Interview
Bernard Garnier : "si l’on se contente de simples éco-gestes et qu’on laisse les pétroliers polluer la mer, on est à côté de la plaque"
Festival Longue-Vue : Ã Saint Nazaire du 15 au 26 novembre 2010
La Carène, représentée par son Vice Président Bernard Garnier, tente de créer une synergie entre les habitants et les politiques de la ville en matière de développement durable. Une chose loin d’être aisée dans une ville que l’on connaît surtout pour ses l’industrie lourde. Un fait : 2% des exploitants agricoles représentent 45 % du territoire.
La volonté du festival est de montrer à tous ses habitants que la Carène poursuit son action en faveur d’une agriculture pérenne. L’agriculture du 21ème siècle doit répondre à de nombreux défis environnementaux, sociaux et économiques qui impliquent une modification en profondeur des pratiques. C’est aussi pour susciter le débat entre la population et ses agriculteurs que Le festival « Longue-Vue » est initié.
Aujourd’hui, c’est une action culturelle qui s’inscrit comme l’une des composantes du développement durable au même titre que l’économie, le social et l’environnement. Le festival, qui s’est déroulé du 15 au 26 novembre, a permis via des projections gratuites de films documentaires, des débats et des tables rondes, de remettre au centre de l’agora la culture durable en tant que politique publique.
« Longue-Vue », un nom de festival bien trouvé qui met en exergue les ambitions de son organisateur. C’est dans une démarche d’éducation populaire que cette année plus de 1600 élèves de l’agglomération nazairienne ont eu accès à des projections et des rencontres avec des exploitants agricoles qui ont accepté bien volontiers d’ouvrir leur portes à ces jeunes. Dans une société de surconsommation et d’hyper-publicité, on reconnait bien là une façon ludique et sympa de montrer à nos enfants que radis et haricots verts ne poussent pas chez Leclerc !
Nous avons donc choisi de rencontrer Bernard Garnier, le porteur de la Longue-Vue pour évoquer avec lui les enjeux des cultures durables.
Fragil : De quelle idée est partie cette initiative de créer un festival sur le développement durable ?
Bernard Garnier : C’est un festival qui est né dans les années 2004 / 2005, nous en sommes à notre 4ème édition. Il est né pour susciter du débat dans la population autour de cette idée de développement durable qui à l’époque n’était pas encore tout à fait dans la culture nazairienne. Nous étions partis sur des thèmes très généraux pour sensibiliser, créer de l’échange, le tout organisé par l’action publique, ce qui explique l’accès gratuit aux salles. Le dernier en 2008 portait sur l’urbanisme.
Fragil : Pourquoi le développement durable vous semble-t-il si important et comment s’est opéré le choix du thème de cette année « Agriculture et alimentation » ?
Manger est un acte très quotidien et l’agriculture est un enjeu qui nous concerne tous.
B.G : Pour deux raisons, premièrement parce que manger est un acte très quotidien et que finalement l’agriculture est un enjeu qui nous concerne tous. Parce que ce festival s’adresse surtout à des publics scolaires et faire passer la notion de développement durable auprès d’eux par l’alimentation dans les cantines, la visite d’exploitations, la projection de films, c’est beaucoup plus alléchant et ludique. La nourriture est un thème extrêmement commun à tous les êtres humains. Ici sur la Carène, depuis 2004, nous avons mis en place une politique très active en matière de préservation de l’espace agricole qui passe par un engagement fort de densification de l’urbanisation en « reconstruisant » la ville sur elle-même. L’idée c’est de garantir une agriculture pérenne et de répondre au besoin de sécurité des exploitants pour un investissement durable. C’est très important aussi parce que cela nous interroge nous aussi, les urbains, sur notre façon de concevoir la ville. Nous avons adhéré à une association nationale qui s’appelle « Terres en ville » qui fait notamment un travail de recherche sur l’agriculture urbaine. Notre objectif est aussi de limiter la spéculation foncière en maîtrisant l’espace agricole et de promouvoir l’agriculture de proximité.
Fragil : L’éducation au développement durable devient un enjeu considérable pour les générations futures. Comment se traduit l’engagement de la Carène auprès des publics scolaires ?
B.G : Il y a deux sortes d’actions. Premièrement, 71 classes, 1600 gamins avec essentiellement des projections de film, en lien avec l’instituteur, et une animation avec le Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement (CPIE) dont c’est vraiment le métier. Deuxièmement, deux exploitants agricoles qui reçoivent une vingtaine de classes.
Fragil : Quels sont les objectifs d’une relation entre développement durable et culture ? Quelles sont les difficultés ?
B.G : Dans les pistes de travail que nous développons à St Nazaire, c’est effectivement sensibiliser au développement durable dans les manifestations culturelles ; alors ça passe par des gobelets consignés comme au festival des Escales par exemple. Moi je suis pour le pragmatisme, vous pouvez faire un agenda 21 avec 640 mesures, je n’y crois pas vraiment. Je préfère un agenda 21 avec des actions bien ciblées qui soient très concrètes pour que les habitants, à leur niveau, aient l’impression qu’ils peuvent jouer un rôle quant à l’évolution de la planète Terre. Il est évident que si l’on se contente de simples éco-gestes, et qu’on laisse les pétroliers polluer la mer, on est complètement à côté de la plaque. Ce qui a été intéressant à voir, pour nous, justement lors de la conférence de Copenhague c’est de voir que les collectivités locales du monde mènent beaucoup d’actions. En matière culturelle, au niveau du sport il y a aussi des choses à faire. Je sais qu’à St Nazaire, les équipes et entraineurs essayent par exemple de développer le covoiturage lorsqu’ils sont amenés à se déplacer. Maintenant, dans le sens noble du la culture comme on l’entend, quand on parle de culture et de développement durable, c’est bien à la culture de porter tous ces thèmes. Par tous les supports culturels on peut faire passer des messages, maintenant il faut faire attention, on ne va pas non plus mettre de l’écologie à chaque fois qu’on joue Shakespeare !
Le combat écologique et le combat social vont de concert.
Fragil : Pensez-vous que nous pourrions voir dans un futur proche à St Nazaire encore plus d’actions culturelles consacrées au développement durable ?
B.G : Je suis mal placé pour en parler, peut être, je ne connais pas assez le milieu culturel. Je pense quand même que la ville de Nantes pour des raisons de taille est plus en avance sur ces questions. Maintenant, le fait d’être une éco-métropole pourrait nous servir et devrait être développé. Si effectivement nous pouvons trouver des supports médiatiques et culturels qui traitent du développement durable c’est bien mais il ne faut pas tomber non plus dans un militantisme excessif. Voir Richard II sur fond de réchauffement climatique je ne suis pas sûr que ce soit idéal ! C’est très compliqué de faire des choix dans un festival comme celui de « Longue-Vue » par exemple, mais comme vous l’avez bien compris nous tenons à la pluralité des points de vue. La limite de ce festival est que nous n’invitons que des gens convaincus et c’est pour cela que nous ne choisissons que des films grand public.
Fragil : De par votre expérience et vos différentes responsabilités actuelles, comment jugez-vous les progrès du développement durable en général ?
B.G : Je pense généralement qu’en France on tient beaucoup de discours sur le développement durable, mais ce qui est le plus important c’est la mise en place des actions pour le développement durable. Il faut reconnaître que ça avance quand même. La politique par exemple du tri des déchets, c’est une action très pédagogique pour sensibiliser aux problèmes planétaires. Après, si on prend l’exemple des énergies alternatives, ça commence à avancer en France. La conscience écologique, c’est une notion qui a avancé dans la tête des gens. De plus en plus de personnes prennent en considération ces sujets là en installant des panneaux photovoltaïques, des chauffe-eaux solaires... La bataille des éoliennes prend une place de plus en plus positive. Quand j’ai commencé mon travail d’élu en 1989 j’avais dit une chose, c’est que « nos poubelles valaient de l’or ». Quand on parle par exemple de compost, aujourd’hui on réfléchit à l’installation de stations de compostage sur les quartiers. Finalement, c’est bien que l’idée fait son chemin !
Fragil : Quelle est votre vision de la ville de demain ?
B.G : Une ville vivable où il fait bon vivre, soucieuse de préserver les ressources de la planète et de créer du lien social. Parce que le combat écologique et le combat social vont de concert.
Il y a un travail considérable à faire sur la précarité énergétique, c’est un volet très important que nous entendons défendre. La ville de demain, elle sera vivable car elle sera construite de façon plus conviviale avec beaucoup moins de place pour la voiture. Il y aura plus d’endroits pour que les gens se rencontrent avec des espaces verts. Chez nous à St Nazaire, je pense que c’est une réussite d’avoir reconquis les friches industrielles. Ici, la culture du développement durable commence à prendre corps dans les politiques de la ville. Nous sommes quand même une ville marquée par la culture de la tôle et de l’industrie, mais tout ceci peut se développer par la volonté politique qui se nourrit par la mobilisation des citoyens.
Propos recueillis par Stéphanie Dupin
Photos par David Guihéneuf
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