
FOCUS
Donner sa langue au bœuf
Installation d’Orlan à la Chapelle de l’Oratoire
L’artiste engagée ORLAN investit la Chapelle de l’Oratoire du Musée des Beaux-Arts jusqu’au 25 septembre. Une installation originale pour une création unique où il est question d’un bœuf qu’on aurait sur la langue... ORLAN a une nouvelle fois frappée fort. Explications.
ORLAN. Cinq lettres, toujours en majuscules, comme pour s’affirmer et crier haut et fort qu’elle est bel et bien là. Si on déclinait chacune des lettres, cela pourrait donner O comme opiniâtre tant cette artiste manifeste de la ténacité, de la persévérance et de l’obstination depuis qu’elle a commencé à créer en 1964.
R comme rage car ORLAN en est pleine : rage de vivre, rage de désir, rage de création. L comme libre, la libre parole qu’elle prône dans cette installation nantaise, la liberté qu’on lui connaît dans ses choix artistiques. A comme action que mène ORLAN depuis des années à travers ses créations audacieuses toujours très engagées. N comme Nantes, la ville qu’elle a choisi pour présenter sa toute dernière œuvre.
Pile et face
En entrant dans la Chapelle de l’Oratoire, le grand corps dissimulé par un long tissu noir interpelle dès les premières secondes. ORLAN déboule : "J’espère que vous n’avez pas raté votre entrée. C’est le plus important ce champ/contre champ. J’en vois qui passe un peu trop vite pour le voir". Non, non, pas d’inquiétude, on a bien pris le temps de se familiariser avec ces silhouettes noires, mystérieuses, qui nous tournent le dos dès l’entrée puis qui, au fur et à mesure que l’on s’approche et que l’on se retourne, livrent quelques clés pour tout comprendre. Côté pile, le noir, qui devient, côté face, couleur et la silhouette muette se met ainsi à parler (symboliquement évidemment !) On pense forcément à Arlequin car les personnages sculptés sont recouverts de morceaux de tissus rappelant le costume du célèbre personnage de la commedia dell’arte aux multiples facettes. Blandine Chavanne, commissaire de l’exposition, explique : "Arlequin a plusieurs peaux, plusieurs couches qu’il enlève les unes après les autres. Les personnages d’ORLAN sont, de la même manière, multiples".
Quand l’art rejoint la science ou quand la science rejoint l’art, c’est tout le propos d’ORLAN dans cette installation originale. Car en y regardant de plus près, les morceaux de tissus que revêtent ses personnages ont un sens. Ici une cellule souche. Là un virus. Là-bas une bactérie. Tiens, un chromosome... L’artiste a imprimé en gros plan des maladies et des particules qui constituent l’Humain. Toutes ces silhouettes seraient-elles donc la représentation de l’individu dans tout ce qu’il a de plus multiple mais aussi unique ? Certainement. Et la grande silhouette tout au fond, un peu à part des autres, bien plus haute, ne vous fait-elle pas penser à la Grande Faucheuse ? Moi si. ORLAN offre une vision de l’humanité à la fois scientifiquement réaliste et artistiquement très personnelle.
La langue de bœuf
Un bœuf sur la langue ou l'impossibilité d'exprimer ses sentiments, ses émotions, voire ses intentions.
Si l’exposition d’ORLAN pose de grandes questions sur la science, l’éthique, l’humanité, "le bœuf sur la langue" qui donne son titre à cette installation interroge sur le langage et la libre parole. "Symbolique", "sensualité", "empêchement", "dérèglement", "trouble", "athée", "escronomie" (le seul néologisme de l’expo)... autant de mots que l’artiste nous lance au visage, à nous de les attraper au vol. On connaissait "tourner sa langue sept fois dans sa bouche", "avoir la langue bien pendue", ORLAN nous livre "le bœuf sur la langue" de Bruno Latour qui dit, lors de ses colloques : "Nous avons un bœuf sur la langue... enlevons le bœuf" lorsque le public se tait au moment des questions à l’assistance. Un bœuf sur la langue ou l’impossibilité d’exprimer ses sentiments, ses émotions, voire ses intentions. Ce bœuf qui bloque toute communication.
ORLAN a donc décidé de prendre le bœuf par les cornes et de délier nos langues. Elle confie : "En dehors des filières philo ou histoire, il existe peu d’espaces où on prend véritablement le temps de réfléchir aux mots. Le soir, les familles se retrouvent autour de la télévision au lieu de communiquer. C’est pourtant en formulant que les choses s’éclairent. Ici, j’invite le public à s’exprimer. J’ai donc choisi des mots qui peuvent accepter de la pensée. Ce sont mes gros mots à moi. Au début, je ne voulais prendre que des néologismes puis je me suis dit que la lecture en serait difficile et qu’au lieu d’enlever le bœuf sur la langue, j’en ajouterais encore un." À vous alors de choisir votre mot ! La "phagothérapie" ou la "surfemme" vous attendent.
Mais vous ne trouverez pas "laïcité", "tricot de peau" ou "buvette"... Des mots chers à l’artiste pourtant mais comme elle le confie : "Les mots se démodent très rapidement. Aujourd’hui la laïcité ne fonctionne plus de la même manière à force de l’entendre dans les médias. C’est pour cela que j’ai plutôt pris athée. Un autre exemple, on ne dit plus vachement mais grave. Le tout c’est d’être post branché et de trouver le mot qui fera l’actualité de demain."
Et quoi de mieux qu’une Chapelle de l’Oratoire pour disserter sur les mots et leur sens ? Les oratoriens avaient le souci d’être des médiateurs entre la foi et la pensée des hommes de leurs temps. ORLAN, elle, a le souci d’être la médiatrice entre sa foi en la création artistique et la pensée parfois béotienne de ses contemporains concernant son art.
Texte et photos : Delphine Blanchard
Exposition visible jusqu’au 25 septembre. Tous les jours (sauf le mardi) de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h ; le jeudi nocturne jusqu’à 20 h.
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