Enquête sur l’industrie du disque
Quand la musique fuit les majors
Sortir son disque sur une major, pour quoi faire ? De plus en plus de groupes proposent de nouveaux modèles de vente pour distribuer leur album. S’associer à des marques, vendre à prix libre, les musiciens innovent pour échapper aux modèles économiques d’un marché prostré par son propre déclin.
Cet appel au secours en dit long sur l’industrie du disque : “Aidez nous à trouver la meilleure économie possible pour qu’on puisse continuer à vendre nos disques…”, écrivait Geoff Barrow le 16 février sur le blog de son groupe, Portishead. Leur contrat avec Island Records expiré, les chantres du trip-hop en appellent aux auditeurs pour trouver un nouveau modèle de distribution. Dans une économie qui s’écroule (-16% de vente de disque en France en 2008 selon le Syndicat national de l’édition phonographique), les artistes ne savent plus comment s’y prendre pour gagner de l’argent.
En octobre 2007, Radiohead a innové avec In Rainbow. Délivré de leur contrat avec EMI, Thom Yorke et son groupe ont proposé la vente digitale de leur dernier album à prix libre. TBD Records, lointaine succursale de Sony Music Entertainment, s’est chargé de sa distribution physique. Banco : In Rainbow s’est vendu à 3 millions d’exemplaires, tous formats confondus. Le groupe d’indus Nine Inch Nails a également contrarié les préjugés sur le téléchargement. Ghosts I-IV, a été la meilleure vente d’album de la plateforme Amazon en 2008. Pourtant, il était disponible gratuitement sur leur site officiel. Ils ont réitéré cette expérience avec The Slip, en mai dernier. Depuis, d’autres groupes comme Natty Bass, Swattack, la soprano Barbara Hendricks ont adopté le principe du prix libre…sans bénéficier de la notoriété de Radiohead et Nine Inch Nails.
Six ans après le début de la crise du disque, les gros éditeurs peinent à imaginer un modèle de distribution efficace. Le téléchargement légal a explosé de 49% en France en 2008, mais est loin de compenser les pertes des ventes physiques. Quant à la rémunération à l’écoute, proposée par les sites de streaming comme Deezer, sa rentabilité est loin d’être assurée pour les ayants-droits.
Depuis 2003, le prix du CD n’a baissé que de trois euros.
Timidement, certaines majors lancent quelques initiatives. Ainsi, le label Richard Walter Entertainment (Virgin) a largement bradé sur Internet le dernier album de Patricia Kaas. Pendant un mois, Kabaret était proposé pour la modique somme de six euros sur le site vente-privee.com. Une initiative isolée dans un marché qui ne cherche pas spécialement à s’adapter aux nouveaux modes de consommation du public : depuis 2003, le prix du CD n’a baissé que de 3 euros, selon le Syndicat national de l’édition phonographique.
Lassés de cet immobilisme, certains artistes n’hésitent pas à se détourner des éditeurs traditionnels pour écouler leur musique. En mars 2007, Paul McCartney était le premier artiste à vendre son disque par une entreprise non culturelle, les cafés Starbucks. Depuis, l’album Memory Almost Full et sa distribution peu orthodoxe ont fait école. En avril dernier, le groupe d’electro Groove Armada a signé un contrat d’un nouveau genre avec Bacardi. La marque d’alcool s’est engagée à financer la production et la distribution de leur nouvel EP de quatre titres. En contrepartie, le duo anglais lègue sa musique pour la publicité de Bacardi, et s’est engagé à jouer aux soirée B-Live organisées par la marque. Le procédé irritera les bien-pensants de la musique libre. Pourtant, Bacardi a développé un moyen de distribution imparable, basé sur le bouche-à-oreille. Sa plateforme “B-Live Share” propose de télécharger gratuitement le premier titre de l’EP de Groove Armada. Pour se procurer les chansons suivantes, l’internaute devra inciter un nombre croissant de ses contacts à visiter la page de Bacardi. Un marketing viral diabolique, où la publicité finance entièrement la distribution.
Jouer au minigolf avec les chanteurs de Tool et de Devo.
Vendue au rabais ou adossée à des marques de boisson, la musique n’a plus de valeur marchande. Certains préfèrent en rire qu’en pleurer. L’ex-batteur de Nine Inch Nails, Josh Freese, propose onze versions de Since 1972. Pour 7$, vous pouvez acheter son nouvel album solo, qui sort le 24 mars. Pour 50$, vous aurez l’album, le t-shirt et un appel personnel du batteur. 450$ de plus et vous gagnerez également des cymbales dédicacées, une croisière avec le musicien à Venice Beach et un dîner au Sizzler, une ligne de fast-food américaine. Enfin, selon les tarifs, Josh Freeze propose de vous donner une leçon de batterie, de laver votre voiture, d’écrire une chanson sur vous disponible sur iTunes, de jouer au minigolf avec les chanteurs de Tool et de Devo… Une surenchère absurde représentative d’un marché qui, malgré quelques coups d’éclats isolés, n’a pas trouvé la solution pour redonner un prix à la musique.
Timothée Blit
Photo : Timothée Blit
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