
LA RENCONTRE TISSÉ MÉTISSE
« Les clandestins sont une armée salariale de réserve  »
Pedro Vianna est spécialiste des migrations. A l’occasion de "La Rencontre de Tissé Métisse" du vendredi 5 juin, consacrée cette année à l’apport des migrations sur la société française, ce chercheur réfute quelques idées reçues sur l’immigration française et internationale.
Depuis le passage de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2002, l’immigration est une politique prioritaire de l’Etat français. Pourtant, la méconnaissance des flux migratoires internationaux déforme notre vision des problèmes de déplacements humains. Pedro Vianna, rédacteur en chef de la revue Migrations-Société, membre fondateur du Groupe de Recherche Informel et Scientifique sur l’Asile (GRISA) et juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile réfute quelques affirmations couramment employées par la classe politique et les médias.
1. Il y a une explosion des demandes d’asile dans les pays riches
Faux. Il y a environ 200 millions de personnes en situation de migration dans le monde, d’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), soit 3% de la population totale.
« Ce pourcentage est stable depuis plusieurs décennies, estime Pedro Vianna. Car les flux migratoires augmentent dans les mêmes proportions que la démographie. » En 2005, il y avait 5,7% d’étrangers en France, contre 6,6% en 1931, selon les chiffres de l’Insee.
Le chercheur rappelle que les mouvements massifs de migration sont généralement dus à des conflits armés, non à l’immigration du travail.
2. L’aide au développement des pays pauvres stopperait l’immigration vers les pays riches.
Faux. Pedro Vianna soutient l’aide au développement des pays pauvres. Néanmoins, il explique que cette aide n’endiguerait pas l’émigration vers les pays riches.
3. L’Etat maintient une partie de la population immigrée dans l’illégalité au profit de l’économie
Vrai. D’après Pedro Vianna, « les clandestins sont une armée salariale de réserve » dans cinq secteurs de l’économie : le bâtiment, l’agriculture [1] , les services aux personnes, la restauration-hôtellerie, la maroquinerie. Après le premier choc pétrolier de 1973, l’industrie européenne s’est modernisée et s’est délocalisée, réduisant le besoin de main d’œuvre aux détriment de l’emploi. Néanmoins, certains secteurs ne peuvent être installés à l’étranger. Pedro Vianna explique alors le rôle attribué aux immigrés clandestins.
4. Le regard de l’opinion public sur les immigrés a changé
Vrai et Faux. A la fin des années 70, le sort des populations sud-est asiatiques et les fameux boat-people ont suscité l’empathie de l’opinion public. En 1981, le ministre de l’Intérieur Gaston Defferre a d’ailleurs accordé le droit au séjour à 132 000 immigrés.
« L’immigré est passé de réfugié potentiel à débouté potentiel »
Deux ans plus tard, la marche pour l’égalité, dite « Marche des Beurs », a attiré l’attention de la classe politique sur cette partie de la population issue de l’immigration et mal intégrée. Depuis, les politiques de Charles Pasqua et de Nicolas Sarkozy au Ministère de l’Intérieur ont forgé l’image du demandeur d’asile fraudeur. « L’immigré est passé de réfugié potentiel à débouté potentiel », ironise Pedro Vianna.
« Avant, l’Eglise et le Parti communiste étaient les deux vecteurs d’intégration dans la société française, rappelle Pedro Vianna Aujourd’hui, leur influence a disparu, et on sollicite un certain mythe de la francité. Mais je ne vois pas pourquoi Mohamed Ben Ali devrait expliquer pourquoi il est en France, et pas Monsieur Dupond. »
Rédaction : Timothée Blit
Photos : Photo libre ; Timothée Blit
Voir aussi : Le site de l’association Tissé Métisse
Sur Fragil :
Fragil a consacré sa Gazette n°3 de décembre 2008 au travail de l’association Tissé Métisse sur les questions de l’immigration. « Une fois par an, Tissé Métisse est une fête. Au-delà, c’est un réseau qui mène toute l’année des réflexions et des actions de terrain. »
L’immigration, une histoire de France méconnue, un reportage à la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration Porte Dorée, Paris. « Un projet ambitieux et innovant pour un sujet sensible »
Qui a peur des migrants ?, Fragil au Sommet citoyen des migrations 2008. « La journée où l’on cesserait d’entendre seulement les pas des migrants pour écouter leurs voix. »
Déceler les mariages blancs et combattre la discrimination, une interview de Pierre Quénéa, adjoint au maire de Rezé, ex-président de Tissé Métisse et employé à la sous-direction de l’Accès à la Nationalité française.
« Les origines peuvent être une force », une interview d’Abbassia Hakem, adjointe au maire de Nantes, conseillère régionale des Pays de la Loire et femme issue de l’immigration.
[1] Le goût amer de nos fruits et légumes, ouvrage publié par le Forum Civique européen en 2002, détaille l’exploitation des immigrés clandestins dans le secteur agricole
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses