
Au RMI après une école de commerce
Les désillusions d’une jeune diplomée
Au RMI depuis 3 ans, après être sortie toute fraîche et confiante d’une école de commerce, Sophie Talneau, a eu plus de chance dans la jungle de l’édition que dans ses face-à - face avec les recruteurs. La jeune auteure sort actuellement son premier livre "on vous rappellera- une Bac +5 dans la jungle du recrutement", écrit dans sa deuxième année de chômage.
Le livre se présente sous la forme d’une galerie de portraits de recruteurs et autres acteurs de l’emploi vus par une demandeuse d’emploi. L’auteure y relate avec "humour" une trentaine d’entrevues vécues sur une période de trois ans, de la fin de ses études à la remise du manuscrit.
Une expérience individuelle qui pointe du doigt un phénomène de société...
Au delà des portraits et situations dressées, l’intérêt d’un tel livre réside dans le parcours de vie de l’auteure, qui montre que les diplômes, même les plus prestigieux, ne sont plus une garantie contre le chômage. Transversalement à la succession de portraits, on entrevoit la confrontation de deux univers : celui de la réalité des opportunités d’embauche et celui de la bulle optimiste d’une grande école, incarnée par l’auteure, où on entretient la certitude du diplôme et où la perspective du chômage est peu envisagée.
Ayant bien appris cette leçon, Sophie Talneau aborde d’abord l’expérience du chômage avec confiance. Elle démissionne de son premier emploi en 2001, sans inquiétude car certaine de la valeur de son diplôme, "un des meilleurs existant en France", certaine aussi de l’appartenance à "l’élite de la Nation", et déclare que "quand on sort d’une grande école, on ne se brade pas". Mais, bien que déterminée, ses certitudes s’effritent à l’épreuve de la réalité quand elle fait l’expérience du chômage de longue durée. Elle doit alors faire "le deuil de ses illusions"et essuyer, à chaque entrevue, les reproches culpabilisants des acteurs de l’emploi quant au crime de lèse- embaucheur que constitue son auto-licenciement.
Parallèlement au temps qui passe, s’accèlère la dévaluation du CV et la marche vers l’inemployabilité. C’est là que Sophie Talneau découvre l’univers de l’écriture. Cet acte d’écrire est à la fois un moyen de se reprendre en main, "un acte positif, comme une thérapie" et l’occasion d’une redéfinition de son projet professionnel. En effet, elle ne projette plus aujourd’hui de travailler dans le marketing mais pense à une réorientation dans le domaine de l’écriture et du journalisme. Cette redéfinition du projet initial n’est possible qu’avec le temps : "il faut du temps pour accepter, surtout quand on sort d’une école de commerce".
... mais le style sonne creux
Il ne faut pas chercher dans ce livre des informations sur le chômage lui-même, car c’est à travers le prisme de la naïveté, sans distance sur les faits, que Sophie Talneau entraîne le lecteur dans sa découverte du monde du chômage. Ce n’est peut-être pas là l’objectif d’un témoignage qui adopte l’angle du vécu et non celui de l’analyse. Mais un des traits caractéristique du livre (notamment dans sa préface), consiste à mêler des propos issus de l’expérience individuelle à des propos généraux objectifs, tels que des données statistiques en bas de page. Or, les données générales qu’elle avance comme des révélations (elle prévoyait d’intituler son livre "les coulisses du chômage")font figure de lieux communs (plus de CDD que de CDI, le cercle vicieux de absence d’expérience= absence d’emploi= absence d’expérience). Ceci d’autant plus que ces données sont reprises telles quelles et juxtaposées, ce qui ne suffit pas à bâtir une analyse.
D’autre part, la spécifité (et l’argument promotionnel)du livre est son style "humoristique". Interrogée sur ce choix, l’auteure répond : "on dit que l’humour, c’est la politesse du désespoir, c’est une façon de dédramatiser, je ne voulais pas me montrer de manière trop négative".
Même si on comprend les bienfaits de la dédramatisation au niveau psychologique, l’autodérision prive le lecteur d’un témoignage dans l’intensité du vécu, de l’expérience qui est faite du chômage. Quand on lui demande d’intervenir sur le vécu psychologique de son expérience, elle déclare : "si, je me suis remise en question, j’en parle peut-être pas suffisamment". Et bien oui ! on aurait aimé en savoir plus, effectivement...
L’autre limite à l’exposition de ses expériences des entretiens d’embauche en forme de sketches est le compte-rendu superficiel de la situation. On en rit ( ?) (si on est sensible à l’humour aux phrases à l’emporte pièce) et par là on annule une analyse des mécanismes en oeuvre dans le recrutement. Dans un chapitre consacré à une rencontre avec un conseiller de l’emploi, elle écrit : "je n’ai pas vraiment de style, je n’ai pas écrit un roman, juste un récit".
Espérons que le style aura mûri pour son prochain livre qu’elle aimerait écrire sur le thème de l’entreprise. Pour prévenir des fausses pistes sur lesquelles pourraient nous emmener l’annonce de ce thème, elle déclare : "attention, je ne suis pas Corinne Maier !". En lisant la ferveur avec laquelle cette RMIste part à la conquête de l’emploi, on avait compris qu’elle n’était pas adepte de l’autre congrégation en matière de "valeur travail", celle des anti-boulot que représente Corinne Maier donc, auteure de "Bonjour Paresse", qui elle donne les recettes pour en faire le moins possible en entreprise.
Aurélie Bouchard.
Repère : Sophie Talneau, "on vous rappellera", Hachette Littératures.
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