
L’art prend l’air 2011. 1/2
Marie-Louise, photographe audacieuse, alchimiste de l’œil
L’art prend l’air, c’est un weekend et des centaines d’artistes peintres, plasticiens, photographes, sculpteurs qui ouvrent leurs portes, leurs ateliers au public... Parmi eux, Marie-Louise Bréhant, qui expose à l’École de Communication Visuelle de Nantes avec le Collectif L’œil en chantier. Du haut de ses quatre-vingt-onze printemps, cette photographe reconnue a poussé très loin sa quête photographique en empruntant des procédés oubliés, interrogeant l’image, avant de passer au tout numérique. Une artiste hors-courant mais bien dans son époque. Intemporelle.
"On aime ou on n’aime pas et on passe son chemin". À la voir étaler ses dizaines et dizaines de photographies sur la table, visiblement fière de son travail et de ses années d’expérimentation, difficile de ne pas aimer Marie-Louise Bréhant. 91 ans, plus de 250 expositions à son actif et des clichés à n’en plus finir... C’est une photographe autodidacte, aventureuse et passionnée, que les années n’ont pas atteinte. "Pourquoi s’arrêter ? J’ai toujours des idées, des envies et des choses à faire", commente-t-elle. Pourquoi donc la raison devrait-elle toujours l’emporter ?
Chronique d’une passion tardive
Marie-Louise Bréhant est née en 1920, à une époque où la nouvelle photographie était en pleine explosion. Aujourd’hui, âgée de 91 ans, elle continue de pratiquer la photographie... à plein régime. "Quand je commence une chose, je vais jusqu’au bout, jusqu’à X". Marie-Louise Bréhant s’intéresse à la représentation de la nature, aux éléments qui la composent, s’amuse des jeux d’empreintes, de révélation lumineuse... Elle parcoure ainsi la Chézine et ces sous-bois, source d’inspiration, situés à deux pas de chez elle.
La photographie entre dans sa vie à 48 ans. Une passion "sur le tard" vécue comme une seconde vie. La première était déjà très chargée ; celle d’une femme, d’une épouse et mère de quatre enfants. "Avec tout ça, pas le temps de faire autre chose", plaisante-t-elle. Marie-Louise Bréhant a l’âme d’une artiste. Enfant, elle pratique la peinture. "La photo était bien trop chère à l’époque". Elle touchera, par la suite, aussi bien à la gravure qu’à l’ikebana (art floral japonais) dans lequel elle excelle, ou encore l’aquarelle, qu’elle vient de reprendre. Insatiable, Marie-Louise Bréhant avoue volontiers l’être. "C’est la curiosité qui me pousse".
"J'aime jouer avec les procédés, les allier et je suis l'une des seules en France à utiliser autant de procédés photographiques"
Ses débuts en photographie se font au sein de la Maison des Jeunes et de la Culture de Saint-Herblain, où elle anime un labo photographique. "Personne ne se servait de ce labo", se souvient-elle. Elle initie ainsi des jeunes, adolescents et adultes à l’art de la photographie. Un art qu’elle découvre simultanément avec eux. Elle grandit et se libère. "Une centaine de jeunes sont passés entre mes mains et certains continuent à pratiquer la photographie encore aujourd’hui". Suivront de nombreuses expositions, dont une rétrospective à Montpellier et la reconnaissance de ses confrères professionnels. Elle, l’amateur, l’autodidacte qui s’est nourrie de ses rencontres avec de grands photographes, tels que Jean Dieuzaide, Jean-Pierre Cordier ou encore Denis Brihat. Des mentors, devenus des amis qui la pousseront à poursuivre, à un moment où elle n’avait plus l’envie.
"Il faut savoir révéler les choses"
Une première fois ne s’oublie jamais et guide les pas futurs. Marie-Louise Bréhant se remémore, avec plaisir, de son premier cliché. "Une lampe de poche à la main et quelques outils dans le labo... J’ai essayé toute seule, comme ça". Elle cite également une série en noir et blanc prise dans son jardin, sans savoir pourquoi... Une véritable aventurière de la photographie qui poursuivra ses expériences, entre prise de vue et alchimie, passant de l’argentique aux procédés anciens puis au numérique sans une once d’hésitation. "J’aime jouer avec les procédés, les allier et je suis l’une des seules en France à en pratiquer autant".
En 1985, elle abandonne l’argentique et s’essaye aux procédés anciens, aux différentes techniques de tirage : la gomme bichromatée, le palladium, le charbon... Des formules oubliées, d’un autre temps mais qui sont la base de la photographie et qu’elle reprend. "Je note tout ce que j’essaie, comme point de repère pour pouvoir les reproduire", souligne-t-elle, dévoilant un esprit méthodique. Marie-Louise Bréhant interroge et explore le passé, l’histoire afin de mieux comprendre le présent, l’art contemporain et le poids de l’image. Ainsi, elle travaillera un temps avec un polaroid et des films spéciaux mais aujourd’hui, c’est avec son ordinateur et scanner qu’elle approche l’image, la lumière. "J’attends de voir ce que l’ordinateur me donne, c’est aussi simple que ça".
"La photo, c'est un ressenti, comme la peinture ou la sculpture et même un dessin d'enfant peut susciter une émotion"
Le sujet de ces photographies ou jeux d’empreintes ? Des tranches d’oignons, de champignons, des iris, des cours d’eau... "Le révélateur est primordial. La matière doit pénétrer la feuille et après, on attend de voir... Il faut savoir révéler les choses" Et parfois, pas de prises de vue, pas d’appareils techniques, simplement la lumière et la nature. La photographie à l’état pur.
Le résultat est impressionnant, mystérieux et enchanteur à la fois. Des formes abstraites aux couleurs vives et profondes, pour des clichés uniques, pleins de poésie et d’énergie. Entre chimie, peinture et photographie. Notre perception du réel se voit perturbé. Des clichés peu bavards sur leur identité et qui laissent le spectateur fantasmer, supposer, imaginer... "La photo, c’est un ressenti, comme la peinture ou la sculpture, souligne Marie-Louise Bréhant, et même un dessin d’enfant peut susciter une émotion". L’absence de titre et de description accentue l’impression de mystère. Un acte volontaire ? "C’est une habitude que j’ai prise, suite à un conseil qu’un artiste m’a donné, pour laisser le spectateur voir autre chose, se faire sa propre idée du cliché... On réagit tous différemment et il ne faut pas chercher absolument à savoir ce que cela représente", commente-t-elle, regrettant le formatage des gens aujourd’hui. Les photographies réalistes ? Elles ne lui parlent pas, ne suscitent aucune émotion.
Une véritable rock-star de la photographie
Doyenne du collectif L’œil en chantier, qui expose à l’ECV le temps de L’art prend l’air, toujours présente à la MJC de Saint-Herblain et active dans bien d’autres associations, Marie-Louise Bréhant est partout. À 91 ans, sa vitalité est surprenante, intimidante.
Mais qui est Marie-Louise Bréhant au fond ? "Les gens me disent que je ne suis plus photographe mais plutôt plasticienne... Moi, je me prends toujours pour une photographe". Un artisan de l’image, c’est aussi simple que ça. Infatigable, insatiable, curieuse, passionnée, audacieuse, jusqu’au-boutiste... Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier cette artiste. Elle, préfère rester humble, au-dessus de tout ça. "J’ai été emmenée, embarquée jusque-là, comme portée..." Une quête alchimique, artistique sans fin, sans raison. "La photo, je fais ça pour moi, pas pour les autres et par moment, je ne pense plus à ce que je fais"
À l’écouter, à contre-courant, portant un discours direct et expérimental jusqu’à l’extrême, on se plaît à l’imaginer en véritable rock-star de la photographie, toujours sur scène à 91 ans, avec plus de 40 ans de carrière à son actif. Sans l’égo surdimensionné qui va habituellement de pair avec...Elle est Marie-Louise Bréhant, tout simplement.
Texte et photos : Caroline Dubois
En savoir plus
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses