Rencontre avec
Dieudonné : Humoriste, levez-vous
Farce, quenelle et rire conscient
Rire de tout, et ruer dans les brancards de la censure. Dieudonné l’humoriste est devenu en quelques temps l’ennemi public infréquentable. Il revient avec Sandrine, son dernier spectacle, et nous l’avons rencontré. C’est l’occasion de parler sans garde-fous ni enjeux de la subversion ainsi que la lutte acharnée pour sa liberté d’expression.
Face à un humour consensuel, il choisit de glisser des quenelles. Chez Dieudonné, la quenelle c’est l’extrême provocation, celle de l’antisémitisme et de Faurisson. Face à la « censure culturelle » qu’il dénonce, il agite le chiffon rouge et provoque sur le fil du rasoir ; Pour beaucoup, il se prend les pieds dans le tapis. La scène, espace au-dessus de la mêlée, s’affaisse et l’homme de scène ne fait plus rire : pire, ses propos publics et quelques incartades politiques mal senties le font disparaître loin de la culture médiatique.
La soif du spectacle
Pourtant, il faut continuer de tourner. Les salles refusent Dieudonné, l’industrie culturelle ferme ses portes. Il récupère un bus scolaire et en fait sa nouvelle scène itinérante, le Dieudobus. « Un an à jouer devant 70 personnes ». Il sillonne la France pour aller à la rencontre d’un certain public resté fidèle. Alors que Dieudonné joue deux à trois fois le même spectacle chaque soir, les arrêtés municipaux pour l’empêcher de jouer le suivent à la trace de villes en villes. Il s’obstine, au nom de la liberté d’expression. Des personnages publics le présentent comme un danger pour la démocratie, il choque en rencontrant Mahmoud Ahmaninedjad.
Des personnages publics le présentent comme un danger pour la démocratie, il choque en rencontrant Mahmoud Ahmaninedjad.
A l’heure où Dieudonné revient dans certaines salles, le discours évolue légèrement : « Les meilleures blagues ont une fin » . L’homme aurait-il fait dans le compromis ? « Je reste fidèle à mes convictions, mais je passe à autre chose » . Pourtant, pour se produire dans les salles, « c’est toujours le même bras de fer » lance Azouz, le nantais qui organise la soirée. « Le tribunal administratif, on est habitué ». A Orvault, le maire a porté la décision jusqu’au Conseil d’Etat. Dieudonné obtient finalement le droit de jouer à l’Odyssée. La date ne sera pas annoncée sur le site mais les deux représentations seront complètes. « Une belle quenelle ». Quasi-absent des médias mais cité partout : il utilise la machine médiatique en devenant sa bête noire. Dieudonné fait de la rumeur un mythe médiatique invérifiable, comme lorsqu’il annonce que le parrain de son fils est Jean-Marie Le Pen. Pour provoquer, il concocte ce qu’il baptise les « bombes artisanales médiatiques », faîtes pour entretenir la figure du trompeur public, gouailleur-beauf à souhait.
Le rire conscient
Farceur politique et sociétal, il se revendique autant de Molière que de Mohammed Ali. Le premier pour exploiter les travers d’une « démocratie limitée » et le second auquel il reprend le célèbre « voler comme un papillon et piquer comme une guêpe ». Le bouffon tape juste et ne fait pas que dans la provocation. Certains l’auraient presque oublié. Il donne en spectacle les travers d’une société où la crise - des consciences - vient stigmatiser les comportements individuels.
Au travers du prisme Sandrine, c’est en fait une immense bouffonnerie que Dieudonné donne à voir, où chacun poursuit son intérêt personnel
Son dernier spectacle s’appelle Sandrine. Dieudonné nous dit vouloir s’intéresser aux rapports entre hommes et femmes. Au travers du prisme Sandrine, c’est en fait une immense bouffonnerie que Dieudonné donne à voir, où chacun poursuit son intérêt personnel : la Justice ne juge pas bon de perdre du temps pour un alcoolique insolvable, les journalistes se gaussent de la journée de la femme en filmant Sandrine, femme battue, en pleurs à la sortie du tribunal. Patrick, compagnon de Sandrine et héros d’un précédent spectacle, Le Divorce de Patrick, rejoint le Mouvement contre l’Impérialisme Féminin, groupuscule transnational machiste. Chaque personnage est renvoyé à sa propre bêtise et à ses limites d’appréhension de l’autre, de l’étranger. Quitte à remuer le couteau dans la plaie.
Rire envers et contre tout
« Le rôle de l’humoriste, est d’appuyer là où ça fait mal ». Si on ne peut pas rire de tout, alors Dieudonné doit rire de tout. Pendant notre rencontre, Azouz, qui s’est battu trois mois pour faire venir Dieudonné, martèle un « on a jamais vu ça en France, c’est incroyable ! ». « Regarde Desproges, il s’est pas fait censurer comme ça ! ». Nous sommes pris à témoin de la censure, du contrôle. Dans la loge, le contraste est saisissant entre Dieudonné, flegmatique et Azouz, électrique. Concernant cette censure, Dieudonné y voit surtout un changement d’époque. La subversion n’est plus synonyme de liberté d’expression mais de mauvais esprit. Jacky, compagnon de toujours qui avait remis le prix polémique à Faurisson, entre dans la loge, « tu es prêt ? ».
Le spectacle est dans une heure. On se serre la main. Déjà, une poignée de spectateurs attend. Face au miroir, Dieudonné remet son khefi. Azouz est accroché à son téléphone, en train de gérer la sécurité et vendre les dernières places. La salle se remplit, et juste avant que les lumières se baissent, le public de curieux et d’admirateurs convaincus a répondu présent. Loin des circuits culturels, Dieudonné a réussit à faire parler de lui et à rencontrer le public. Un vrai pari, en soi. Les meilleures blagues ont une fin ; ça, il nous l’avait déjà dit.
Rencontre et article : Romain Ledroit
Photographies : Patrice Molle
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