
PORTRAIT
Gaston Chaissac : peintre rustique mais moderne
Art Brut et solitude vendéenne
En 2010, Gaston Chaissac aurait eu 100 ans. L’occasion de revenir sur le parcours de ce peintre vendéen autodidacte qui contribua à l’émergence de l’Art brut. Aujourd’hui cité dans tous les ouvrages d’art de référence, Gaston Chaissac a néanmoins subi le joug de son mentor Jean Dubuffet. À l’instar du duo tumultueux formé par Braque et Picasso, on ne sait pas réellement qui de Chaissac ou Dubuffet a influencé l’autre et dans le souvenir collectif, c’est souvent Dubuffet qui vient en premier. Pourtant, aujourd’hui encore, des artistes comme Hervé di Rosa et Robert Combas de la mouvance Figuration libre se disent clairement inspirés par le peintre vendéen.
"Cher ami, il semble bien que c’est en présentant sous son jour sympathique les gens dont je suis la risée et qui m’écrasent de leur profond mépris que j’aurais le plus de chance d’atteindre une grande célébrité. Aujourd’hui c’est la foire des essarts de septembre 1959, elle à lieu le second mercredi d’chaque mois. Hier c’était la rentrée scolaire et dans l’après midi j’ai fait un petit collage que j’ai dédicassé à Mme Simonne Garrigue, de Saint Nazaire qui a son époux voyageur rèprésentant qui s’occupe de la vente des chaises modernes faites à Ste Florence par eugêne chaillou avec du papier d’emballages et du reportage photographique en couleurs empruntées a un magazine en renom. […]"
À l’image de ces quelques mots (parfois hasardeux et souvent mal orthographiés) tirés d’une lettre écrite à son ami Théodore Koenig, la peinture de Chaissac trouve sa force dans la simplicité, la ruralité et le terroir. Né le 13 août 1910 à Avallon dans l’Yonne, issu d’une famille modeste, Chaissac passera une grande partie de sa vie dans le dénuement le plus complet. Dès sa plus tendre enfance, Gaston est un enfant chétif à la santé fragile qui développe peu à peu un style de vie solitaire et ascétique. À 13 ans, il entre en apprentissage comme l’époque le voulait ; il deviendra alors tour à tour cordonnier, bourrelier, marmiton mais sans embrasser véritablement une quelconque carrière. Chaissac est un rêveur, un dilettante, un asocial qui trouve refuge dans la peinture. À l’aube de ses 24 ans, il tente de s’établir à Paris, la ville lumière où scintillent les plus grands artistes. Il rejoint là-bas son frère, devenu brigadier de police ; dans leur immeuble vit un peintre abstrait allemand, Otto Freundlich, qui est le premier à se pencher sur son talent et l’encourage à approfondir sa vocation artistique.
Trois ans plus tard, il tombe gravement malade. Le verdict est lourd : tuberculose. Obligé de quitter la capitale, il part en sanatorium et se lance à corps perdu dans son art. Sa pugnacité paiera : un an plus tard, on est alors en décembre 1938, a lieu sa première exposition personnelle à Paris. Le déjà célèbre Robert Delaunay s’intéresse aux travaux qu’il expose ; Chaissac commence à se faire un petit nom dans le milieu artistique parisien. En 1940, il rencontre sa future épouse, Camille Guibert, institutrice qui sera mutée en 1943 à Boulogne en Vendée. Le couple s’y installe pour cinq années.
Une odyssée vendéenne
Gaston Chaissac trouve son salut à partir de cette période. Lui qui n’a jamais été travailleur, qui n’a jamais durement gagné sa vie, peut enfin se consacrer à sa vie artistique grâce à son épouse qui fait vivre le foyer. L’image du paysan travailleur acharné que certains donnent à voir en la personne de Chaissac est un mythe ; si le peintre est très attaché à son terroir et à sa campagne vendéenne, c’est plus pour en savourer son "luxe, calme et volupté" que pour s’écorcher les mains au labeur. Ce qui forcément est source de moquerie, de jalousie et de mépris de la part de ses voisins.
Chaissac est un rêveur, un dilettante, un asocial qui trouve refuge dans la peinture
En 1948, Camille est nommée dans une autre commune vendéenne, Sainte-Florence-de-l’Oie ; ils y resteront 13 ans. Les relations de voisinage ne s’améliorent pas, on le prend volontiers pour un fou ou un sorcier. Dans le même temps, lui qui aspire à être reconnu par ses pairs, se retranche dans son atelier vendéen et ne se prête pas au jeu du parisianisme quasi obligatoire dans la sphère artistique de l’époque. Ce sont des années noires pour Chaissac, terriblement solitaire. La solitude fait mourir à petit feu sa créativité : de 1956 à 1958, il ne peint presque pas.
Le rôle majeur de Jean Dubuffet
Malgré tout, Chaissac est un homme apprécié par les artistes qu’il côtoie et Jean Dubuffet, chantre de l’art brut, le prend sous son aile et sera l’un de ses plus fidèles compagnons. Le concept d’art brut – qui désigne "les productions de personnes exemptes de culture artistique présentant un caractère spontané et fortement inventif" – correspond bien à l’œuvre de Gaston Chaissac. En 1960, Dubuffet écrit : "L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a fait pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle." Tout comme sa peinture qui est faite de pigments bruts, d’aplats de couleurs primaires, de délimitations cerclées de noir, ses supports sont également bruts : volets, portes, caissons en bois... Chaissac peint sur tout ce qu’il trouve, toujours au sol et privilégie des figures et des formes issues des "arts primitifs".
Se définissant lui-même comme un "peintre rustique moderne" et le naturel revenant vite au galop, Chaissac aimera rester toujours un peu à l’écart de ses amis (qui lui rendent pourtant régulièrement visite en Vendée) comme Anatole Jakovsky, Benjamin Péret et Jean Dubuffet. Foncièrement solitaire, il n’aime pas faire partie d’un groupe, même s’il accepte les expositions communes que Dubuffet organise au nom du mouvement Art brut. Gaston Chaissac est peut-être un homme simple, pas fin lettré, rural voire rustaud en comparaison de ses relations parisiennes, mais c’est un homme intelligent et surtout malin qui comprend où sont ses intérêts. Pour autant, il n’en tient pas compte et trace sa route sans se soucier des modes artistiques du moment.
En 1961, Gaston et Camille s’installent à Vix. Les expositions et les écrits le concernant se multiplient jusqu’à la fin... le 7 novembre 1964, date à laquelle il meurt d’une embolie pulmonaire à l’hôpital de La Roche-sur-Yon.
Delphine Blanchard
Pour en savoir plus :
au musée de l’abbaye Sainte-Croix aux Sables-d’Olonne qui possède l’un des fonds les plus importants du peintre (dû à une donation de Camille à la mort de l’artiste).
à l’espace Gaston-Chaissac de Sainte-Florence-de-l’Oie qui présente la vie et l’œuvre du peintre grâce notamment à un espace scénographique original.
Chaissac a beaucoup écrit (correspondances, poèmes...) : tous ses textes sont disponibles dans toutes les bonnes librairies. Citons également le spectacle "36000 lettres de Gaston Chaissac" du conteur vendéen Gérard Potier qui donne à entendre le franc-parler de cet artiste définitivement pas comme les autres.
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