
«  Combat de nègre et de chiens  » à Saint Nazaire
Des échanges revisités par le mythe
Après avoir monté «  Quai Ouest  » dans la base sous marine de Saint Nazaire en 1992 et «  Roberto Zucco  » en 1997, Christophe Rouxel retrouve Bernard-Marie Koltes pour «  Combat de nègre et de chiens  ». Il poursuit ainsi l’exploration d’une langue d’une grande puissance poétique qui puise aux sources des grands mythes.
Le deal est au cœur de l’univers de Koltes. Son fascinant dialogue « Dans la solitude des champs de coton » qui met à nu les rapports complexes entre un dealer et son client débute par ces mots : « Si vous marchez dehors à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous le fournir ». Cette situation d’échange se révèle une puissante métaphore des relations humaines, de l’attente et du manque, de la quête de l’autre et de la solitude que chacun porte en soi. Elle traverse toute l’œuvre du dramaturge et s’exprime dans les longs monologues des protagonistes. Jacques Lacan donne une définition de l’amour qui illustre l’incompréhension profonde qui circule entre deux êtres : « Donner quelque chose que l’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». « Combat de nègre et de chiens », créé en 1983 aux Amandiers de Nanterre dans une mise en scène de Patrice Chéreau, nous met face à de telles problématiques. Le lieu est un chantier en Afrique où Alboury, un jeune homme du pays, vient réclamer le corps de son frère qui vient de mourir, pour le restituer aux siens. Mais il n’y a aucune trace du corps et Horn, le chef du chantier, propose une somme d’argent pour toute réponse, comme si la mort d’un être cher et la douleur pouvaient se monnayer. Le texte propose des variations sur le motif de l’échange et de son échec. L’arrivée de Léone, qui vient de France sur le chantier pour épouser Horn, après une brève rencontre à Paris, conduit à de nouvelles interrogations. Que vient-elle chercher en Afrique, chez un homme qu’elle connaît à peine ? L’un des moments les plus poétiques est le dialogue irréel qu’elle échange avec Alboury. Il lui parle dans un dialecte africain qu’elle ne comprend pas tandis qu’elle lui récite « Erlkönig » (le roi des Aulnes) de Goethe en allemand. Afra Waldhor est une magnifique actrice et elle offre une composition très touchante du personnage créé par Myriam Boyer. Son accent nordique accentue le trouble lié à cet univers où chacun semble étranger aux autres et à lui-même. La scène du crachat, paroxysme d’incompréhension et de détresse, la conduit à des larmes où elle retrouve des accents déchirants de l’enfance. Elle sait restituer dans sa gestuelle et dans ses déplacements l’égarement et la fragilité de celle qui cherche désespérément en l’autre quelque chose à désirer et en chaque lieu un ailleurs rédempteur.
Présences du mythe
La demande d’Alboury que lui soit restitué le cadavre de son frère fait inévitablement songer au combat d’Antigone. Il s’agit ici d’une réparation due à un mort, à sa mémoire et à une réappropriation nécessaire à tout travail de deuil. Avant le début du spectacle, les spectateurs découvrent, à l’avant de la scène, le frère vengeur, dont la présence intense laisse présager la détermination à venir. Moanda Daddy Kamono est bouleversant de sincérité et porte en lui les accents de la douleur et de la perte. La présence du mythe est récurrente dans les textes de Koltes et transcende le réel pour atteindre une parole universelle. Ainsi, Roberto Zucco prend sa source dans de tragiques faits divers et rejoint Samson, Prométhée et Icare par les questions que ses actes démesurés induisent. La fureur montante de Cal, qui a fait disparaître le corps, rappelle la tragédie antique. On songe à la folie monomaniaque et obsessionnelle d’un Oreste, d’une Electre ou de Médée, dont Koltes eut une révélation par l’interprétation de Maria Casares : un choc déterminant dans son parcours de théâtre. La mise en scène de Christophe Rouxel préserve de beaux moments de mystère, de ce qui se dit entre les mots de ces discours nécessaires qui font de la parole un acte de survie. Les bruits des gardes résonnent dans les ténèbres du théâtre, ponctuant les cheminements d’êtres égarés et fragilisés par des quêtes souvent troubles et en perpétuel mouvement. 26 ans après la mise en scène de Chéreau avec Michel Piccoli, Philippe Léotard et Myriam Boyer, les interprètes réunis par le théâtre Icare ont su créer des compositions personnelles et émouvantes dans un spectacle d’une grande humanité, à découvrir d’urgence lors de ses prochaines reprises !
Christophe Gervot
Dates de tournée : du 13 au 16 janvier 2009 au fanal, scène nationale de St-Nazaire du 20 au 22 janvier 2009 au Grand R scène nationale de la Roche-sur-Yon le 29 janvier 2009 à Laval Spectacles théâtre municipal de Laval les 5 et 6 février 2009 au Canal, Théâtre du Pays de Redon le 24 février 2009 au Centre Culturel Scène conventionnée de Sablé Du 3 au 7 mars 2009 à la Salle Vasse Théâtre de Nantes Coproduction : Le Grand R, scène nationale de la Roche sur Yon Le fanal, scène nationale de Saint-Nazaire Résidence de création : Le Grand R, scène nationale de la Roche sur Yon Le fanal, scène nationale de Saint-Nazaire Avec le soutien de Laval Spectacles. Le Théâtre Icare est une compagnie conventionnée, subventionnée par la Ville de Saint-Nazaire, la DRAC des Pays de la Loire, le Conseil Régional des Pays de la Loire et le Conseil Général de Loire Atlantique.
Bloc-Notes
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