
Des couleurs sur nos préjugés graphiques
Festival HipOpsession
L’exposition « Spray can control  » a élu domicile pour une soirée dans un grand loft peuplé de graffitis, d’artistes, où les curieux sont venus admirer les Å“uvres exposées. Explications de trois graffeurs sur cet art méconnu .
Reso : « le graffiti toujours associé à la liberté »
Reso a tissé sa toile d’amis en partageant des moments face aux nouvelles pages blanches urbaines : les murs. Chaque grapheur a un thème de prédilection, le jeune homme a choisi les lettres de l’alphabet, nouveau langage qu’il se réapproprie. « J’essaie de les faire de manière très personnel, de les bouger, de les transformer. Mais tout cela doit rester un plaisir, sans obligation ». La notion de liberté revient dans tous les propos des graffeurs comme la condition ultime de création. Aucune contrainte ne doit s’interposer. Leur credo est résumé par Reso lui même :« tout ce qui est blanc est pour toi ». Cependant, il reste conscient de la frontière imposée et des tensions qu’il est susceptible de créer, assurant également que son but n’est pas de « démocratiser le graffiti ».
Art clandestin, qui se reconnaît ainsi, le graffiti fleurit en liberté et n’aime pas être oppressé. Reso montre son impatience : « dès l’exposition terminée j’irai retrouver les graffeurs nantais qui ne participent pas à cette manifestation pour poursuivre nos œuvres dans notre vrai espace de création. » Rezo sait le risque qu’il prend : « J’aimerais que les gens comprennent que nos bombes ne sont pas des armes au sens où ils l’entendent. »
Alëxoua : « une démarche d’artiste »
Ce deuxième interlocuteur ressemble au premier passionné : « Je ne sais pas au juste qui va être touché par cette exposition. Je fais juste ce que j’ai envie de faire. J’ai trouver ma façon de s’exprimer et elle s’est imposée comme une évidence. » Le graffiti nouvel art libre et gratuit, proposé au regard de tous ? « Finalement, malgré les critiques, beaucoup de gens voient chaque jour tous ces lettres déformées. Nous mêmes nous ne sommes pas conscients lorsque nous dessinons que nous allons toucher autant de gens. » Ne pas s’hasarder à donner une définition trop simpliste du graffiti n’empêche pas de s’interroger sur ce qui pourrait bientôt être reconnu comme un nouvel art.
Ainsi, un long processus, une maturation de chaque œuvre est nécessaire. « Je prends les couleurs les plus moches. J’ai évolué en commençant comme tout le monde par des couleurs éclatantes pour m’intéresser aujourd’hui au kaki ou à des teintes que nous n’avons pas l’habitude de voir ». Ces grapheurs parlent tous d’un progrès, d’une plus grande maturité entre la période où adolescents ils traçaient leurs premiers traits et leurs œuvres actuelles. « Je pense avoir dépassé mon mal d’ado qui m’a poussé à commencer. Quoique... ». L’époque des tags sans couleur tracés rapidement semble révolue pour ces artistes qui désormais peuvent passer du temps sur chaque graff pour le retoucher. Certains, tels qu’Alëxoua, cèdent même à leur penchant perfectionniste : « Je peux rester sur un graff pendant longtemps. Il faut s’écouter mais aussi savoir arrêter, canaliser le hasard. » Quant au lien entre graffiti et hip-hop lui aussi à l’honneur dans cette soirée, les graffeurs affirment que ce mouvement, attaché lui aussi à l’idée de liberté, a été associé à cette culture graphique pour constituer un ensemble ouvert à tous, où les deux communautés échangent entre elles.
Popay : « une alternative aux autres arts »
Les lettres ne sont pas les seules victimes. Les visages, les personnages sont aussi amicalement "bombés" par des grapheurs comme Popay. Difficile pour lui de lâcher la bombe même pour une interview. Son parcours le distingue de ses partenaires : après plusieurs tentatives échouées pour rentrer à l’école des Beaux-Arts, il se dirige vers le graffiti, convaincu que cette nouvelle voie peut « remettre en question le marché de l’art ». Il dresse en quelques mots et quelques traits un portrait de l’origine de ces dessins de rue et de la philosophie qu’ils véhiculent.
Selon lui, ce mode d’expression hérite à la fois du Moyen Age du blason, des lettres gothiques et des années 70 développant l’idée d’éphémère. « Nous utilisons les propres armes de la société de consommation pour les détourner. Nous faisons nous mêmes nos propres marques, nous nous réapproprions l’espace publique. » Comme Reso, il insiste sur la nécessité de conserver l’aspect « sauvage » de cet art. Quand d’autres choisissent de militer, eux préfèrent se manifester par une « réaction typographique » pour résister à l’uniformisation, « un retour à l ’alphabet » pour retrouver le vrai sens de notre langage.
Au nom de la libre expression,les amateurs du graffiti se sont multiplié et les villes sont désormais en permanente floraison par n’importe quelle saison. Popay avoue qu’il a été récupéré par la mode, intégré lui même dans le mode de vie qu’il souhaitait combattre mais le graffeur se considère encore comme un clandestin qui ne néglige pas la forme de base : le tag. Un message peut être adressé à toutes les personnes découvrant sans joie un tag et ne sachant comment « apprécier » ce nouvel élément arboré par le mur voisin : le tag (sans couleur, moins dense et riche que le graffiti) obéit aux mêmes critères que la calligraphie, la spontanéité gestuelle et le respect de la lettre est le critère nécessaire pour l’apprécier. « Chacun peut exprimer sa personnalité avec une lettre. Pendant longtemps j’ai beaucoup travaillé les lettres de mon nom, le P particulièrement mais au fond j’aime toutes les lettres. »
Tag et graffiti mènent donc un même combat de revendication et de réaction au multimédia. Face à l’ordinateur et aux images virtuelles, les grapheurs opposent et exposent leurs œuvres dans la rue. Toutefois internet apparaît à leurs yeux comme une nouvelle page blanche à remplir, un espace aux possibilités multiples, à leurs yeux, presque un nouvel espace vierge « digne de celle de l’Amérique » « Le graffiti se passe d’intermédiaires, pas besoin de galeries. Comme la BD, considérée un temps comme une sous-culture, je suis convaincu que le graffiti sera reconnu un jour. » En attendant ce temps attendu par Popay, a chaque œil de chercher au détour d’une rue une couleur ou un graffiti qui suscitera notre intérêt. Servez vous l’exposition est gratuite...
Chloé Vigneau
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