Chronique Opéra
Explosion de vie à Lille, « Carmen  » mis en scène par Jean François Sivadier
En programmant la quatrième mise en scène d’opéra de Jean François Sivadier, l’opéra de Lille confirme sa fidélité envers cet artiste. Après une explosive « Dame de chez Maxim  » de Feydeau créée à Rennes, reprise au théâtre de l’Odéon à Paris puis en tournée, le metteur en scène offre une vision particulièrement vivante du chef d’œuvre de Bizet, dont les maitres- mots sont le jeu, l’intensité et le bonheur.
Jean François Sivadier a le secret pour créer un esprit de troupe sur chacun de ses spectacles, ce qui tient du miracle dans le cadre d’une représentation d’opéra quand on songe à toutes les contraintes du genre, à la plus grande brièveté du temps de répétition et au fait que les interprètes ne sont ainsi réunis que pour un spectacle.
Grâce à sa générosité et à sa passion, l’artiste parvient à créer du lien entre les protagonistes et à revendiquer pour chacun d’eux, même si le rôle est restreint, une importance égale sur le plateau. C’est sa manière de transfigurer l’éphémère et de faire d’un nombre de représentations souvent limité, un temps très fort pour les interprètes.
Ce phénomène de troupe a des conséquences sur la représentation car les artistes, habitués à se voir en dehors des répétitions, parfois autour d’un repas ou d’un verre, ont du plaisir à créer du jeu, à inventer ensemble et à faire des propositions. Il en résulte pour le spectateur de jolies surprises.
La réussite, pour cette « Carmen » lilloise est éclatante. Dès l’air d’entrée de la bohémienne « L ’amour est un oiseau rebelle », il y a un instant d’une touchante poésie. Carmen chante toute la première partie de l’air en s’adressant à un enfant et en lui tendant une pomme. Les enfants réunis pour le célèbre chœur de la garde montante ont une fonction beaucoup plus importante dans la durée du spectacle. Ils jouent merveilleusement et sont totalement investis dans ce qui se raconte sur le plateau. Ils sont un élément central de tout le premier acte, un acte brulant de fièvre et de désir. Au terme de quelque fête d’une chaude nuit d’été, dans une lumière extrêmement belle, on en ramène certains en les portant dans les bras pour aller dormir, dans un instant où chaque spectateur se revoit enfant. Cet échange sur scène est aussi le signe d’une enfance retrouvée pour tous, réjouissante.
Peut-être, après tout, devient-on metteur en scène pour garder l'esprit du coup de foudre, c'est à dire de la surprise du plateau. Peut-être que le théâtre, c'est avant tout cela : ne pas sortir de l'adolescence, y demeurer à l'infini.
La réflexion de Catherine Clément à la fin de la préface d’un livre consacré à une mise en scène des « fourberies de Scapin » par Jean Pierre Vincent prend ici tout son sens : « Peut-être, après tout, devient-on metteur en scène pour garder l’esprit du coup de foudre, c’est à dire de la surprise du plateau. Peut-être que le théâtre, c’est avant tout cela : ne pas sortir de l’adolescence, y demeurer à l’infini ». La scène des contrebandiers au troisième acte atteint également des sommets de joyeuse invention.
Raphaël Brémard, Tamino d’une touchante et lumineuse introversion dans « La flute enchantée » l’été dernier à Saint Ceré possède, outre ses qualités vocales, de formidables dons d’acteur. Il compose une figure du Remendado aux allures de rasta, qui explose dans une chorégraphie étourdissante et très belle, à la gestuelle pleine d’énergie, rescapée du groupe ACDC. Un tel croisement entre les genres amène des images pleines de vie.
On attend avec impatience ce que proposera cet artiste surprenant dans le rôle de Monostatos de « La flute enchantée » que Peter Brook va mettre en scène en novembre aux Bouffes du nord à Paris, avant des représentations qui passeront par Londres et New York. Ainsi, la liberté de Carmen se confond avec celle qui règne sur scène. Prête à en mourir pour la conserver, sa mort est avant tout un moment de théâtre sous les regards impudiques des choristes venus assister à la corrida : Opéra et corrida partageraient-ils un même combat, dans la passion d’un public assistant à la mise à mort de ses héroïnes ?
Un bonheur partagé
Louis Jouvet affirmait qu’être metteur en scène « ce n’est pas une profession, c’est un état. On est metteur en scène comme on est amoureux ». Il y a, dans la manière que Jean François Sivadier a de s’emparer des œuvres, quelque chose de l’ordre du coup de foudre, une évidence qui génère du jeu et du plaisir.
La troupe réunie à Lille pour ce spectacle répond à ce regard amoureux et se donne avec une énergie communicative, dans un état d’émerveillement, aux propositions qui sont faites sur le plateau. Stéphanie d’Oustrac, lumineuse « belle Hélène » puis « Périchole » pour Angers Nantes Opéra, déborde de vie dans une interprétation de Carmen passionnée et riche en nuances.
Jean Luc Ballestra, après avoir offert une composition d’une poétique et troublante ambiguïté de Cyprien dans « Yvonne princesse de Bourgogne » au Palais Garnier et à Vienne, est fascinant en Escamillo. Il parvient à donner de nouveaux contours à l’air très connu du « Toréador ». Il aborde ce chant avec de jolies nuances parfois proches du murmure et des accents mélancoliques. Paré de nouvelles couleurs, ce tube donne l’impression d’être entendu pour la première fois.
Jean-François Sivadier est un artiste qui mérite les plus belles maisons d'opéra du monde !
Durant le prélude du quatrième acte, avant la corrida, on assiste à la préparation du torero, dans un beau moment de théâtre. Cette mise en condition n’est pas si éloignée de celle de l’acteur, avant d’entrer en scène. Le plaisir du public est perceptible dans la salle et les spectateurs sortent du spectacle radieux et souriants.
Jean François Sivadier a quelques beaux projets. Il va reprendre sa bouleversante vision de « Madame Butterfly » vue à Lille et à Nantes en 2004 à l’opéra de Dijon à la rentrée et il mettra en scène « La Traviata » au festival d’Aix en Provence en 2011, une perspective réjouissante pour cet artiste qui mérite les plus belles maisons d’opéra du monde !
Chronique : Christophe Gervot
Photos : Frédéric Iovino
A noter :
Reprise de cette mise en scène de Carmen à Caen les 12,14,17 et 19 octobre 2010
- « La dame de chez Maxim » de Feydeau sera repris dans le cadre du festival « Paris quartier d’été »du 15 au 31 juillet au théâtre Sylvia Montfort. Réservations à partir du 15 juin sur www.quartierdete.com et à la FNAC.
- « Madame Butterfly » de Giacomo Puccini mis en scène de Jean François Sivadier (Reprise de la production de 2004 créée à Lille) à l’opéra de Dijon les 24, 26,28,30 septembre et 2 octobre 2010.
- « La flute enchantée » de Mozart mise en scène par Peter Brook avec Raphaël Brémard dans le rôle de Monostatos : Paris- Bouffes du nord : du 9 novembre au 31 décembre 2010 ; Luxembourg : du 11 au 15 janvier 2011 ; Besançon : du 19 au 21 janvier 2011 ; Amiens : du 26 au 28 janvier ; Grenoble : du 1er au 5 février 2011 ; Caen : du 9 au 13 février 2011 ; Milan : du 22 février au 19 mars 2011 ; Londres : du 23 au 27 mars 2011 ; avant Bilbao, Madrid, Amsterdam et New-York.
Bloc-Notes
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