Festival des 3 Continents 2010
Cuchillo de Palo, ou les vilains petits canards de la dictature de Stroessner au Paraguay
Cuchillo de Palo (108), remporte la Montgolfière d’argent. Retour sur un film qui a du mérite.
Paraguay. Années 80. Dictature de Stroessner. 108 homosexuels assassinés pour avoir été "différents", "indéfinis". 108 hommes dont un, Adolfo Costa, l’oncle de la réalisatrice Renate Costa. Sur les pas de la vie secrète d’Adolfo, entre humiliation et isolement, voilà l’essence même du roadmovie biographique que nous livre la réalisatrice.
Le film m’a permis de retirer l’épine de mon cœur
Remporter le second grand prix du Festival des 3 Continents, c’est déjà une jolie victoire. Sauf qu’en plongeant dans ce film aux allures de documentaire intimiste, on comprend que pour la réalisatrice Renate Costa, les combats menés aboutissent bien souvent à de multiples victoires personnelles. Et Renate nous touche, car au-delà des faits historiques, les luttes de la réalisatrice sont universelles. Tolérer, comprendre, chercher, parler, mais surtout ne pas laisser l’autre, "le différent" mourir dans les mémoires. Chasser l’hypocrisie résiduelle de cette dictature.
Un devoir intime de mémoire
Renate n’arrive pas à s’y faire. Depuis le décès de son oncle dans d’obscures circonstances, soi-disant "mort de tristesse" comme de nombreux hommes sous la dictature de Stroessner, certaines questions hantent la réalisatrice, comme un écho entêtant. Qui était vraiment son oncle Adolfo ? Quelle vie a t-il réellement menée ? Pourquoi cette froide distance entre lui et les autres membres de la famille ? Guidée par un besoin de vérité, Renate Costa prend sa mini-caméra et part dans la ville d’Asuncion ou vivait son père, son grand-père et Adolfo. Comprendre ce qu’il s’est passé avant cette mystérieuse disparition : « Le film m’a permis de retirer l’épine de mon cœur »
Connaître son oncle, c’est au travers des rencontres qu’elle le fera. Amis, travestis, prostituées, confidents, tous plus proches les uns que les autres d’Adolfo. Peu à peu, Renate Costa rencontre et découvre ce bel inconnu tenu jusqu’alors secret. Le titre Cuchillo de palo prend alors tout son sens : "Chez le forgeron, le couteau est en bois", dit-on en espagnol. Et ce n’est pas forgeron qu’Adolfo avait choisi comme destinée, comme le reste des hommes de sa famille, mais danseur. Un danseur, beau et raffiné selon ses amis. En redécouvrant son oncle, c’est aussi l’histoire et ces 35 années de dictature qui ressurgiront du passé.
Pour moi, Cuchillo de palo c’était une recherche, un film sur l’acceptation.
Entre dignité et pudeur
Ces témoignages oscillent entre faits sordides et grand dignité humaine. On découvre aux côtés de Renate les horreurs infligées aux homosexuels, emprisonnés et torturés par le régime. À travers ces hommes, ces femmes, la dignité des âmes prend le dessus et permet de ressusciter avec grâce, ces vies bafouées. C’est une page de l’histoire qui jaillit de l’ombre, ramenant à la vie ces spectres volontairement écartés de la mémoire. Car, dans un pays profondément religieux et victime de 35 ans de dictature, le conditionnement mental est tel que l’on détourne le regard vers dieu, lorsque c’est l’enfer chez les autres, condamnés pour leur différence. Renate ne veut pas en rester là, elle veut comprendre pourquoi son père est resté dans le déni de ces atrocités infligées à son frère.
Face à face entre deux générations, révélant la silencieuse et secrète histoire du Paraguay
Dès les premiers instants du film, nous sommes plongés dans la quête éprouvante menée par Renate, se heurtant a la dureté du passé, à la rigidité des mentalités, à « ce cynisme, cette méfiance, et cette double morale » restés intactes chez les générations de la dictature. Avec son père, notamment. De longs dialogues soutenus entre la réalisatrice et son père, dignes « de l’affrontement des titans » dit-il. D’un côté son père, les préceptes religieux, la morale, les principes étroits, de l’autre Renate, qui tente de bâtir un pont de dialogue, d’apporter une vision autre tout en restaurant l’image de son oncle, d’apprendre à son père ce mot souvent intouchable qu’est la tolérance, et l’amour de l’autre au-delà des barrières. Des dialogues criants de vérité entre deux générations aux cultures, aux mœurs et aux visions opposées, mais dans lesquels Renate tente de tisser un lien honnête et de parler de la vérité. Car comprendre l’autre, c’est vital pour avancer : « Pour moi, Cuchillo de palo c’était une recherche, un film sur l’acceptation. »
Surtout, ne pas essayer de changer son père, ce sera vain de vouloir changer des mentalités conditionnées par presque un demi-siècle de dictature. Non, ce que Renate nous livre dans ce film fragile, c’est une ode à la tolérance. Mais c’est aussi un film polymétaphorique qui dévoile que malgré l’hypocrisie omniprésente et le rejet de l’autre -l’atypique-, quelque chose subsiste.
Et si finalement, ces frontières morales n’étaient qu’une façade ?
Scène finale. Un chien poursuit le camion du père de Renate. Animal dont son père « ne veut pas » affirme-t-il fermement. Pourtant, Renate l’a surpris, donnant précautionneusement une gamelle d’eau à ce chien jusque-là délaissé. Ces mentalités froides, dissimulées derrière d’innombrables préceptes religieux pourraient bien n’être que squelettes étouffant autour d’une pensée plus subtile et intègre.
Car même si l’on regarde ailleurs lorsque c’est l’autre, le différent, que l’on chasse, quelque chose nous pousse à rester là, à vouloir prouver tant qu’on le peut un amour certes refoulé, mais sincère. Le film s’achève sur fond de métaphores, dévoilant cette dualité morale à son paroxysme.
Pauline Bataille
Bloc-Notes
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