De la déchirure à la réunification
Le Théâtre en RFA et en RDA
En 1949, l’Allemagne est divisée en deux. Création de la RFA à l’ouest et de la RDA à l’est. Si Berlin est déjà divisé lui aussi dès 1948, il faut attendre 1961 pour qu’il devienne infranchissable et que soit érigé ce « mur de la honte  », symbole d’un pays écartelé, devenant un enjeu majeur de stratégie politique mondiale entre est et ouest. L’Allemagne, avant Hitler, était LE pays qui avait vu naître les plus grands noms de la scène européenne, où le théâtre était l’art le plus prisé, le plus actif et le plus populaire, vu même comme un art sacré. Mais il va connaître lui aussi la division aux lendemains de l’armistice même s’il reste très actif à l’est comme à l’ouest. Après avoir tenté d’exorciser son passé nazi sur les scènes de théâtre, et que le pays peine à se relever, c’est en 1962 que le monde prend conscience « de la brutalité de la dictature en RDA  ».(1)
L’Allemagne est donc coupée, déchirée. Il devient impossible d’aller et venir comme on veut. Les passages sont soumis à rude épreuve. Pressentant le danger, de nombreux intellectuels se sont dépêchés de partir de ce qui deviendra une véritable forteresse. Soumise à l’idéologie communiste qui impose un mode de vie dur et surveillé, en mettant en place notamment la STASI, l’Allemagne de l’est se retrouve isolée du reste du monde et prisonnière de la pieuvre soviétique. Le théâtre, lui, n’y échappe pas et devient le miroir de deux sociétés opposées, qui ne se comprennent plus. Alors qu’à l’ouest on tente un renouveau artistique, l’est propose bien moins d’innovation même si l’émulation théâtrale reste très forte. Mais celui-ci est empreint de l’idéologie communiste y compris dans les écoles de théâtre où la formation est assez dure, marquée par un passé toujours pas digéré. En RDA on revisite encore et toujours les mêmes auteurs, privilégiant la tradition à l’innovation. Les auteurs sont surveillés, il faut parfois attendre des mois pour une autorisation de publication et même une fois validée cela ne garantissait nullement la facilité de le monter et il fallait donc encore attendre car les metteurs en scène, eux, étaient de toutes façons aussi soumis au Parti avant de présenter leur création. Aussi on ne s’étonne plus du peu de créations contemporaines et novatrices en RDA en 1960 alors qu’en RFA on s’extasie devant le nombre d’auteurs allemands et étrangers émergents (en 1979 on comptait 100 à 120 textes inédits).
un allemand de l'est qui passe en revue tous les grands noms du théâtre sans en oublier un seul lorsqu'ils sont en RDA, passe étrangement sous silence ceux de "l'autre Allemagne"
Un pays, deux visions
Deux visions s’affrontent : celles du monde libre et celle du monde privé de réelle liberté d’expression. Comme le remarqua Jean Cléo Godin lors de son séjour, « un allemand de l’est qui passe en revue tous les grands noms du théâtre sans en oublier un seul lorsqu’ils sont en RDA, passe étrangement sous silence ceux de « l’autre Allemagne » ». Il y a une réelle division entre le théâtre de RFA et celui de RDA qui peut même parfois, esthétiquement, sembler un peu désuet, utilisant des procédés énormes, lourds, vieux, voire démodés. Il faut croire que ce théâtre n’arrivait pas à trouver de parti pris créatif moins torturé et poussiéreux. Certains metteurs en scène de cette partie là glorifiaient encore le théâtre politique de Piscator, entre autres, qu’ils jugeaient évident de monter à l’ouest. Par exemple le Berliner Ensemble, créé en 1949, année de la fondation de la RDA est inauguré par Mère Courage de Brecht et le répertoire prit pour base toutes ses œuvres mais opta également pour la programmation d’œuvres révolutionnaires. Autre constat de cette vision différente : en 1964, la création à Berlin Ouest de l’International Theatertreffen ne mettra à l’affiche aucun auteur de RDA. Pourtant les années 1970 voient naître une nouvelle vague d’auteurs devenus désormais incontournables : Heiner Müller, Peter Haks, Anna Braun, Botho Strauss. La vie théâtrale à l’est est très forte, très soutenue et subventionnée mais oui, le régime voulait faire concurrence au théâtre de l’ouest.
Si la chute du mur en elle-même ne fit pas l'objet d'une dramaturgie spécifique, tenter de rendre compte de ce qu'était la vie à l'est fut une source d'inspiration
Et le mur tomba…
La chute du mur va réunifier et réconcilier les deux Allemagne. La population de l’est habituée à un régime policier et bureaucratique que tout le monde détestait et qui permettait « au Parti de se maintenir en créant un sentiment général de méfiance » (2), se méfièrent également du nouveau modèle de société qu’ils découvrirent alors. Lorsque le mur tombe, un ralentissement se fait sentir à l’est, principalement dû à des raisons financières. Si la chute du mur en elle-même ne fit pas l’objet d’une dramaturgie spécifique, tenter de rendre compte de ce qu’était la vie à l’est fut une source d’inspiration. « Le thème d’une Allemagne à deux vitesses a nourri pendant quelques saisons les programmations des théâtres les plus engagés » (3). Pour Laurent Mulheisen, à l’est « les établissements passèrent du statut de lieu de propagande idéologique à celui d’établissement culturel. » Mais les choses ne sont pas si simples. Ils acquirent certes une liberté de parole et de création (programmant jusque là des auteurs interdits), mais en même temps découvraient un système qui ne leur garantissait plus la sécurité de l’emploi et où « les valeurs d’hier étaient toutes devenues du jour au lendemain obsolètes » (4). Apparut alors, face à ce nouvel ordre du monde auquel il fallait s’adapter, toute une génération d’hommes de théâtre comme Frank Castorf ou Christoph Marthaler, qui se sont battus pour garder cette "culture de l’est" prônant un discours anticapitaliste. Mais est et ouest peuvent désormais travailler et vivre ensemble. Berlin, elle, devient « une sorte de laboratoire, de condensé où tous les thèmes de l’après chute du mur se sont retrouvés à la puissance 10 dans un contexte de mutation urbaine absolument unique dans l’histoire de l’Europe de la fin du XX siècle. Le nombre d’expériences qui ont pu se tenter dans les premières années de l’après 1989 est étonnant. Des artistes tels que Sasha Waltz ou Thomas Ostermeier sont les produits directs de ces années de laboratoire », explique Laurent Mulheisen.
Et c’est cette année, en 2009, à l’occasion de la commémoration de la chute du mur que Berlin accueille Over There de Mark Ravenhill, mettant en scène les retrouvailles de deux frères jumeaux ayant grandi chacun d’un côté du mur. Voici donc, vingt ans après, l’Allemagne réunifiée, et qui regarde son passé ressuscité sur la scène, sans peur mais avec intelligence, force et recul.
Julie Laval
(1) Edgar Wolfrum, (2), (3), (4) Laurent Mulheisen, Remerciements à Monsieur Jean-Louis Besson et Monsieur Laurent Mulheisen. Sources : Revue Jeu, n° 1, Montréal 1982. Revue Jeu, n° 43, Montréal 1987-2 Revue Jeu, n°17, Montréal 1980 Revue Le théâtre dans le monde, Vol XIV, Bruxelles, 1965. Allemagne d’aujourd’hui, n° 21, Paris 1970.
Photos DR
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