le chant de cette manière, avec ce travail sur soi, toutes les voix sont belles, et le son est toujours beau. Je n’ai jamais entendu de voix laide, quand on trouve cet équilibre intérieur. Ainsi, tout le monde peut chanter, même si il y a aussi des dons. Hegel a dit que « La beauté est le reflet du vrai ». C’est essentiel de trouver une telle vérité intérieure, pour que le chant devienne beau, à partir du moment où c’est vrai.
Fragil : Y-a-t-il des rôles que chacune rêverait d’aborder ?
B-B : J’aimerais beaucoup chanter Azucena dans « Le trouvère » de Verdi. J’ai l’impression que je serais dedans dramatiquement. J’aime explorer des sentiments inhabituels, aller voir dans la noirceur d’un personnage, pour en faire ressortir un peu de lumière. C’est ce qui se passait quand je faisais « Le medium » de Menotti à Fribourg. C’est passionnant !
I-P : J’adorerais chanter Liu dans « Turandot » de Puccini. C’est un personnage à fleur de peau. J’aime le répertoire italien et, après avoir abordé « Lucia di Lammermoor » à Metz cette année, je suis sure que d’autres Donizetti me conviendraient.
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
B-B : J’aimerais continuer de chanter. Je vais participer à une production de « Cavalleria rusticana » de Mascagni à Saint Etienne en novembre 2011, dans une mise en scène de Vincent Vittoz. Plus tard, j’aimerais beaucoup monter un centre de recherche sur la voix et sur son fonctionnement.
I-P : Je vais participer à un concert conférence sur le bel canto, au festival de Chartres, avec Eve Ruggieri le 25 septembre. En novembre, il y aura un récital en hommage à Pierre Jourdan, grand défenseur du répertoire français, avec le ténor Mathias Vidal, salle Adyar à Paris. Enfin, je reprendrai la production de « Rigoletto » mise en scène par Michel Fau à Perpignan, en décembre.
Fragil : Si vous aviez à définir le festival de Saint Céré en une phrase, quelle serait-elle ?
B-B : Ce seraient plutôt des mots, comme partage et amour, beaucoup d’amour que l’on donne et que l’on reçoit.
I-P : Je dirais rencontres, échanges et simplicité. Et j’ajouterais qu’on a de la chance !
Propos recueillis par Christophe Gervot Photo : Alexandre Calleau
Merci à l’hôtel de France de St Céré.
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