
La Route Du Rock les 14, 15, 16 aoà »t 2009
Que reste-t-il de nos trois jours ?
Fragil à La Route du Rock, ce sont des moyens considérables : un rédacteur, votre serviteur, rompu au festival malouin depuis une douzaine d’année, qui en a vu des vertes et des pas mà »res dans l’enceinte du Fort de Saint-Père. Une Volvo break de 1995 agrémentée d’un matelas de canapé permettant à ses 1,80m de s’y loger, alliant, ainsi, le moyen de locomotion et la chambre d’hôtel du rédacteur. En effet, je suis trop vieux pour le camping, et Fragil n’a pas les moyens des Inrocks pour le gîte et le couvert. Enfin, des litres de Coca et des kilos de galettes saucisses ingérés, un maillot de bain, de la crème solaire, et de salvateurs bouchons d’oreilles.
Le concert retentira sur une dizaine de kilomètres à la ronde et sera inaudible à l’intérieur du Fort...
Jour 1 : Je t’aime… moi non plus
Une arrivée un peu tardive sur le site, et l’attente pour l’accréditation, ne m’ont pas permis de voir les concerts de la plage et du palais. Mais je suis sur le pied de guerre pour le premier set du Fort de Saint-Père. Présentons tout d’abord le contexte de cette soirée particulière. La Route Du Rock s’est offerte cette année la prestigieuse reformation de My Bloody Valentine, groupe mythique de la scène pop-rock du début des années 90, dont les distorsions de guitares se retrouvent, aujourd’hui, chez bon nombre de groupe. Le problème, c’est qu’une légende colle à la peau de My Bloody Valentine : “ils jouent fort, très fort, trop fort !”, et s’emploient à rester fidèle à cette réputation. De ce fait, des tractations ont eu lieu toute la semaine précédant leur concert pour obtenir une sono toujours plus puissante, jusqu’à ce que les organisateurs mettent fin à cette escalade sonique. Résultat, la sono mise en place dessert les prestations des autres groupes à l’affiche ce soir-là, et Kevin Shields, tête pensante de My Bloody Valentine, n’en est toujours pas satisfait et le fait bien comprendre pendant le concert, par un débranchement rageur de jack de guitare, en plein morceau, qui fit saigner les tympans de l’ingénieur du son. Le concert retentit sur une dizaine de kilomètres à la ronde et fut inaudible à l’intérieur du Fort...
Fort de cette précision, on ne peut que saluer les performances des autres groupes du jour qui auront croisé le fer avec cette sono dantesque. Les premiers à s’y coller sont les Crystal Stilts, jeunes new-yorkais directement débarqués des années 60’. Leur set est une expérience digne d’un Retour vers le Futur sans grand intérêt… Beaucoup trop de poses : on n’est pas à la Factory mais à La Route Du Rock en 2009 ! Puis c’est le tour de Deerhunter, précédé d’un buzz considérable, mais qui ne transforme pas l’essai en livrant un show très moyen.
C’est alors le moment de la première pause galette saucisse. Muni de mon précieux pass, je décide de faire un tour au bar V.I.P. J’y revins, mais juste pour voir à quel point ces personnes si importantes ont l’air ridicule sur leur territoire, protégées de la foule qu’ils ignorent, mais sans laquelle ils n’existeraient pas… Sans compter le fait qu’ils restent parqués et ne regardent les concerts que sur écran géant ! J’opte pour ma part pour le vrai public, faisant la queue au bar et discutant avec mes pairs festivaliers.
Je me fonds donc dans la masse pour apprécier Tortoise et son melting-pot instrumental et cérébral. Les cinq musiciens passent d’un instrument à l’autre avec une frénésie et une joie communicative ; ils sont l’un des rares groupes de ces trois jours à sembler être heureux d’être là et à le communiquer au public. Ensuite, A Place To Bury Strangers, trio furieux de New-York sut faire autant de bruit que My Bloody Valentine, mais avec une rage et un sens mélodique bien absent des divas britanniques. Enfin Snowman délivra un set fougueux, remplaçant au pied levé The Horrors, qui arguèrent une douteuse bronchite (plus vraisemblablement une volonté de se préserver pour leurs éminentes premières parties de Nine Inch Nails à New-York). Bravo messieurs d’avoir réussi à vaincre cette sono poussive !
Le show de My Bloody Valentive, en plus d’être trop fort, est décevant dans l’ensemble : Belinda Butcher et Kevin Shields ont beau bouger les lèvres, aucun son n’en sortira, Debbie Googe s’énerve sur sa basse sans qu’aucun spectateur ne puisse en bénéficier, seul Colm O’Ciosoig reste audible avec un terrible et énergique jeu de batterie. Fan de la première heure, je n’ai réussi à reconnaître que huit titres sur la douzaine proposés. Et pas un seul “bonsoir” ou un “au revoir”. Attention Monsieur Shields de ne pas dégoûter votre public !
Tortoise : 1 - Saturation : 0
Peaches : des tenues défiant le bon goût et la classe, mais qu’une prostituée des années 80 aurait su apprécier à sa juste valeur !
Jour 2 : Sex Machine
Après une nuit sur le parking champêtre du festival, au fond de ma Volvo, un réveil tranquille avec des voisins aux fiers vans Volksvagen, une douche dans un préfabriqué de chantier, et un lavage de dents dans une auge à cochon, me voilà fin près pour une journée de soleil et de musique. Direction la plage pour quelques disques bien poussés par le Collectif Effervescence. Sea, Sun And Good Music, What Else ?! Mais pas le temps de traîner, et désolé pour les très bons Nantais de The Patriotic Sunday, mais l’auditorium et ses sièges confortables me tendent les bras pour les prestations de The Present et de Forest Fire. Le couple formant The Present a littéralement soulever l’audience de ses sièges avec ses infrabasses de synthé et ses guitares saturées, une musique expérimentale qui procure un certain plaisir si on se laisse porter. Déception concernant Forest Fire qui, à trop écouter le Velvet Underground, en est devenu une pâle copie.
Le Fort de Saint-Père ouvre de nouveau ses portes pour un coucher de soleil agréable bercé par les sonorités plus pop des trois premiers groupes. Je reste imperméable au charme et à la virtuosité d’Annie Clark, alias St. Vincent qui, seule à la guitare, manque peut-être d’un cadre plus intimiste. Par la suite, Papercuts n’arrive pas hélas à la cheville d’un Loney Dear ou d’un Elliot Smith avec sa pop mélancolique. Puis, malgré un jeu de scène proche du néant, les écossais de Camera Obscura chavirent le cœur des festivaliers avec leur pop très mélodique aux riches arrangements vocaux et instrumentaux nous ramenant vers des années 50 fantasmées. Mais dès lors, la fièvre va s’emparer du Fort avec les prestations rock’n’roll des The Kills et electro-sex de Peaches. Pour les fans, la prestation des The Kills aura été à la hauteur avec une Alisson Mossart arpentant la scène telle une panthère en cage, rugissant sa colère, et un Jamie Hince s’acharnant sur sa guitare pour en faire sortir un blues-rock hargneux. Je pense tout de même que leur concert gagnerait en rage et en efficacité s’ils achetaient un batteur en lieu et place de leur fidèle boite à rythme. Que dire de la prestation de Peaches : un spectacle impressionnant, une personnalité qui n’a peur de rien, dès le deuxième morceau elle est dans le public pour le provoquer encore plus, des tenues défiant le bon goût et la classe, mais qu’une prostituée des années 80 aurait su apprécier à sa juste valeur ! Le summum restera le string clignotant allié à un justaucorps blanc. Un groupe avec deux catcheurs mexicains fluo au synthé et à la batterie et une bassiste/guitariste en guêpière et bottes de cuir ne laissant pas sans réaction la gente masculine. Mais qu’en est-il de la musique ? Une electro matinée de hip-hop et de dance d’un mauvais goût sans nom. Un jour, Peaches écrira peut-être une véritable chanson pour accompagner ses prestations scéniques.
Lessivé, je rejoins ma chambre dans le coffre de ma Volvo, désolé monsieur Four Tet et votre electronica savante.
Camera Obscura : 1 - La Fièvre : 0
Dominique A propose un set magnifique et courageux, seulement accompagné de sa guitare et de son synthé
Jour 3 : Perfect Day
Réveil un peu plus difficile que la veille, et douche tout aussi difficile : en sort-on plus propre qu’on y entre, telle est la question… La belle affiche du jour me fait vite oublier ces quelques désagréments. Je m’accorde d’abord quelques instants de détente sur la plage du Bon-Secours grâce à quelques vieux classiques de la pop des années 80 distillés par Ethel. Merci pour ce I Wanna Be Adored des Stones Roses sous le soleil malouin ! Puis route pour l’auditorium du Palais du Grand Large qui résonne aujourd’hui des sonorités electro de Telepathe et de Gang Gang Dance. Les deux new-yorkaises de Telepathe investissent la scène pour délivrer un set tendu et mélancolique, sous des déluges de synthés vrombissants. Puis la joyeuse équipe de Gang Gang Dance offre un spectacle vivifiant où se mêlent les rythmes tribaux, des sonorités electros et un chant rappelant par moment la rage de Nina Hagen.
Empli de cette énergie dionysiaque, me voilà en route pied au plancher pour ne pas rater l’entrée en scène de Bill Callahan, l’ancien leader de Smog. Difficile pour lui aussi de rendre toute l’intensité et la gravité de sa musique en plein soleil devant un frêle parterre de fidèles. Mais l’homme s’en sort très bien ; le grain de sa voix, proche de celui de Stuart Staples des Tindersticks, n’y est pas pour rien. Pour continuer dans l’élégance, c’est au tour d’Andrew Bird de passer sur la scène. Quel plaisir de se laisser porter par ces délicates mélopées pop, riches en arrangements sophistiqués ! L’Américain berce délicatement les festivaliers pour ce dernier coucher de soleil de la 19e édition d’Eté.
C’est enfin au tour du seul français de l’affiche d’investir la grande scène de La Route du Rock. Dominique A propose un set magnifique et courageux, seulement accompagné de sa guitare et de son synthé. Comme à son habitude, le tracklisting de ce soir ne cherche pas la facilité, les titres s’enchaînent avec une rage contenue, le jeu de guitare est rugueux et la voix est toujours aussi impeccable d’intensité. Dominique A relève admirablement le défi d’une prestation solo dans un cadre qui ne s’y prête définitivement pas.
Rien n'est plus beau que les Grizzly Bear cette année et je voulais regagner ma ville natale bercé par leurs délicates mélodies
Puis se sont les grands vainqueurs de ce festival qui investissent la scène : les Grizzly Bear. Les quatre new-yorkais bénéficient actuellement d’une reconnaissance mondiale grâce à un buzz pour une fois justifié sur Internet. Leur troisième album, Veckatimest, est un joyau pop parfait alliant un sens de la mélodie irréprochable, une richesse instrumentale aux multiples strates époustouflantes conjuguée à une production sublime, le tout ourlé par des harmonies vocales renversantes. Qu’allait-il en rester sur scène ? Tout ! Ils arrivent en direct à recréer la magie de l’album, les voix sont toutes impeccables, le son est parfait pour du plein air, on distingue clairement les instruments et il se dégage du groupe une aura toute à fait chaleureuse. Un concert parfait !
Je décide d’en rester là pour l’édition 2009 de cette Route Du Rock, une nouvelle fois je m’excuse pour les Simian Mobile Disco et Autokratz, mais rien n’est plus beau que les Grizzly Bear cette année et je voulais regagner ma ville natale bercé par leurs délicates mélodies.
Grizzly Bear 1 Le Reste Du Monde 0
Trois jours toujours aussi passionnants, où l’on passe de surprise en déception, de confirmation en révélation. 15 000 festivaliers se sont déplacés, cela ne suffit pas pour recouvrir les dettes des années précédentes mais François Floret, fondateur et directeur du festival, rassure en confirmant le maintien de la Collection d’Hiver et le 20e anniversaire de la Collection d’Eté. La Route Du Rock doit absolument être préservée tel un joyau de la couronne pop, que l’on exhibe une fois par an mais qui captive et enthousiasme toujours autant.
Texte et Photos : Vincent Hallereau
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