FESTIVAL DU CINEMA ESPAGNOL 2009 - Nantes
Dans la tête de Jaime Rosales
A propos de Un Tir dans la tête/ Tiro en la cabeza
Rencontrer Jaime Rosales c’est comme ouvrir une encyclopédie consacrée au Septième Art, regarder pour une énième fois une œuvre de Jean Luc Godard à la recherche du moindre détail, ou ressentir une émotion forte provoquée par n’importe quelle âme humaine. Le cinéma de ce réalisateur espagnol est un cinéma pointu à la force indéniable, un cinéma aux allures expérimentales qui prend toute son intensité par sa valeur universelle. Qu’on se le dise, les films de Jaime Rosales ne laissent pas indifférent, la critique applaudit ou s’insurge contre ce cinéaste pour le moins déconcertant, nous on préfère l’écouter parler de son cinéma et de l’état du monde.
A trente neuf ans, Jaime Rosales s’impose comme un réalisateur prometteur. Ses deux premiers films, Las Horas del diaen 2003 puis La Soleda en 2007, ont été sélectionnés au prestigieux Festival de Cannes. Deux films qui débarquent comme deux ovnis dans un paysage cinématographique bien propret. Rosales cultive le goût de l’expérimentation. La force de son cinéma réside dans cette capacité éblouissante à tout suggérer par l’image. Mettant sa technique au service de sa pensée, le réalisateur conçoit La Soleda, son deuxième film, uniquement en split-screen (technique qui consiste à diviser l’écran en deux parties égales).
Un Tir dans la tête, son dernier film présenté à l’occasion de ce 19ème Festival du Cinéma Espagnol, se veut encore une fois une tentative expérimentale déconcertante mais réussie. La caméra de Rosales étonne, innove, explore les contrées du Septième Art. Rosales explique avec passion ses choix, des choix risqués mais engagés. Il a opté pour une exploration attentive des différents chemins offerts par le cinéma. Cinéphile avant d’être cinéaste, Rosales cite comme modèle le maître de la Nouvelle Vague, Jean Luc Godard, figure emblématique qui, comme lui, utilise le cinéma comme un outil parfaitement réglé d’observation et de découverte.
Acteurs non professionnels, caméra à distance, absence de dialogues et de musique, Un Tir dans la tête déstabilise
Une mise en scène de la distanciation
Génie de la pellicule, Rosales manipule la caméra comme peu de cinéastes. Son style, si particulier, séduit ou déplaît, mais ne laisse personne indifférent. Les reproches faits à son dernier film sont d’abord d’ordre technique. Acteurs non professionnels, caméra à distance, absence de dialogues et de musique, Un Tir dans la tête déstabilise. L’utilisation de cette distanciation avec l’événement brut du film, qui n’est autre qu’un attentat commis par l’ETA , est une nécessité pour Rosales qui regarde l’action à distance dans l’unique but de garder l’esprit critique. Cette distanciation s’élabore par l’abondance de cadres, structure chère au réalisateur qui l’avait auparavant utilisée dans La Soledad. Ici, il justifie cet amour du cadre par un autre amour, celui de la géométrie. Son cinéma est ordonné et mathématisé en profondeur. Dans un monde chaotique comme le nôtre, il lui paraît normal de rechercher l’ordre et la stabilité, et cette quête passe par la stabilité des cadres. Ces techniques extrêmement recherchées entraînent un risque de malaise dans les salles obscures.
La radicalité du cinéma de Jaime Rosales perturbe l’œil du spectateur, une action que le réalisateur justifie. Selon lui, le malaise provoqué provient de cette situation d’observation dans laquelle il pose son spectateur, une situation à laquelle ce dernier n’est pas habitué, son œil étant accoutumé à une forme qui n’intéresse pas le cinéaste. Rosales emmène donc son spectateur au-delà des frontières acquises par le cinéma en refusant de se plier à ce conditionnement inconscient auquel le spectateur est soumis depuis des lustres.
Une gymnastique intellectuelle
Il suffit de quelques mots de Jaime Rosales pour que le spectateur comprenne la portée de son œuvre. Le dispositif adopté pour Un Tir dans la tête n’est pas anodin : par ces choix parfaitement accordés, il souhaite envisager le spectateur comme un être intelligent à une époque où l’on tente sans arrêt de rendre les gens imbéciles afin qu’ils ne réalisent pas les problèmes existants et leurs possibilités de changements. Passionné par les capacités d’apprentissage et d’observation de l’humain, il propose un cinéma qui suscite la réflexion et envisage l’objectif premier de l’art comme une aide à la compréhension de nous-mêmes. Ses images belles et intrigantes ne sont façonnées que dans l’unique but de ne rien dicter au spectateur afin de lui laisser l’opportunité de "créer sa propre histoire". Rosales parle "d’une formidable occasion pour travailler ensemble les problèmes du monde". Ses films offrant une formidable opportunité de penser les problèmes qui animent nos sociétés en dehors des idéologies existantes, idéologies dont semble avoir horreur le cinéaste. Loin du carcan hollywoodien, il suggère une émotion nouvelle, issue d’émotions fortes ressenties par un cinéaste à l’écoute du monde et de ses aléas.
Passionné par les capacités d'apprentissage et d'observation de l'humain, il propose un cinéma qui suscite la réflexion et envisage l'objectif premier de l'art comme une aide à la compréhension de nous-mêmes
Un Tir dans la tête traite d’un fait divers qui a bouleversé le réalisateur : le 1er décembre 2007, dans les Landes, le hasard met des policiers en civil sur le chemin de membres de l’ETA. La polémique est inévitable, au dernier Festival de San Sebastian, le cinéaste est accusé d’être pro-terroriste. Pour expliquer ces jugements injustifiés, Rosales parle d’une "contamination émotionnelle", d’après lui, tout est contaminé et intouchable. Le regard neuf et non émotionnel qu’il porte sur ce problème de la violence terroriste n’a pas été accepté. Le cinéaste refuse catégoriquement ce format perpétuel qui voudrait que la seule réponse aux violences soit de contribuer à la régénération de la violence. Dans son travail d’observation, il n’installe aucune forme de justification et s’insurge contre toutes ces violences politiques inacceptables et cette fâcheuse tendance à vouloir penser les choses d’une façon qui ne mène à aucune solution. L’exemple basque n’est pour lui, hélas, qu’un exemple parmi tant d’autres. "Aux quatre coins du monde, le problème reste le même : l’importance constante du principe de domination. Il ne faut jamais oublier que le terrorisme est une réponse à une violence passée. Pour moi, c’est celui qui domine et qui a, par conséquent, le plus de pouvoir, qui devrait s’incliner".
Cinéaste talentueux, Jaime Rosales, expose avec Un Tir dans la tête une forme de cinéma déroutante au message clair. En obligeant son spectateur à réfléchir par lui-même sur le déchiffrement difficile de ce film, il endosse le rôle d’un réalisateur tourmenté par la question de l’âme humaine, "qui porte en elle quoi qu’on en dise un côté maudit" et contre lequel, selon lui, notre seule possibilité est de nous rééduquer. Dénué de toute forme de pathos, son art est "une gymnastique intellectuelle loin de l’anesthésie générale".
Eloïse Trouvat
Lien vers le site du Festival du Cinéma Espagnol de Nantes
Bande annonce du film
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