Hors la vie
Ne me libérez pas je m’en charge
Un film de Fabienne Godet
En choisissant de laisser parler l’ex-gangster Michel Vaujour, Fabienne Godet, déjà auteure de Sauf le respect que je vous dois (2006) prenait le risque d’un film douteux. Il n’en n’est rien. Ecartant tout discours sur la justice, « Ne me libérez pas je m’en charge » livre un témoignage universel étrange et poignant sur le destin, la solitude, la construction de l’humain, et, en définitive, la libération de soi-même.
Lorsque Fabienne Godet rencontre pour la première fois Michel Vaujour, c’est presque par hasard. Quelques mots suffisent à lui donner l’idée d’un film : « Ce qui m’intéressait c’était l’homme, et ce qu’il a à transmettre (…) une conscience aiguë qu’en cherchant à s’évader, il n’avait fait que s’enfermer. ».
Une vie en panoramique
Fiche anthropométrique. Dans les années 80, Michel Vaujour fait la une des JT. Fiché au grand banditisme, l’homme n’est pas une brute comme Mesrine ; sa réputation est toute contenue dans son surnom Le roi de la belle. En 1970, un vol de voiture confronte pour la première fois le petit délinquant épris de nature à la prison ; en 2003 une libération anticipée offre au braqueur multirécidiviste d’en sortir libre. Entre les deux, quarante ans, l’enfermement, les évasions, les cavales, balisés par trois périodes qui marqueront des réorientations radicales : le mitard, une balle dans la tête, une apparition.
A l’opposé d’un biopic romancé, Fabienne Godet & Franck Vassal, co-scénariste, ont choisi de faire abstraction de la continuité des faits et de certains d’entre eux. Le scénario est un tableau panoramique où chaque pièce se relie à l’autre sans relation causale ; s’en dégage une vision de la fatalité et de destin. Rares sont les allusions à la Justice -car le propos n’est pas là- absente aussi la dimension hagiographique qui aurait érigé Vaujour en martyr des QHS.
Quartiers d’ascèse
QHS : Quartier Haute Sécurité ; Vaujour les découvre en 1975. A 24 ans, ses évasions « par malice » ont fait de lui une célébrité des pénitenciers. Evadé, repris, il est placé en isolement, au mitard : 9 mètres-carrés où règne « L’immobilité de toute chose » , qui ne s’ouvre que pour la promenade quotidienne solitaire. « Tu as trop envie de crever parce que ta vie ne peut pas se réduire à ça, au non-sens des jours. » Le mitard durera dix-sept ans. Contre la folie latente, le détenu survit par l’ascèse. Le deuil de soi s’impose pour évacuer la souffrance du manque : chaque jour il « rentre dans son cercueil. ». « On ne pouvait pas me priver de quoi que ce soit puisque je n’avais besoin de rien. Ça te sculpte bien. J’étais bien plus dur que tout ce qui pouvait m’entourer. »
"Tu apprends (par) ce qui te manque" (Bande-annonce)
S’évader sans être libre
Cette période atemporelle signe la première métamorphose d’un homme dont chaque pensée et chaque geste sont alors focalisés vers une évasion impossible…à laquelle il parvient une fois, pour la quatrième fois. Cette cavale sera perçue comme une aventure irréelle et amère.
Evasion, deuil de soi : la solitude, métaphysique plus que sociale, traverse toutes ces expériences, et même la liberté. « J’avais perdu une chose essentielle : la capacité de la joie. » Sa nouvelle famille, Gilles –son frère d’armes- Nadine -sa première femme- ses complices disparaissent l’un après les autres : mort, trahison, oubli. Le petit délinquant s’est mué en être dangereux. « J’avais besoin d’un sens pour vivre, il fallait un sens pour que ça en vaille la douleur. (…) La seule chose qui me faisait vibrer c’était la mort. »
Rétrospectivement, la vie de Vaujour semble un perpétuel enfermement, dedans…ou dehors
Braquages, arrestations, incarcération, évasions incroyables, retour à la case départ. Rétrospectivement, la vie de Vaujour semble un perpétuel enfermement, dedans en cellule, ou dehors dans « les prisons dans lesquelles je me suis enfermé ». C’est durant une cavale qu’une balle lui perfore le crâne et le laisse paralysé et muet. Deuxième métamorphose. La prison du corps sera plus exiguë encore. Une nouvelle évasion, une nouvelle conquête s’en suit, mentale et solitaire, pour se réapproprier son corps. « J’avais le sentiment que l’échec absolu c’était d’avoir survécu. Pour trouver la force, le sens, j’entamais des simulacres de pendaison (...) il me restait cette liberté de la fin. »
S’évader de son histoire
A 45 ans, il entame sa 21ème année de prison. L’histoire aurait dû s’arrêter là. Jamila, volontaire du Génépi, entre alors dans sa vie et dans sa cellule. Cette parfaite inconnue s’émeut de son sort. L’histoire devient passionnelle. Elle lui offre « l’innocence : ce qui te permet d’aller dans la vie avec un peu de confiance. ». Nouvelle tentative d’évasion en hélicoptère. L’échec qui s’en suit les plonge tous deux en prison. Oui, mais…la vie du détenu opère alors une renversement radical ; l’objectif est de travailler à une libération pour bonne conduite et de rejoindre la femme à sa libération. « Avec elle, j’osais faire revivre ce que j’avais tué avant...elle m’ouvrait à un autre milieu. ». Il lui faut accepter son incarcération pour pouvoir se libérer de son histoire et « sacrifier ce que l’on croit être ». Le combat juridique est perdu d’avance, comme les précédents. Mais, en 2003, Vaujour obtient la plus importante remise de peine et sort, libéré de tout.
« Sacrifier ce que l’on croit être »
2008. Converti au soufisme, le gangster des JT s’est effacé. Il vit désormais avec sa compagne et sa famille ; méconnaissable, sous ses yeux bleu ciel, il arbore un sourire débonnaire. Que reste-t-il de ces 27 années d’enfermement ? « Quelque part je suis mort. Les choses que je peux ressentir, passent par les yeux de Jamila. ( ...) Qu’est ce que je n’oublierai jamais ? Le regard de ma femme quand on a su qu’on avait un avenir et l’expérience de la balle dans la tête. Si il y en a un qui remercie la vie, c’est bien moi. »
Si chaque homme porte en lui toute la condition humaine [1] , le film de Fabienne Godet convie en définitive à une expérience qui participe de l’universel, une parabole qui rappelle que l’existence est une succession de métamorphoses mortifères dont l’on revient, parfois malgré soi.
"Si il en a un qui remercie la vie, c’est moi"
Renaud Certin
Plus d’infos
Michel Vaujour travaille à l’écriture du prochain film d’Olivier Marchal et prépare un court métrage. Il a publié sa biographie : Ma plus belle évasion (Presses de la Renaissance 2005)
Ne me libérez pas, bande-annonces, dossier de presse, sur le site de Haut et Court
A Nantes, Ne me libérez pas… est diffusé au Katorza.
[1] Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition Michel de Montaigne 1533-1592
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses