FOCUS
Radio activité
Retour sur le festival Sonor à l’occasion de la causerie : "Les radios en lutte, réflexion sur l’engagement radiophonique".
La 6ème édition du festival de création radiophonique a fait résonner Nantes, du 18 au 27 mars derniers, en proposant un large éventail de manifestations pour les oreilles curieuses. Orchestré par Jet FM, le programme a regroupé des séances d’écoute, des installations sonores, des conférences et des animations, ainsi que des concerts et projections. Un menu riche que les auditeurs ont savouré au Lieu Unique, au Cinématographe, au Pannonica ou au Jardin des Plantes, entre autres lieux. C’est le moment d’aborder des questions importantes pour l’avenir de la création radiophonique à travers les tables-rondes, et notamment le mouvement des radios libres : que reste t-il aujourd’hui de cet esprit libertaire et créatif, plus de trente ans après leur naissance ?
Un joyeux brouhaha mijote dans l’atelier du LU où les invités de cette rencontre sont rassemblés pour ausculter l’état des radios libres. Une agitation chaleureuse qui ravit les narines et les oreilles. Les marmites de Radio Miam Miam s’entrechoquent pour préparer une "sélection gastronomico-auditive à déguster par les oreilles".
Pendant ce temps, les visiteurs se penchent au-dessus des tables de bistrot vers des postes de radios vintage mis à disposition, certains en sont déjà au diner, d’autres encore à l’apéro...
Une chose est sûre : si l’esprit des radios libres souffle quelque part ce soir, c’est certainement ici, en compagnie de Loic Chusseau, directeur de Jet FM (lire sur Fragil), Élisa Portier, (La Revue Sonore), Benoit Bories, (Faïdos sonore), Thierry Lefebvre (maître de conférences à l’Université Paris-Diderot spécialiste de l’histoire des médias) et Christophe Deleu (Docteur en sciences politiques à l’Université de Lille, maître de conférences Centre universitaire d’enseignement du journalisme, membre du GRER - [1]).
Saisie, brouillage et risque de localisation des émetteurs les forcent à n'émettre que par brèves plages, par crainte des amendes importantes.
L’histoire d’un combat symbolique
Trois éléments vont conditionner le mouvement des radios libres :
l’influence des radios pirates des années 1970, souvent installées sur des bateaux (comme Radio Caroline) qui vont diffuser principalement de la musique alternative et faire exploser l’univers musical contraint par les radios nationales,
la chute du monopole de la Rai en Italie, en 1975. Cela va entraîner la multiplication des radios communautaires alternatives, telle Radio Alice à Bologne et inspirer les radios françaises,
l’intensification de la lutte antinucléaire en France, dès 1977. Le déclenchement se fait avec Radio Fessenheim, dont l’objectif était de lutter contre l’implantation de la centrale. On peut citer aussi Radio Libre 44 (contre la création d’une centrale au Pellerin) ou Radio Verte à Paris, menée par Brice Lalonde.
Les radios sont alors en résonance avec des luttes sociales intenses, des mouvement très tendus dont les leaders syndicaux s’expriment au micro de radios comme Radio Lorraine Cœur d’Acier (Longwy) ou Radio Libre Populaire St-Nazaire, liée aux chantiers Dubigeon. Les menaces sont permanentes pour ces radios libres. Saisie, brouillage et risque de localisation des émetteurs les forcent à n’émettre que par brèves plages, par crainte des amendes importantes.
Malgré ce climat de censure, les instances de l’État sont souvent clémentes avec les inculpés. Au fond, on sait que le monopole doit tomber, comme partout en Europe, c’est inévitable. Les barrières vont diminuer, dès 1981 et l’arrivée de la gauche au pouvoir, malgré les courants divergent en son sein, entre communistes et socialistes. Le PS, dont la campagne repose sur la liberté d’expression, est obligé d’agir après sa victoire.
Ainsi, le monopole finit par s’achever, avec deux lois majeures : la loi de tolérance (novembre 1981) et la loi de juillet 1982.
La parole est à tous ?
Dans les années 80, tout le monde peut et veut parler, chacun "y va de sa lutte, on veut défendre sa cause", revendications identitaires, politiques, communautaires pullulent.
Pourtant, la liesse n’est pas générale : lorsque seulement trois radios dominaient, l’objet de la lutte était tout simplement de pouvoir parler, s’exprimer. Quand ce droit est enfin acquis, beaucoup vont paradoxalement arrêter la radio. Sans compter ceux qui y trouvaient un aspect pittoresque ou ludique. "L’intérêt principal pour beaucoup c’est de se coltiner avec le matériel, jouer avec, déplacer les émetteurs, bouger", (Christophe Deleu). Ce côté-là disparait aussi quand l’activité devient professionnelle et autorisée.
"Avant 1982, l'objet de la lutte c'est de pouvoir parler, s'exprimer avant tout"
C’est en 1984 que l’évolution des radios libres connaît un soubresaut décisif. La Nouvelle Radio Jeune va mobiliser les jeunes pour qu’ils descendent dans la rue défendre la cause des radios libres. Plus de 100 000 personnes vont répondre à l’appel. Face à la pression, les dernières barrières s’effondrent et la publicité est enfin autorisée. Très vite, les radios thématiques à majorité musicale prennent le pouvoir aux dépends des radios associatives, qui vont dès lors incarner l’alternative.
Pour Christophe Deleu, même au sein de ces radios libres, on sentait qu’il y avait plusieurs mouvements. D’un côté les militants, qui délivraient un discours formel et de l’autre, des plus jeunes qui venaient là se "faire la main", pour qui c’était un tremplin vers une profession de journalisme animateur. Pour tous, le challenge étaient le même, arriver à capter un public face aux radios plus commerciales.
Car au-delà de leur nouvelle liberté, les radios connaissent toujours des difficultés financières. Le fond de péréquation créé pour les soutenir ne leur permet pas de subsister très longtemps et beaucoup de radios innovantes s’effondrent et seront obligées de vendre leur fréquence.
30 ans après : défendre l’indépendance et l’ancrage social
Malgré ces souvenirs parfois sombres, la création radiophonique est toujours active et variée aujourd’hui, les invités sont là pour en témoigner.
"Le paysage a beaucoup évolué", confirme Loic Chusseau, "mais pas tant que ça. Certaines radios associatives locales passent beaucoup de publicités, ou sont rachetées par des radios commerciales et d’autres ne fonctionnent qu’avec des bénévoles, plus dans l’esprit des radios libres, non professionnalisantes".
Pour Élisa Portier, le cas de Radio Nova, par exemple, est emblématique du tiraillement des radios actuelles : radio militante, du point de vue musical, elle se débat aujourd’hui avec la nécessité de faire de la publicité pour des productions commerciales ou des grandes marques.
La question délicate de l’indépendance se pose couramment pour les radios associatives actuelles. Elles cherchent à ne pas froisser leurs annonceurs, tout en conservant leur liberté de ton et de programmation. D’où la nécessité cruciale de défendre ces radios comme des "acteurs sociaux de proximité et pas comme de simples organes de communication", rappelle Loic Chusseau.
"Même avec des moyens techniques limités, si on a envie de faire quelque chose, on peut le faire, la contrainte peut toujours être détournée." Bruno Bories, Faidos Sonore
Il faut pour cela prendre en compte leurs nombreuses actions vis-à-vis des publics scolaires ou en difficulté : les ateliers dans les écoles, les centres culturels ou les maisons de retraite, les projets d’initiation et d’animation. Ces démarches sont la base de l’enracinement local et de la fonction sociale des radios et des créateurs dans l’agora moderne.
La lutte continue et se renouvelle
En quelque sorte, on est passés depuis trente ans d’une radio qui était le médiateur de revendications à une radio actrice, qui ne se définit plus uniquement comme une plateforme de militantisme politique.
L’engagement prend des formes différentes, explique Christophe Deleu : dans les années 2000, la nouveauté principale est l’arrivée du documentaire. Grâce aux facilités que permet le numérique, tout le monde peut désormais aller sur le terrain à la rencontre des personnes et des situations.
L’émission de Daniel Mermet est symbolique de ce changement, "Là-bas si j’y suis" (France Inter) incarne ainsi "l’alliance entre la forme et le fond, un journalisme de terrain qui recueille la parole et la fait remonter", à l’inverse d’un discours militant lu en studio. Par sa capacité d’immersion à long terme, cette nouvelle tendance des radios contribue à faire donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais, sans tomber dans les travers du discours militant trop manichéen.
Le travail, réalisé par Faidos Sonore sur les nouvelles politiques managériales dans la fonction publique, ou celui de La Revue Sonore avec les détenus de la prison des Baumettes à Marseille sont des exemples marquants des nouveaux chemins que la radio emprunte aujourd’hui, entre rencontres, interventions sociales et expériences sensorielles.
Bien sûr, il reste encore des combats à mener pour les radios associatives. En premier lieu, l’accès à des médias de grande écoute et une plus grande diffusion des productions.
"Il ne faut pas associer associatif et amateurisme, il y a un vrai travail de qualité fait par des indépendants, cela mériterait d'être à l'INA..." Loic Chusseau
Le développement de réalisations sonores et d’initiatives originales est certain, c’est un paradoxe de voir ces créations si peu médiatisées. Sur ce point, l’accord est général : à l’instar des courts métrages qui sont depuis quelques années mis en avant, il faudrait promouvoir la création indépendante sur les radios nationales, afin de permettre aux producteurs d’être rémunérés correctement.
C’est avant tout la mutualisation des efforts et des moyens qui permettra la réussite de ce projet, insiste Élisa Portier.
Video killed the radio star ? Pas si sûr....
Entre nostalgie et perspectives prometteuses, cette réflexion sur l’esprit des radios libres a permis de faire le point sur un média en pleine mutation, ouvert sur la création.
La radio fait partie de notre quotidien, associée dans l’imaginaire collectif aux embouteillages du matin et aux rituels routiniers. Sa force est également là, dans sa proximité : par son engagement local, son caractère de média social et accessible, elle incarne une vraie possibilité d’expression et de médiation. Ne nécessitant ni matériel couteux ni abonnement, elle demeure aussi un des derniers refuges de l’anonymat, de la gratuité et de la résistance à la géolocalisation.
Enfin, à l’heure ou Skyrock a semblé rejouer le combat de NRJ, en 1984, en encourageant ses auditeurs à se mobiliser pour défendre la libre-antenne et la cause de Stéphane Bellanger, fondateur de la radio, il est essentiel de ne pas se tromper de combat et de soutenir plus que jamais le travail des radios associatives.
Georgina Belin
[1] le Groupe de Recherche et d’Études sur la Radio : http://www.grer.fr/
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