
Sait-on jamais ?
Chorégraphie créée par Michèle Noiret
Sait-on Jamais ce qui peut arriver quand on est enfermé dans une salle de spectacle, assis face à une scène plongée dans le noir, assourdi par une musique expérimentale des plus intrigantes, à regarder deux personnages s’entre mêler dans des mouvements lents, presque inquiétants. Michèle Noiret me rassure : simplement un spectacle. Elle m’explique.
Ca fait des années que je travaille sur le terrain des nouvelles technologies, du son et de l’image, et donc, à un moment donné en faisant des créations, je me suis rendue compte que c’était un terrain neuf et qu’il fallait créer des instruments, des interfaces pour pouvoir explorer plus profondément ce terrain. Là, ce sont des étapes de projet. Il y a trois projets qui se sont enchaînés : les “prospectives”. Et la difficulté, ici, c’est de créer ces nouveaux instruments, de voir ce que l’on peut en faire et de voir quel sens ils peuvent avoir dans un spectacle où il y a un propos. Parce que les nouvelles technologies, pour moi, sont vraiment un instrument - ce n’est pas juste pour faire du show.
Justement, j’aurais aimé que vous me parliez un petit peu du propos de la pièce.
A chaque fois on travaille avec des outils différents, soit qu’on perfectionne, soit des nouvelles choses que l’on teste et qui se retrouvent dans le spectacle suivant, mais différemment, que ce soit la scénographie, les images ou le travail du son. Le fil conducteur de ce spectacle, c’est un petit peu l’idée du double et puis, un propos par rapport à l’espace : il y a ce qui se passe de l’autre côté du miroir, l’intérieur et l’extérieur, l’envers de ce qui se passe sur scène, qui est montré, ou en tous cas perçu. On sent que quand il y a un écran, les choses derrière se font en direct, avec des temps mêlés. Ces moments où les choses sont enregistrées, puis mêlées, c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. C’est aussi une pièce très intime, une introspection très sensuelle, très féminine par-dessus tout. Donc il y a ce corps qui est là, qui exprime des choses. C’est un petit peu aussi une interrogation sur soi-même, sur l’autre...
Mais ce corps dont vous parlez, il a l’air de gêner : la musique et les images qui sont projetées au début de la pièce sont assez angoissantes...
Pour moi c’est vraiment l’intérieur de l’être, c’est ça que je cherche à saisir, et c’est en ça que les technologies m’aident : avec le son on a des micros qui prennent notre respiration, qui transforment les sons, qui transforment les mots qui sont chuchotés ; avec l’image, on prend un détail. L’image capte des choses qu’on ne verrait pas sur un plateau avec la distance du public. Donc le but c’est finalement de savoir comment arriver, avec ces moyens, ces médias, à rentrer plus loin à l’intérieur de l’être, de ses angoisses, de ses plaisirs.
Mais l’introspection n’est pas forcément dérangeante en soi... ? ...
Oui et non. Je crois que dans la vie il y a des choses très belles, mais il y a aussi des choses beaucoup plus angoissantes : qui est-on, que fait-on là... ? ... pourquoi ? Quand on est plongé dans le monde aujourd’hui, on se rend vite compte qu’il n’est pas forcément rose. Ceci étant dit, mon but n’est pas forcément d’aller dans le noir, mais je pense que c’est une partie intégrante de nous, une parti de l’être. Ici j’avais envie d’aller plus loin par rapport à cette introspection. Ca rebondit aussi par rapport à ce qu’on vit. J’ai fait des pièces plus ludiques, mais là, ça correspond bien à mon univers. Ce spectacle c’est un voyage. C’est vraiment comme une espèce de transe. Au début, ça commence doucement, on est derrière l’écran, on s’incruste dans l’image, et puis on apparaît. Les choses vont progressivement. C’est vraiment un état de concentration et de recherche d’intime et d’intérieur.
Pourquoi n’êtes-vous que deux sur scène ?
Pour le premier spectacle, j’étais toute seule, avec les collaborateurs de l’image et du son, et là j’avais envie d’un binôme. Mais pour chercher, explorer et ne pas devoir communiquer à beaucoup de danseurs des choses qui parfois, avec les mots, se transforment, des choses qui sont très intimes, très tactiles, je ne voulais qu’une personne pour m’accompagner. Donc j’ai d’abord commencé seule et j’ai choisi quelqu’un avec qui il y avait un bon dialogue. En même temps quelqu’un de très différent, qui peut être une espèce de double, de ying et de yang, de contraste, de nuit, de jour...
En ce qui concerne les phrases que vous avez choisies. Elles viennent d’où ?
On a regardé beaucoup de films. Au départ, on n’est pas parti du mouvement pour cette pièce. On est parti de discussions, de dialogues et on s’est plongé dans des films, notamment l’univers de Tarkovski avec le miroir et Stalker. Dans le scénario du miroir, il y a toute une série de questions que Tarkovski voulait poser à sa mère. Il y a cent... et des questions. Il parle aussi bien des problèmes de vécu en Union Soviétique où il avait d’énormes difficultés pour faire ses films, que du monde, de la société, de l’être, de la femme, de l’homme... des questions existentielles qui peuvent se poser à chaque moment, ou à des étapes de la vie, à chacun de nous. Et dans ces questions, j’en ai sélectionné quelques unes qui étaient assez ouvertes, par rapport à la vie, par rapport à la mort, à l’amour, à la beauté, à la femme... Et puis dans Stalker, il y avait un dialogue par rapport au désir : « Comment savoir ce que je désire ou être bien certaine de vouloir ce que je veux »... tout un questionnement qui m’a vraiment parlé, par rapport à moi-même... C’est quelque chose de tellement universel. Donc tous les mots qui sont dits dans la pièce viennent de ces deux films.
Et justement, vous choisissez « Y’a-t-il dans votre caractère des étrangetés que vous ne pouvez pas expliquer ? » Alors, y en a-t-il dans le votre ?
Sûrement oui. La création c’est très proche de la vie, de ce que l’on vit. C’est rencontrer des gens, c’est se voir dans un miroir, c’est aussi se dire “c’est bien moi, ça ?”. Il y a tout un cheminement qui est relié à ce que l’on vit et à notre quotidien.
Et « l’endroit où les désirs sont exhaussés », l’avez-vous trouvé ?
[Rires] Non, enfin, par moments si. Mais, ça, c’est vraiment une métaphore - et dans le film Stalker c’est une métaphore aussi par rapport à cette société en Union Soviétique où tout est fermé. Et là, tout d’un coup, le personnage s’échappe dans la nature, dans un endroit très spirituel, une sorte de liberté qui le fait sortir des fils barbelés - c’est cette métaphore d’une quête qu’on a tous à un moment. Toutes ces choses qui nous échappent et qu’on ne trouve jamais vraiment.
La lenteur de vos mouvements. C’est pour appuyer votre introspection et montrer à quel point c’est douloureux ou c’est plus un choix esthétique ?
La lenteur n’est pas facile. C’est plus facile de bouger beaucoup que de faire un geste lent, juste, posé. Et comme là, il y a en plus la voix, je suis tout le temps en train de faire le son. Tout ça mélangé fait qu’on n’est pas dans le quotidien. On n’est pas dans un rythme habituel, on est dans un temps autre, dans un temps ralenti ; Un temps un peu onirique, un temps du rêve... En plus, l’architecture de l’espace bascule... donc c’est vraiment une métaphore des choses.
Comment justifiez-vous cette architecture particulière avec ces écrans mobiles ?
Les écrans sont un petit peu une interface entre ce qui est caché et ce qui est réel, ce qui est senti, perçu ou déformé. En même temps, c’est aussi une transformation de l’espace. Comment transformer un espace qui est toujours une scène avec cour, jardin, avant, arrière... on tourne en rond. Comment restructurer l’espace, comment arriver à prendre les gens et à leur faire oublier qu’on est dans une salle de spectacle ? Cette scénographie est d’ailleurs utilisée dans le spectacle suivant mais d’une manière complètement différente car tous les écrans bougent : on peut les déplacer, les faire pivoter, créer des espaces...
Pourquoi mélanger ces médias que sont l’image et le son à votre danse ?
En fait c’est une perpétuelle recherche : ce sont des techniques qui se sont mises en place au travers de trois spectacles. L’utilisation de ces médias me permet d’aller plus loin. A un moment donné, j’ai eu envie d’explorer autre chose, de voir comment on pouvait transformer ces espaces, comment on peut créer un lien avec le public. Dans un des spectacles on rentre dans le public avec des caméras, les gens sont projetés à l’arrière, les espace se mêlent, il y a vraiment un trouble, et ce trouble, j’aime le cultiver...
Manon HERICHER. Info : www.michele-noiret.be
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