
A la rencontre des jeunesses ! Episode 2
Les jeunes ont-ils raison d’avoir peur ?
Entretien avec Olivier Galland
Pour Olivier Galland, sociologue et directeur de recherche au CNRS, le constat interpelle : « seulement un quart des jeunes Français est vraiment convaincu que son avenir est prometteur  ». Ce spécialiste de la jeunesse rappelle les difficultés des nouvelles générations à entrer dans la vie active, avant la publication, le 8 avril, de son livre Les jeunes ont-ils raison d’avoir peur ? (Armand Colin).
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire un livre sur les craintes de la jeunesse ?
L’année dernière, j’ai participé à des travaux de la Fondation pour l’innovation politique. Il en ressortait que les jeunes Français étaient particulièrement pessimistes par rapport à leurs voisins européens et leurs aînés, et avaient une vision résignée de leur situation.
L’emploi, la formation et les conditions de vie leurs sont souvent défavorables. Mais cette peur de l’avenir est-elle toujours justifiée ?
Elle a une part de subjectivité : la France doit être la cinquième puissance économique du monde. L’avenir des jeunes Français est-il si menacé ? Mais le système éducatif accentue leurs angoisses.
Qu’est-ce qui explique les difficultés des jeunes pour entrer dans la vie active ?
Le marché du travail est fermé. Sa flexibilité, voulue par la mondialisation, a accentuée ce phénomène. Les jeunes sont cantonnés aux emplois précaires et très concernés par les contrats à durée déterminée (CDD). Ils sont peu défendus sur le marché de l’emploi. Les syndicats représentent avant tout les insiders, ceux qui sont déjà implantés dans le circuit. Quant au patronat, il trouve peut-être son intérêt dans le fonctionnement actuel. Même si le Medef a récemment créé une commission Nouvelles Générations. A mon avis, les patrons ont tort de ne pas considérer davantage les jeunes comme une force d’initiative.
Il n’existe pas de réelle politique consacrée à la jeunesse
La classe politique n’a-t-elle pas une part de responsabilité dans les difficultés rencontrées par la jeunesse ?
Il n’existe pas de réelle politique consacrée à la jeunesse, et celle-ci est mal représentée dans la classe politique. Il faudrait une action transversale, puisque les problèmes sont plurifactoriels : études, emploi, logement, mobilité,…Je pense que le Haut commissariat à la jeunesse [créé le 12 janvier et dirigé par Martin Hirsch, NDLR] est une bonne chose [1], même s’il est encore précoce pour se prononcer sur son action. Il y a également un problème culturel sur la représentation des jeunes. Leur dépréciation a des conséquences psycho-sociologiques et objectives : 20% d’entre eux sortent de leur formation sans diplôme.
L’école est-elle toujours efficace pour orienter les jeunes et les préparer à la vie active ?
La formation est un système sélectif, qui donne des opportunités à chacun, mais exclu et délaisse ceux qui échouent. Il existe un élitisme républicain, qui n’est pas adapté à l’école de masse et entretient en apparence une égalité des chances. Dès la troisième, l’orientation dans un cursus technologique, où l’échec est important, est souvent choisie par défaut. Pourtant, il n’y a aucune raison que tous les jeunes ne réussissent pas à leur niveau. Entre les lycéens et les enseignants, la communication est de plus en plus difficile, il y a un divorce croissant entre la culture scolaire et la culture adolescente.
Il y a un divorce croissant entre la culture scolaire et la culture adolescente.
Les jeunes sont-ils irréprochables ?
Parfois, je ne les trouve pas très lucides. Ils défendent bec et ongle un système éducatif qui les dessert. A chaque réforme de l’éducation ou de l’université, ils optent pour le statu quo. Ils savent que le système leur est défavorable, mais chacun espère s’en sortir individuellement. Car les jeunes sont davantage individualistes que leurs aînés. On se concentre d’abord sur sa petite bulle, avant de se sentir citoyen. La société passe au second plan, et on se replie sur sa culture identitaire. Leur pratique politique est également contradictoire. On assiste à une dépolitisation générale, et une radicalisation des pratiques. Les jeunes votent de moins en moins, même s’il existe un abstentionnisme traditionnel. Ils s’engagent peu, parlent peu de politique, mais se mobilisent de plus en plus pour protester. Il existe une masse de jeunes mal informée sur les questions politiques et facilement manipulable. Mais les torts sont partagés, car de son côté, la classe politique a peur d’eux. Elle ne joue pas la transparence, cache ses intentions, et essaye de faire passer ses réformes à la sauvette. Cela attise la défiance de part et d’autre.
On se concentre d’abord sur sa petite bulle, avant de se sentir citoyen.
La peur de l’avenir ressentie par la jeunesse française est-elle partagée par ses voisins européens ?
Elle est partagée par les pays du pourtour méditerranéen, mais moindre dans le Nord. Dans ces Etats, la flexibilité du marché du travail repose sur toutes les générations, et il existe une réelle politique d’aide pour entrer dans la vie active. De plus, la culture protestante entretient un vrai sens de la citoyenneté et de la solidarité. Ce sentiment est moins partagé dans les pays de culture catholique comme la France, l’Espagne et l’Italie. Ces derniers pays ont un marché du travail fermé, similaire au nôtre, avec deux types de contrats de travail qui excluent la jeunesse et les seniors. En France, il y a une crise de l’intégration sociale symptomatique des pays de culture catholique.
Quelles sont les pistes d’actions que vous proposez pour améliorer la situation des lycéens et des étudiants ?
Il faut faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail. Pierre Cahuc et Francis Kramarz, économistes et membres du Crest ont proposé une solution intéressante, dans un rapport au ministre de l’Economie et au ministre de l’Emploi commandé en 2004 par Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo. Il s’agirait d’augmenter les coûts de licenciement régulièrement jusqu’au dix-huitième mois de contrat de travail, avant de les diminuer progressivement. Licencier un jeune récemment employé coûterait donc plus cher et serait dissuasif.
Laisser du temps aux élèves pour choisir leur voie
Et concernant la formation et l’orientation ?
Il manque une vraie politique de la jeunesse. Les nouvelles générations passent désormais par une phase de transition, composée de diverses formations et expériences. Il faut les accompagner dans ce parcours par une aide financière qui est actuellement insuffisante. L’orientation souffre également d’un manque d’information et de clarté. Elle devrait être améliorée, surtout au collège et au lycée. Et puis il faut laisser du temps aux élèves pour choisir leur voie, y compris dans les filières professionnelles. Par exemple en instaurant une seconde de détermination aux lycéens professionnels, comme pour leurs camarades du général, et des filières plus larges, qui leur permettraient de s’ouvrir à différents métiers. Il faut également changer notre vision de la formation. Faire entrer tous les étudiants dans le même moule n’est pas efficace.
Propos recueillis par Timothée Blit
Olivier Galland, directeur de recherches au CNRS, membre du Groupe d’Étude des Méthodes de l’Analyse Sociologique (GEMAS), est spécialiste des questions de jeunesse et a notamment publié chez Armand Colin, Sociologie de la jeunesse (2007, 4e édition).
Le livre : "Les jeunes français ont-ils raison d’avoir peur ?" par Olivier Galland chez Armand Colin.
"A la rencontre des jeunesses ?" une série d’articles de Timothée Blit et Pascal Couffin pour le magazine Fragil. Episode 1 : "Ils n’ont pas le bac, mais ils ont des idées".
La jeunesse s’agite contre Darcos, un portfolio d’Aurélia Blanc.
Qu’est-ce que la jeunesse ? Quelles sont les conditions de vie des jeunes adultes ? Quelles difficultés rencontrent les 15-30 ans dans l’emploi, face au logement ? Quel est leur niveau de vie ? l’Observatoire des inégalités dresse le portrait des 15-30 ans, aux premières loges de la crise de l’emploi et du mal logement.
[1] Olivier Galland est membre de la Commission de concertation jeunesse pour le Haut-commissariat à a la jeunesse.
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