
Rencontre à l’Olympic pour les 20 ans de Warp
Bibio, la nouvelle âme sensible de Warp
Bibio arrive chez Warp avec son identité propre, puisant dans de larges horizons musicaux pour composer une musique envoà »tante. Son passage à Nantes pour la tournée des vingt ans du label était l’occasion d’aller voir qui se cachait derrière cet homme énigmatique aux multiples influences.
Bibio fait partie, avec des artistes comme Flying Lotus, Hudson Mohawke et, depuis peu, Nice Nice, de ces nouvelles signatures du label de musiques électroniques Warp. Cela fait vingt ans que la ligne de conduite de cette célèbre maison établie à Sheffield est de surprendre sans cesse son auditoire et Bibio ne fait pas exception. On avait pu découvrir Steve Wilkinson avec ses trois précédents albums sur le label Mush, mais sa musique s’est étendue à un plus large public depuis son arrivée chez Warp.
De Steve Reich à J Dilla
A l’écoute de son album Ambivalence Avenue et de sa suite The Apple And The Tooth, sorti le 16 novembre, l’auditeur est plongé dans un univers lumineux qui évoque immédiatement une ballade en pleine nature, où l’on rencontre des artistes oubliés dans les bacs des disquaires. « Ambivalence Avenue a été très influencé par la pop et le funk du Brésil des années 70, très ensoleillés, mais aussi par Sly And The Family Stone, Simon & Garfunkel. "The Palm Of Your Wave" par exemple est influencée par Nick Drake ou Neil Young. Mais parmi toutes les influences de l’album on peut aussi retrouver des artistes modernes comme J. Dilla, des artistes Warp comme Clark, Plaid ou Aphex Twin. Je m’inspire quand même principalement d’artistes des 60’s ou 70’s, auprès desquels je puise cette volonté de sonner très vintage, parce que le point le plus important dans ma musique est la qualité du son. » Une recherche sur la qualité du son qui pousse ce multi-instrumentiste (guitare, basse, piano préparé, percussions avec objets en tout genre) à faire de multiples expérimentations, faisant usage de son ordinateur comme d’un magnétophone, et travaillant essentiellement sur des sons audio qu’il crée et séquence à loisir sur sa MPC [1]. Une façon de composer qui, même s’il utilise des instruments acoustiques, le place dans le genre électronique. Une étiquette qu’il assume pleinement. « Je structure mes morceaux à la manière d’un musicien électronique, j’essaie de penser en termes de séquences. J’ai d’ailleurs beaucoup appris en écoutant Steve Reich qui, pour moi, pensait comme un musicien électronique bien avant que la musique électronique n’existe sous la forme qu’elle a maintenant. »
Inspiration et expiration
Sa nouvelle signature sur Warp, outre le fait d’être enfin entouré de ceux qu’il adore depuis longtemps, lui donne aussi le temps de composer librement. « J’inscris maintenant plus le travail de ma musique dans la durée alors qu’avant je devais parfois travailler jusqu’à 12h par jour avec mon job ; d’ailleurs je ne pense pas que ce soit la meilleure façon de faire de la musique. On a besoin de sortir, d’écouter de la musique, de voir du monde. Parfois je vais juste faire des courses et je pense à une quelconque idée technique, je rentre, je l’essaie et ça marche. Mais si tu te lèves le matin, que tu allumes tout ton matériel et que tu te dis "Ok, je vais écrire une chanson !", ça peut être très compromis et ça ne sera de toute façon pas naturel. C’est comme si on avait besoin d’inspirer et d’expirer, sinon on sature. »
Si tu te lèves le matin et que tu te dis "Ok, je vais écrire une chanson!", ça peut être très compromis et ça ne sera de toute façon pas naturel.
Amoureux de la nature
Steve Wilkinson tire son nom d’une espèce de mouche, le bibio, dont son père se servait pour aller pêcher avec lui. Cette relation à la nature, à la naïveté enfantine, s’exprime aussi bien dans sa musique que dans sa philosophie, inspirée par la pensée orientale. « Les êtres humains sont les produits de la nature comme les arbres, les poissons ou la pluie. Je ne vois pas mon environnement comme un monde extérieur dont je serais l’observateur. Lorsque les enfants découvrent la beauté de la nature, ils en sont toujours émerveillés, et elle a toujours un énorme impact sur eux, c’est ce sens du merveilleux que j’essaie de retrouver. Je n’aime pas vraiment les villes, elles sont tellement en décalage avec la nature : elles sont souvent sales, polluées, bruyantes. Et c’est aussi pour ça qu’elles deviennent violentes et dangereuses, parce que les gens qui y vivent sont entourés par le laid. Ils deviennent donc laid, en eux. En comparaison, la campagne a toujours un effet magique et rassurant sur moi. » Bibio ne vient pourtant pas de la campagne, mais d’une banlieue, Black Country, qui doit son nom à l’importante activité minière de l’ère industrielle. Son goût pour la nature se serait développé dans sa petite enfance, alors qu’il allait dans les vallées d’Ecosse, à deux heures de chez lui. « C’est tellement différent de l’endroit d’où je viens. C’est peut-être pour ça que cela a eu autant d’impact sur moi, et que je me sentais vraiment heureux dans ce genre d’endroits. »
Mes chansons parlent de la pomme qui est arbre, de l’arbre qui est sol, et du sol qui est aussi l’homme, mais dans une forme moléculaire différente.
Connecté au monde
On peut d’ailleurs retrouver cet état d’esprit dans le titre même de ses albums. The Apple And The Tooth est en effet une métaphore sur cette supposée séparation que l’homme a établie avec la nature. Une séparation qui n’est pour lui qu’une magnifique illusion. « Mes chansons parlent de la pomme qui est arbre, de l’arbre qui est sol, et du sol qui est aussi l’homme, mais dans une forme moléculaire différente. Je ne suis pas athée, mais je ne crois pas que le monde a été créé et que l’on a été placés ici. Je crois que nous sommes tous des fruits de la Terre, comme la pomme l’est de l’arbre, métaphoriquement. Cette idée était très claire en moi, j’ai alors lu des choses presque identiques écrites par Allan Watts, un philosophe anglais du XXe siècle, qui a beaucoup fait pour la diffusion de la pensée orientale et notamment hindoue. Celle-ci voit notre univers comme une tragédie, plutôt que comme une création. » Une philosophie qui influe évidemment sur la façon qu’a Bibio de composer sa musique. Pour lui la musique est une forme abstraite qui n’a pas de sens particulier, ses paroles sont des sortes de poèmes parlant des choses. Une vision bouddhiste de voir le monde qui laisse à l’auditeur le soin d’utiliser sa musique pour créer sa propre histoire.
Un philosophe clubber
Être un musicien philosophe ne l’a pas empêché de produire un set survolté lors de son concert à l’Olympic. Un dj set progressif qui l’amènera à mixer des sons de son nouveau label Warp, comme Harmonic 313, et jusqu’aux bombes dancefloor d’Ed Banger. Alors, Bibio garderait-il tout de même une âme de clubber ? « Je suis un grand fan des Daft Punk, particulièrement la période 96, 97 avec le label Crydamour [2], et j’aime aussi les nouveaux trucs d’Ed Danger, de Justice, de Mr Oizo ou de SebastiAn… Il y a un ce son bien défini en France auquel j’adhère depuis longtemps, mais je ne suis pas vraiment un fan de house, mais plus certainement un fan de house française ! »
Jean-Paul Deniaud
Photos : Renaud Certin
Page myspace de Bibio
Site du label Warp
Site de l’Olympic, salle de musiques actuelles de Nantes
[1] Séquenceur.
[2] Label house de Guy-Manuel de Homem Christo, moitié des Daft.
Bloc-Notes
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