
Hydrogen Jukebox, un opéra engagé
Anti-patriot act
Angers-Nantes Opéra, Grand T de Nantes et partout en France
Opéra de Philip Glass méconnu en Europe, Hydrogen Jukebox est pour la première fois produit en France. Le livret composé par Allen Ginsberg, poète fondateur de la Beat Generation et précurseur du mouvement hippie, est un véritable hymne à la liberté d’expression. Sa critique de l’Amérique des années 1950 à 1980 reste toujours aussi pertinente dans le monde des années 1980 à 2009.
La poésie est un questionnement de la société sur elle-même. En 1990, Philip Glass [1] et Allen Ginsberg [2] s’associent pour l’écriture d’un opéra de chambre, Hydrogen Jukebox. Les poèmes d’Allen Ginsberg y fustigent la société américaine de l’après-guerre et, à travers elle, l’homme moderne. Cette société, héritière d’une génération née dans les années 1930 et témoin du krach boursier de 1929, voit la seconde guerre mondiale remettre en cause sa propre humanité à travers le nazisme et la bombe nucléaire.
Un demi-siècle d’histoire
La seconde partie du vingtième siècle débute par la promesse du « plus jamais ça », promesse reprise et vite oubliée. Dans l’Amérique des années 1950 caractérisée par la croissance économique et le développement de l’économie du bien être, au sentiment d’une renaissance qui nous est resté de l’histoire, Allen Ginsberg s’est fait la voix de la contestation. Ses textes, disséminés dans le livret de l’opéra, sont éloquents : il prédit la chute de l’Amérique : the Fall of America (Chant 1 Lightning’s Blue Glare, from Iron Horse), il dénonce la guerre : The capitalist Communist and Third World Peoples’ Republics dictatorships Police States Socialism and Democracies are all sending Deadly Weapons to our aid ! (Chant 3 Jahweh and Allah Battle), et la politique du gouvernement : Let the state tremble let the Nation weep let Congress legislate its own delight, let the President execute his own desire (Chant 10 Wichita Vortex Sutra)… Son verbe devient l’expression de sa citoyenneté, et l’art défenseur des libertés.
Cet opéra contemporain surprend par son étonnante actualité. Car les textes écrits entre 1950 et 1980 pourraient avoir été écrit hier. La génération née dans les années 1980 n’a pas certes connue de guerre mondiale. Mais, alors que l’effondrement du mur de Berlin en 1989 laissait présager l’avènement d’un monde nouveau et nécessairement meilleur, les erreurs de l’histoire continuent de se répéter.
Une vision actuelle
Le metteur en scène, Joël Jouanneau, fait le choix de resituer la critique d’Allen Ginsberg dans le contexte actuel. voir les images. Évitant les références directes, il préfère en appeler à l’imagination du public, sous la direction de l’Oncle Sam incarné par le chef d’orchestre. Ainsi, la guerre du Vietnam de Ginsberg devient la guerre en Irak, Bush père est remplacé par son fils, et la Guerre des Six Jours devient l’offensive israélienne de décembre 2008.
Le regard critique qui est porté sur la société d’alors s'est exprimé en dépit des gouvernements de l’époque, et nous renvoie l'image d'une certaine passivité de la société contemporaine
Aujourd’hui, que nous raconte le monde ? Que la prise de conscience environnementale n’a pas réussi à enrayer la dégradation des milieux et le réchauffement climatique pointés du doigt depuis plus de quarante ans, que le problème de l’Etat palestinien n’est toujours réglé, que les génocides se perpétuent dans le monde entier sans que l’on agisse, … et que la lutte contre le terrorisme justifie toutes les atteintes aux libertés individuelles.
Le mouvement de la Beat Generation était surtout un mouvement de défense de la liberté d’expression. Le regard critique qui est porté sur la société d’alors s’est exprimé en dépit des gouvernements de l’époque, et nous renvoie l’image d’une certaine passivité de la société d’aujourd’hui.
Yes we can’t
A ce titre, la création de Joël Jouanneau est une sorte de rappel à l’ordre. La mise en scène d’Hydrogen Jukebox souligne la critique sociale exprimée par Allen Ginsberg à travers le va-et-vient incessant entre le collectif et l’intime. Postés face au public, les interprètes font du spectateur un témoin, chargé d’un devoir de penser et de se questionner. A la société en crise de trouver des réponses.
La poésie et l’art en général remplissent-ils encore à notre époque leur rôle de dénoncer les travers de la société ? La génération actuelle est née avec la démocratie. Elle n’a pas eu à se battre pour la défendre. Elle doit à présent résister pour la préserver. L’expression artistique est sans doute la meilleure façon de s’exprimer et critiquer le monde dans lequel nous vivons, car si les représentants de la bienséance voudront n’y voir que de la folie, les autres y verront un point de départ pour amorcer une réflexion.
Amélie Malafosse
Photographies : Patrice Molle
Hydrogen Jukebox en images
Hydrogen Jukebox, Opéra de Philip Glass, Livret d’Allen Ginsberg, 1990
Une coproduction Angers Nantes Opéra et Ars Nova Ensemble Instrumental
Direction Musicale : Philippe Nahon
Mise en scène : Joël Jouanneau
Au Grand T, jeudi 22 janvier à 20h, samedi 24 à 19h30, lundi 26 à 20h30.
[1] Philip Glass (1937-), compositeur états-unien. Avec Steve Reich et Terry Riley, il est le plus important représentant des courants minimaliste et répétitifs.
[2] Allen Ginsberg (1926-1997), écrivain états-unien, contestataire, pourvoyeur d’un langue crue et défenseur de moeurs contraire à l’ordre moral de son époque, il fut interdit de publication. Il est un des fondateurs de la Beat Generation.
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