Chronique théâtre
"Rêve d’automne" mise en scène par Patrice Chéreau, le jeu de l’amour et de la mort
Le grand T vient de créer l’événement en ce mois de février 2011, en reprenant, après les représentations données au Théâtre de la ville à Paris, «  Rêve d’automne  » du norvégien Jon Fosse, dans la mise en scène de Patrice Chéreau. Richard Peduzzi transpose, dans son fascinant décor, une salle du musée du Louvre, où le spectacle a été créé le 2 Novembre 2010, jour des défunts. Ce rêve d’automne est celui d’une rencontre improbable entre les vivants et les morts, en connexion visible avec l’art.
Le texte de Jon Fosse a pour cadre un cimetière, où des vivants viennent rôder, dans la mémoire de ce qui n’est plus, mais aussi de ce qui aurait pu être et, qui sait, adviendra peut être. Patrice Chéreau a transposé cette pièce dans une salle du musée du Louvre.
Le musée est un lieu ouvert, mouvant et vivant, un des seuls où les vivants et les morts peuvent se regarder en face
Le choix d’un tel espace métaphorique est extrêmement troublant. Dans ce décor aux multiples perspectives et profondeurs, des tableaux ont été accrochés, immuables, tandis que d’autres ne sont plus là. Il n’en reste que les dates de naissance et de mort de l’artiste, comme sur une tombe. Ainsi, le musée est-il un lieu de mémoire, mais aussi un lieu ouvert, mouvant et vivant, un des seuls où les vivants et les morts peuvent se regarder en face, dans le mystère intemporel de la création artistique et de son éternité. Ce décor est un saisissant paradoxe, qui soulève des questions vertigineuses, car ceux qui s’y croisent sont dans un cimetière. Il porte en lui toutes les interrogations du texte, son affranchissement du temps, la proximité entre ce qui est et ce qui n’est plus, et il suggère une possible rédemption par l’art et, pourquoi pas, des vies qui, malgré toutes leurs imperfections, deviendraient des créations artistiques.
A l’issue de la représentation, les spectateurs qui se sont attardés dans la salle, sont invités à monter sur le plateau, à rôder dans ce décor qui, en citant Julien Gracq, « refuse de se prêter au jeu », à moins qu’il ne s’agisse du jeu intime de chacun, de sa propre vie, avec ses ombres et ses fantômes, et de la possibilité d’en faire un instant de théâtre.
Temps intérieur et logique d’un rêve
Tout, dans le spectacle de Patrice Chéreau, concourt à donner l’impression d’un rêve. Il y a, avant tout, une direction d’acteurs qui semble affûtée, et qui donne un étonnant relief à chaque mot, à chaque silence et à chaque mouvement. Ainsi, ces gestes maladroits, de corps qui se frôlent à peine, dans tout le début du spectacle, ou les déplacements fantomatiques de ceux qui sont déjà morts ou qui vont mourir, sont saisissants. Alexandre Styker apporte une présence bouleversante et d’une irréalité pleine de poésie à ce fils absent, que l’on sait malade, avant qu’il ne glisse vers la mort, tout en continuant à évoluer sous nos yeux.
Un des points communs entre « Rêve d’Automne » et l’univers de Marcel Proust, c'est cet espace où le passé se confond avec le présent, où les vivants et les morts se rencontrent
Le texte de Jon Fosse a des résonances proustiennes. On pense à ces expériences de « la recherche » au cours desquelles le deuil ne se fait pas, où Albertine est encore incroyablement présente dans l’esprit du narrateur, même morte, ou à la perte, complètement irréelle, de la grand mère, sans aucune douleur apparente pour son petit fils. Ce n’est qu’en revenant à Balbec, deux volumes plus tard, qu’il y a véritablement conscience de l’absence. De même, et c’est aussi un des points communs entre « Rêve d’Automne » et l’univers de Marcel Proust, le « Temps retrouvé » est cet espace où le passé se confond avec le présent, où les vivants et les morts se rencontrent, mais aussi où tous ceux qu’on a aimés continuent à exister, et se confondent en une figure unique, dans un temps suspendu, celui de l’écriture. C’est ce qui se produit ici. Il y a une troublante proximité entre les évènements, dans une temporalité devenue subjective. L’ombre des êtres du passé plane et on ne s’en affranchit pas facilement. Gry, qui émerge des brumes du souvenir avec ce fils presque mort, ou déjà mort, ce qui revient au même puisque le temps n’existe plus, assiste aux amours naissantes entre deux êtres qui se sont retrouvés parmi des tombes. C’est également de la mort et de l’enterrement d’une grand mère qu’il est question, figure omniprésente, à laquelle Michelle Marquais donne une silhouette fragile et émouvante. C’est elle qui a le dernier mot, avec cette formule énigmatique, « Il faut y aller maintenant ».
L’une des questions que soulève ce spectacle est, comment jouer des absents ? Comment donner corps à des êtres que l’on porte en soi, et les faire exister, alors qu’ils émergent d’un temps intérieur et intime ? Patrice Chéreau y est parvenu aussi grâce aux magnifiques lumières de Dominique Bruguière, au plus près des corps et, on serait tenté d’écrire, des âmes de ceux qui se cherchent sans se trouver vraiment, qui vieillissent juste après s’être rencontrés, ou qui meurent avant d’avoir vécu. Eric Neveux a imaginé une envoûtante illustration sonore, qui s’inscrit au cœur des mots. Longtemps on se souviendra de l’arrivée en scène de Pascal Grégory, dans un instant qui a les contours d’un songe, où un son persistant accentue encore l’étrangeté et le trouble.
Des réminiscences d’autres œuvres de Chéreau
L’empreinte de Patrice Chéreau réside avant tout dans la perfection du spectacle, dans cette alchimie incroyable entre le texte et le jeu, souvent d’une violence extrême, où chacun est totalement investi. Pascal Grégory et Valeria Bruni-Tedeschi, étaient tous deux dans « Ceux qui m’aiment prendront le train », film dont le sujet était déjà un enterrement, et des relations humaines compliquées. Ils construisent un jeu d’une poignante intensité, pour jouer deux êtres fragiles et écorchés,deux figures insaisissables aux trajectoires lacunaires et aux consciences morcelées, comme en lambeaux, qui se retrouvent alors qu’ils n’avaient autrefois pas su se rencontrer, mais dans un temps rétréci et accéléré. Leur vieillissement en est un moment très fort.
Bulle Ogier et Bernard Verley sont fascinants dans le rôle des parents. Elle est volubile, paniquée et souvent obsessionnelle, lui est taciturne et réservé. Ces figures, qui nous semblent familières, rappellent les parents de Henri dans « L’homme blessé » ou ceux de Thomas et de Luc dans « Son frère ». Après « Lulu » de Frank Wedekind , mis en scène par Stéphane Braunschweig, en janvier, le Grand T nous a offert là un autre énorme moment de théâtre, de ces spectacles qui laissent des traces et dont on ne sort pas indemne.
Philippe Coutant, directeur du lieu depuis 1998, signe cette année sa dernière saison. Il avait dirigé le théâtre des Amandiers de Nanterre avec Patrice Chéreau, dans les années 80. On lui doit, à Nantes, douze années de découvertes exaltantes, d’émotions et de belles rencontres artistiques. Nous aimerions lui exprimer ici notre profonde gratitude.
Chronique : Christophe Gervot
Photos : Pascal Victor
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