Cabaret iconoclaste
New Burlesque : encore une petite Tournée ?
Du latin burla, plaisanterie, le burlesque désigne un comique outré qui consiste souvent à travestir les individus avec familiarité pour mieux provoquer les éclats de rire et dénoncer les travers du monde en toute légèreté. Quid du New burlesque, ce spectacle de Strip Tease du début des années 1990 ? La nouveauté est féminine : pour une fois, les femmes dirigent et expriment les femmes, ce sont elles qui tiennent -et sont !- les rê(i)nes du Show. Il y a quelques mois, Tournée, le dernier Amalric, met le doigt sur ce phénomène explosif bien qu’encore discret du cabaret New Burlesque dont les premiers pas furent nantais : nous avons voulu creuser le sujet. Rencontre avec Kitty Hartl, la productrice.
Ça court en riant, remue des seins en sautant, danse avec des paillettes dans un ballon, jette des dollars en l'air... Ça dépasse le tabou ; ça montre des corps autres que "grands et filiformes ; parce que ça, c’est vraiment le problème à Paris"
La serveuse du café Ménilmontant, à Kitty Harl, lui déposant son café : "Oh, j’adore votre rouge à lèvres, c’est la parfaite teinte, j’en cherche un comme ça depuis longtemps !". Kitty, lèvres purpurines, paupières nacrées et cheveux blonds, rit, ravie : "Vous voyez ! C’est n’importe où que ça se passe !"
Et en effet : quelque chose se passe. Qui flotte. Qui vole. L’énergie, l’ouverture, l’envie, la passion, la légèreté, tout se promène joyeusement. Kitty Harl claque des doigts pour insister sur certains mots, rit en jetant la tête en arrière, a une très forte aperture de mâchoire quand elle s’enthousiasme. Kitty Harl, surtout, est gonflée de projets et d’envies : productrice depuis de nombreuses années de musique et d’art contemporain, c’est elle qui a repéré les filles du Cabaret New Burlesque.
Un moteur à explosion made in USA
Il y a plusieurs années, à Los Angeles, elle assiste à plus de 150 strip-teases de New Burlesque avec l’intention de choisir quelques personnages bien affirmés pour former une troupe apte à tourner en France. Ce qu’elle recherche : un éventail de personnalités fortement colorées et expérimentées. Il s’avère que les personnages Dirty Martini, Julie Atlas Muz, Mimi le Meaux et Kitten on the Keys avec leurs corps diversement proportionnés et leurs univers musical allant du jazz des années vingt au rock’n’roll sont parfaitement appropriées - et sitôt engagées. Plus tard, le talentueux Rocky Roulette (et son -parait-il- "in-cro-ya-ble cheval") les rejoint. Plus tard encore, à l’occasion de Tournée et à la demande spécifique de Mathieu Amalric, la timide et douce Evi Lovelle complètera la troupe.
...qui tourne de manière artistico-politique en France
Avant de recevoir le prix de la mise en scène de Cannes 2010, le spectacle roule en France. Dans l’ouest de celle-ci, principalement (Mathieu Amalric a trouvé les filles au Hangar à Bananes). Les dates sont rares mais quand on permet à cette équipe artistique d’exploser, elle ne le fait pas à moitié : ça court en riant, remue des seins en sautant, danse avec des paillettes dans un ballon, jette des dollars en l’air... Ça dépasse le tabou ; ça montre des corps autres que "grands et filiformes ; parce que ça, c’est vraiment le problème à Paris". Plus de diktat ; ni de forme, ni de fond. Dans un show néo-féministe, les filles du New Burlesque (et leur "grand frère Rocky, en retrait et satisfait de l’être") investissent la pure ivresse du vivre à son gré.
Ne risquent-t-elles pas, alors, de se vautrer dans une légèreté inconséquente ? A quoi bon, pourrait-on se demander, encourager cette ivresse si elle n’est qu’un cachet à la Huxley, faisant passer le malaise sociétaire momentanément, le laissant éclater de plus belle le jour suivant ? Et Kitty Harl de déjouer ces ombres sceptiques en affirmant que joie ne signifie pas plus inconséquence qu’art ne signifie dorure anesthésiante. Le spectacle des filles du New Burlesque, s’il se veut avant tout prouesse artistique, n’en est pas moins une revendication politique. Preuve en est des assertions proférées par Kitten on the Keys en début de spectacle, à propos des actualités politique du jour même. Entre deux gammes enjouées, c’est en effet des failles de Sarkozy ou de Berlusconi que l’on (dé)chante.
"C’est une libération !"
Réaction du public à toutes ces audaces ? N’y a-t-il pas une certaine... gène ? "Non ! Pas du tout ! Une fois que c’est là (ndrl : que le programmateur a été assez ouvert pour accepter cette création) les gens sont joyeux, les gens se sentent bien ... Les défauts des corps deviennent des atouts, c’est une libération !", nous explique Kitty Harl, insistant de nouveau sur la violence symbolique qu’opèrent sur nous les corps prototype publicité ainsi que la sexualité tantôt voilée tantôt montrée de manière simpliste et crasse dans le seul but de choquer. L’impact de ce nouveau cabaret est donc éminemment positif. Il participe en effet de vaincre par la culture -en tant qu’ensemble des œuvres artistiques humaines- le malaise inhérent à la culture -en tant que vivre-ensemble normé- . La preuve étant qu’ [1] : "au festival de Naples, on a écrasé tout le monde ! (rires) Les spectateurs sont de tous âges, de toutes classes sociales : il y en a même plusieurs qui aiment tellement qu’ils reviennent !".
A voir : le portfolio du spectacle par Blandine Rinkel
Blandine Rinkel
Photos : Karl Giant et Larry Utley
[1] Malaise que Freud, notamment, pointait déjà du mot dans les années 1930 dans son ouvrage Malaise de la civilisation où il mettait l’emphase sur le renoncement pulsionnel auquel contraint la vie en société ainsi que sur la tension entre le ça, voué au plaisir, et le moi, qui cherche à respecter le normé...
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