
A le rencontre des jeunesses. Episode 3
Lycée expérimental de Saint-Nazaire : le savoir avant le bac
Le lycée expérimental de Saint-Nazaire prépare à l’examen du baccalauréat, mais pas seulement. Dans cet établissement cogéré par l’équipe éducative et les élèves, chacun est libre de proposer une activité et d’orienter son apprentissage. Une conception du savoir qui dépasse la vision « utilitariste  » du diplôme.
Dans le hall d’entrée, l’aiguille de l’horloge indique 8h30. Au lycée du boulevard René Coty de Saint-Nazaire, aucune sonnerie ne retentit. Adossés au comptoir de la « casbah », une cafétéria improvisée, les membres de l’équipe éducative et les élèves terminent leur café en se racontant leur week-end. Avant de se lancer dans l’étude de sujets qu’ils ont choisis ensemble : le nucléaire et le milieu carcéral.
Le « libre choix d’activité »
Bienvenue au lycée expérimental de Saint-Nazaire. Cette haute bâtisse à l’entrée du port cache un établissement pour le moins singulier. Sa gestion courante, des inscriptions à la cuisine, en passant par l’organisation des sorties et les tâches ménagères, est assurée par les membres de l’équipe éducative et les élèves. A ce principe de cogestion s’ajoute le « libre choix d’activité ». Les ateliers, qu’ils soient liés ou non au programme scolaire, sont proposés par les professeurs comme par les lycéens.
En France, il existe une vingtaine de lycées expérimentaux. Celui de Saint-Nazaire est l’un des plus anciens, une annexe du lycée public Aristide Briand, créée en 1982 sous l’égide de Gabriel Cohn-Bendit et d’André Daniel, professeur d’histoire géographie, avec l’accord du ministre de l’Education Nationale, Alain Savary.
« N’importe quel sujet peut amener à apprendre »
« L’année dernière, l’écriture d’un Livre dont vous êtes le héros nous a permis d’étudier les probabilités, explique Valentin, élève en terminale littéraire, à la pause de la matinée. N’importe quel sujet peut amener à apprendre. Une discussion banale sur les « poufs » et les « racailles » nous a orientés vers l’étude des comportements de masse en sociologie, à l’histoire du mouvement punk… ».
« J’ai suivi des ateliers sur les plantes comestibles, sur le fonctionnement de la mode », ajoute Esther, inscrite au lycée depuis deux mois. « Le choix des cours est déterminé par la réflexion suivante, explique Paqui, qui enseigne l’espagnol ici depuis dix ans : si le bac n’existait pas, de quoi aurais-je besoin pour me débrouiller dans la vie ? Nous avons dégagé cinq axes : lire, écrire, débattre, argumenter et produire. »
Un atelier sur les prisons
Bien sûr, des sujets plus conventionnels sont également abordés au lycée expérimental. Ce matin, au premier étage, des élèves de terminales se plongent dans Surveiller et Punir, de Michel Foucault. A partir de ce livre inscrit au programme scolaire, les étudiants et Nicolas, le professeur de philosophie, ont décidé de créer un atelier sur les prisons.
Pendant que les élèves de terminale bûchent sur leurs comptes rendus, d’autres réalisent des recherches sur le projet de loi pénitentiaire, la grève des surveillants de prison ou analysent des vidéos réalisées à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis.
« J’ai enseigné la philosophie, mais aussi la pêche à pied »
Une approche pluridisciplinaire et collégiale qui changent la vision de l’apprentissage : « Au lycée traditionnel, ça me rendait presque dingue de préparer le bac, se souvient Valentin. Ici, je me suis ouvert à d’autres savoirs ». Les membres de l’équipe éducative, eux aussi, sont amenés à élargir leur domaine de compétence. « Je suis arrivé il y a trois ans au lycée expérimental, explique Nicolas. Depuis, j’ai enseigné la philosophie, mais aussi la pêche à pied et la communication non-verbale. »
Sur les emplois du temps affichés dans le hall d’entrée, les cours de langues côtoient un atelier sur le nucléaire, un débat intitulé Violence, pouvoir et sexe. Cet après-midi, Claire et Alizée ont aménagé le vestibule et branché un poste de radio. Elles veulent préparer leur concours de danse, en option au bac. Peu importe si leur enseignant est absent ce jour-là.
Préparer une cinquantaine de couverts pour tout l’établissement
Cette émulation permanente marque l’agencement du lycée. Aux salles de classe s’ajoutent un labo photo, une salle de répétition où trônent batterie, guitares et platines, une salle de bricolage consacrée à la maintenance du matériel. Et sur les murs, graffitis et fresques picturales recouvrent les œuvres des générations précédentes. « Ici, chacun peut tout faire à sa sauce », conclut Michaël, en terminale économique et sociale.
« Les élèves sont mieux préparés à la vie active »
Justement, peu avant midi, un doux fumet envahi le rez-de-chaussée. Coiffés de charlottes et vêtus de blouses blanches, quelques élèves et Aurore, la prof d’anglais, s’activent derrière les fourneaux. De l’achat des denrées au service, la petite équipe sera chargée pendant quinze jours de préparer une cinquantaine de couverts pour tout l’établissement.
Grâce à une organisation tournante, chaque élève est amené à cuisiner, mais aussi à préparer l’ouverture du lycée le matin, tenir le secrétariat et le centre de documentation. « On s’occupe du lycée, et c’est ce qui me plaît », confie Zoé, 18 ans. « Avec ces activités qui favorisent l’autonomie, les élèves sont mieux préparés à la vie active », explique Paqui. « C’est le fondement du lycée. L’apprentissage de la gestion, c’est ce qu’apprécient les inspecteurs de l’Académie lors leur visite », ajoute Mathieu, professeur de SVT.
« Qu’ils aient trouvé ici ce qu’ils voulaient faire de leur vie »
La liberté de choisir ses activités, de passer le bac mais aussi l’absentéisme volontairement non sanctionné a tout de même un prix : en 2008, le taux de réussite au bac n’était que de 36%, selon le classement établi par L’Express. Surtout, les 148 élèves inscrits au lycée en début d’année ne font pas tous preuve d’assiduité. « Il faut environ 70 élèves pour assurer le bon fonctionnement de l’établissement, confie Jean-Paul, qui enseigne ici depuis 1992. Actuellement, le compte n’y est pas. »
Dans un cadre aussi souple, quels sont les objectifs du lycée expérimental ? « Un élève réussit quand il participe et construit ce qu’il veut faire après, explique-t-il. Ce peut être le bac, mais aussi une formation en alternance, un stage, la reprise d’un BEP ou d’un bac pro… L’objectif, c’est qu’ils aient trouvé ici ce qu’ils voulaient faire de leur vie. » Et quand on organise une exposition, qu’on prépare un repas pour cinquante personnes ou qu’on se creuse la tête sur la fission nucléaire, le bac, lui, peut attendre un peu.
Article et photos : Timothée Blit
"A la rencontre des jeunesses ?" une série d’articles de Timothée Blit pour le magazine Fragil.
Episode 1 : "Ils n’ont pas le bac, mais ils ont des idées".
Episode 2 : "Les jeunes ont-ils raison d’avoir peur".
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