Opéra : vertiges baroques
«  Le couronnement de Poppée  » mis en scène par Christophe Rauck
En intégrant la création du «  Couronnement de Poppée  » de Claudio Monteverdi à la programmation du Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis, dont il est le directeur depuis janvier 2008, Christophe Rauck a créé l’évènement, en sortant l’opéra de son cadre habituel et en lui faisant rencontrer un autre public.
Les spectateurs du Grand T ont découvert le travail de cet artiste à travers ses visions flamboyantes du « Dragon » de Eugueni Schwartz (2004), du « Revizor » de Gogol (2005) et de « Cœur ardent » de Ostrovski (2009), son spectacle inaugural à Saint Denis. On lui doit aussi un « Mariage de Figaro » d’une énergie incroyable à la Comédie Française (2007). Il a su faire de ce « Couronnement de Poppée » un éclatant moment de théâtre, aux résonances très actuelles.
Contrastes fascinants et poétiques
Inspiré d’un épisode des « Annales » de Tacite, qui relate les amours éphémères de Néron et de Poppée, « Le couronnement de Poppée », ultime opéra de Claudio Monteverdi (1642), frappe par sa construction narrative et par les qualités littéraires du livret de Francesco Busenello.
Nous sommes encore très proches de la naissance de l’opéra mais ici, chaque détail participe, dans la partition comme dans le texte, à exprimer des sentiments et à construire des situations dramatiques fortes, ce qui est très moderne pour l’époque. Parmi celles ci, la mort de Sénèque et les adieux à Rome d’Octavie sont des instants d’une douloureuse beauté. Comme souvent dans l’opéra baroque, l’œuvre représentée est l’illustration d’un débat moral entre des figures allégoriques, en un troublant jeu de théâtre dans le théâtre. La Fortune, la Vertu et l’Amour se querellent pour déterminer laquelle des trois gouverne le monde. L’arrivée de la Vertu, en fauteuil roulant, oriente le débat mais les contradictions des êtres amènent des réponses en perpétuel mouvement. Et c’est par ces contrastes, véritables intermittences de l’âme, que cet opéra séduit et fascine.
La gravité et la profondeur se prolongent et se métamorphosent en des épisodes plus légers, ce qui amène un savoureux mélange des genres. Les femmes jouent des hommes (Fascinante incarnation du tyran romain par Maryseult Wieczorek), des contre-ténors prêtent leurs vocalises aériennes et irréelles à des figures d’amants éconduits (Paulin Bündgen trouble et émeut en Othon) et des hommes se travestissent en confidentes (Truculente Arnalta de Jean-François Lombard). Entre figures allégoriques et personnages historiques, tragédie et comédie, apparences et réalité, l’œuvre rôde dans des régions mouvantes : de cette confusion jaillit un théâtre total.
Entre figures allégoriques et personnages historiques, tragédie et comédie, apparences et réalité, l'œuvre rôde dans des régions mouvantes : de cette confusion jaillit un théâtre total.
Feuille d’or vénitienne et Dolce Vita romaine
« Le couronnement de Poppée » a été créé en 1642 à Venise, au Teatro San Giovanni e Paolo. La mise en scène de Christophe Rauck porte des traces de cette présence vénitienne : une gondole, quelques masques ou tout simplement le rideau doré qui enlace le couple d’amants au terme de l’ultime duo, à la mélodie enveloppante, en une affirmation de toute puissance du théâtre.
Au début de la seconde partie du spectacle, alors que la tragédie est en marche et que Sénèque, sur l’ordre de Néron, a déjà mis fin à ses jours, un adorable duo, plein de légèreté, sert de contrepoint à la chaîne des amours, impossibles ou frustrés,qui traverse l’œuvre, comme pour nous rappeler que toute chose se définit aussi par son contraire et que rien n’est jamais figé. Ce duo qui parle d’innocents jeux amoureux est chanté par les deux valets sur une Vespa, posée contre un mur qui reproduit des images de vacances à Rome, dans des costumes qui évoquent « La Dolce Vita » de Fellini. Plus tard, Drusilla, aveuglée par son amour pour Othon, exprime son bonheur de l’instant présent dans une aria débordante de vie, où le mot « Felice » est récurrent.
Le second air d’Octavie (pénétrante Françoise Masset) en revanche, répudiée de Rome par l’empereur, est une plainte bouleversante, qui retentit comme un chant de mort. Au cœur de ces émotions contrastées, le fil conducteur est la trajectoire de Néron, monstre accompli que Racine, dans « Britannicus » nous montrait à l’état naissant.
Un monstre accompli
Les amours de Néron et de Poppée sont ponctués de répudiations et de morts. L’un des sommets de l’opéra est la mort de Sénèque, devenu un obstacle aux désirs de l’empereur. Autour de lui, ses disciples le supplient, par des accents déchirants , de ne pas mourir, de ne pas obéir aux injonctions de Néron.
Christophe Rauck a ajouté sur le plateau des livres, que le philosophe ramasse et range, comme pour mieux se préparer à mourir. Dans une faible lumière éclairée par la bougie, Vincent Pavesi apporte une présence d’une bouleversante humanité à cette figure stoïcienne. Il confère à cet ultime renoncement des accents d’une profondeur qui atteint et fait mal, un timbre de basse éclatant, une présence solaire et un jeu d’une saisissante vérité, comme un ultime éclat de lumière, avant que ne s’abatte sur Rome un pouvoir désormais sans limites. Une composition qui marque ! Après la mort de Sénèque, le rythme s’accélère vers un dénouement chargé de menaces.
L’ultime duo d’amour est d’une pénétrante sensualité mais il repose sur tant de machiavélisme qu’il en devient inquiétant. Tacite nous apprend, dans ses annales, que l’ambitieuse Poppée succomba trois semaines après son mariage, d’une violence de son tyrannique époux. Le vertige baroque se poursuit par delà le jeu de miroirs que cet opéra nous renvoie de la vraie vie.
Jérôme Correas, à la tête des Paladins, dirige l’orchestre comme s’il s’agissait d’un chœur antique, soutien de l’action, présence joyeuse ou compatissante, respiration et battements de cœur d’une troupe particulièrement attachante. Il apporte des couleurs qui sont celles des variations de l’âme et de subtiles nuances à un spectacle à ne pas manquer, dans l’une des villes prévues par la tournée.
Christophe Gervot
- Opéra de Claudio Monteverdi(1642) ; Direction musicale : Jérôme Correas ; Mise en scène : Christophe Rauck
Dates de la tournée :
- 9 avril 2010 : Théâtre Romain Rolland- Villejuif
- 5 octobre 2010 : Cergy
- 8-9-10 octobre 2010 : Opéra de Rennes
- 13 octobre 2010 : Le grand théâtre- Lorient
- 22 octobre 2010 : Théâtre La Coupole- Saint Louis (Alsace)
- 11 et 12 février 2010 : Poitiers
- 18 février 2010- Tarbes
- 8-9-12-13 Mars 2010 : Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis
- 19 mars 2010 : Opéra de Massy
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