
Fragil au festival Les Orientales
« Pour les artistes traditionnels, la musique garde un rôle social, sacré ou religieux  »
Interview d’Alain Weber, directeur artistique des Orientales
Alain Weber est le directeur artistique du festival Les Orientales, qui se déroule du 26 juin au 5 juillet à Saint-Florent-le-Vieil (49). Spécialiste des musiques traditionnelles, il nous présente les nouveautés artistiques de cette 11e édition, et livre son opinion sur la mondialisation culturelle et les difficultés des groupes étrangers à jouer en Europe.
Fragil - Quel est l’événement incontournable de cette 11e édition des Orientales ?
Alain Weber - Difficile d’en privilégier un au détriment des autres. Cependant, cette année se déroulent deux grands spectacles, programmés les deux samedis soirs. Le premier sera le théâtre d’ombres javanais. Ki enthus, le dalang (marionnettiste) invité sera accompagné par un orchestre gamelan [ensemble musical indonésien, NLDR].
Chacun de ses personnages possède son caractère, c’est un peu un magicien. En Indonésie, certains dalang sont non seulement des conteurs de thèmes hindouistes, mais également des sortes de devins, des personnalités de la vie publique que l’on invite sur les plateaux de télévision.
Fragil - Quel est le deuxième spectacle important du festival ?
A.W. - Le ciné concert du samedi 4 juillet sera une première aux Orientales. Nous allons projeter La Lumière de l’Asie, un long métrage de Franz Osten. Ce film muet raconte l’adolescence de Buddha, avant qu’il ne s’échappe de son palais, découvre la misère et ait la révélation. Franz Osten était un réalisateur allemand assez excentrique. Il a exploré l’Inde, et ses films montrent des images de ce pays dans les années 20. Les décors sont de vrais palais, les acteurs des autochtones sollicités au fil des rencontres. La projection sera accompagnée par la musique traditionnelle de Divana. Cet ensemble du Rajasthan joue des morceaux de la même époque. Ce sera donc une plongée visuelle et sonore dans l’Inde des années 20, une restitution d’un répertoire disparu.
Fragil - Cette fois encore, le festival des Orientales est très tourné vers l’Inde…
A.W. - C’est un peu notre fond de tiroir ! Plus sérieusement, l’Inde est à la croisée de nombreuses influences : persanes, musulmanes… La société est très diversifiée. Par exemple, les musiciens du Rajasthan ont conservé un système de caste très ancien, qui précède l’hindouisme. L’Inde a entretenu ses traditions, on y entend de la musique savante comme de la musique populaire. Et j’ai des liens privilégiés avec certains groupes de musique. Leurs coutumes sont menacées, principalement pour des raisons écologiques. Je les soutiens pour qu’ils diffusent leur culture.
Les musiciens du Rajasthan ont conservé un système de caste très ancien
Fragil – L’image est un thème important de cette nouvelle programmation. Est-ce une volonté de s’ouvrir à d’autres formes arts ?
A.W. - Oui. Mais les musiques non-occidentales sont déjà très visuelles. Les musiciens portent des costumes traditionnels, ils développent une gestuelle et des expressions particulières. Cette année, l’image va également être célébrée à travers les chorégraphies, les marionnettes du théâtre d’ombres javanais et Bollywood, le cinéma indien.
Fragil – Quel est l’intérêt de Bollywood ?
A.W. - Depuis cinq ou six ans, le cinéma indien est devenu une très grosse industrie. Il y a un engouement du public pour les films historiques, des productions qui peuvent solliciter jusqu’à 30 000 figurants. L’Inde est devenu un pays puissant et le revendique à travers son cinéma. C’est un moyen pour eux de retrouver une certaine dignité. Mais dans ces films, il y a toujours un modèle traditionnel : la fresque amoureuse, la trame guerrière, la morale…
Fragil - L’année dernière, des groupes étrangers comme Konono n°1 ou Kaisai Allstars ont dû annuler leurs tournées européennes, faute d’obtention de visas. Le festival des Orientales a-t-il été victime de telles restrictions de déplacement ?
Les cultures orales disparaissent car elles dépendent de l’éducation et de l’environnement
A.W. – Non, nous avons la chance d’échapper à ces problèmes, car nous invitons très peu de musiciens issus de pays considérés à hauts risques, comme les pays d’Afrique anciennement colonisés par la France ou le Maghreb. Et mon poste [de responsable des musiques du monde, NLDR] à la Cité de la Musique facilite mes démarches auprès des autorités. Mais depuis une dizaine d’années, il y a une réelle répression (sic) de la part des consulats, qui essaient toujours de nous mettre des bâtons dans les roues. L’idée de créer un statut particulier pour les musiciens circule depuis plusieurs années, mais n’a jamais été concrétisée.
Fragil - Depuis les années 70, vous voyagez beaucoup à travers le monde pour découvrir des traditions non-occidentales. Constatez-vous une uniformisation de la culture, provoquée par la mondialisation ? Quels sont ses mécanismes ?
A.W. – Oui, cette uniformisation existe. Les peuples en dehors des grands chemins économiques en sont relativement épargnés. Pour les autres, les cultures orales disparaissent car elles dépendent de l’éducation et de l’environnement. Et ceux-ci changent très vite avec la mondialisation. Le schéma habituel est le suivant : une usine s’installe dans un village reculé et rachète les terres. Les paysans ne sont plus propriétaires, et sont donc employés par l’usine. Ce changement de statut entraîne l’exode rural des populations, qui perdent leurs traditions.
Pour l’instant, les musiciens du Rajasthan régulièrement invités aux Orientales sont épargnés par ce phénomène. Ils bénéficient de l’aide de propriétaires terriens. Mais si ces derniers perdent leurs cultures, ils vont devoir déménager en ville. Ces mécènes continueront de financer leur orchestre, jusqu’au jour où ils auront accès à des biens culturels. Les musiciens seront alors inutiles, et devront se reconvertir en conducteurs de taxi, par exemple.
Fragil – Quel est le point de vue des peuples concernés par cette perte des traditions ?
A.W. – Il est très difficile de demander à quelqu’un de garder son mode de vie, tout en se débarrassant de ses croyances et sa langue. On reproche aux jeunes de partir en ville et de ne pas rester dans leur village d’origine, mais ils n’ont pas tellement le choix. Leur environnement a sans cesse été dévalorisé. Plus tard, certains éprouvent de la nostalgie et opèrent un retour à ces valeurs, se réapproprient leurs traditions.
Fragil – Et certaines cultures traditionnelles sont entretenues ou recyclées à l’étranger, dans les pays d’immigration.
En Occident, la musique n’a plus qu’un rôle de spectacle
A.W. – Les Indiens, les Iraniens et les Kurdes sont très forts dans cette pratique. Beaucoup de vedettes de la musique iranienne vivent à l’étranger. On constate même parfois des phénomènes d’insularité. Certains expatriés entretiennent des traditions qui n’existent même plus dans leur pays d’origine.
Fragil – Comment ces musiciens vivent-ils leur passage aux Orientales ?
A.W. – Ils disent apprécier de jouer ici. La plupart des musiciens traditionnels n’apprécient pas de jouer dans des salles de concert. En Occident, la musique n’a plus qu’un rôle de spectacle. Pour eux, elle garde aussi un rôle social, sacré ou religieux. Nous essayons de recréer cette atmosphère aux Orientales.
Propos recueillis par Timothée Blit
Photos : A. Masteau ; Edith Nicol ; Droits réservés ; droits réservés
Fragil au festival Les Orientales L’équipe de Fragil a suivi l’édition 2009. Retrouvez portfolios sonores, entretiens et articles d’analyse sur ce festival des arts traditionnels.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses