Culture numérique
Faut-il avoir peur des jeux vidéo ?
Rencontre avec le psychiatre Serge Tisseron
Drogués, intoxiqués de l’écran, voilà les nouveaux surnoms des ados qui passent le plus clair de leur temps devant les écrans à jouer aux jeux vidéo. Leurs habitudes seraient perçues comme une addiction. Les psychiatres la décrivent comme dangereuse soulignant ainsi qu’elle fait partie des premières causes de nos dysfonctionnements familiaux et sociaux. Menace amplifiée par les discours alarmant des médias, elle fait frissonner les parents. Pourtant la hotte du père Noë l ne désemplit pas. Avec un chiffre d’affaire mondial qui dépasse celui du cinéma, les jeux vidéo sont une nouvelle culture à laquelle on peut difficilement échapper. Mais faut-il en avoir peur ?
Serge Tisseron, est psychanalyste et s’interroge sur les relations que nous établissons avec les images, notamment celles issues des technologies. Avant d’en avoir peur, il faut tout d’abord s’en rapprocher et s’y intéresser : « Les jeux vidéo sont un lieu de métissage des cultures où sont représentés de nouveaux espaces, de nouvelles images et de nouvelles esthétiques. Ils ont de nombreux points positifs en dehors du mauvais usage que certains en font ». Selon lui, le virtuel ne nous éloigne pas du réel, c’est bien souvent le contraire. « C’est lorsqu’un enfant se sent mal à l’école ou dans son environnement qu’il va se réfugier dans les jeux vidéos et internet et non pas l’inverse ». Le virtuel ne "désociabiliserait" pas, il serait un refuge de sociabilisation. « Un joueur va commencer en "off" et à un moment donné, il va être contraint d’ en parler autour de lui avec ses copains et aux vendeurs spécialisés pour pouvoir avancer. »
Les jeux vidéo sont un lieu de métissage des cultures où sont représentés de nouveaux espaces, de nouvelles images et de nouvelles esthétiques.
Jouer pour se créer une identité
« Les enfants imitent très souvent le comportement de la famille. Il ne faut pas s’étonner qu’un adolescent passe son temps devant sa console de jeu alors que la maman est constamment devant son ordinateur branché sur le site de vente aux enchères "e-bay" pour troquer les vêtements de bébé et que le papa est scotché à l’écran de la télé ».
De plus, il s’avère que les plus mordus l’utilisent inconsciemment comme une thérapie pour pallier les troubles de leur enfance. « Un enfant de moins de trois ans commence d’ores et déjà à se construire une identité en jouant. Pour cela, il va endosser plusieurs rôles un à un. Celui du gentil, celui du méchant qui détruit tout, etc. Devant un écran de télévision, même s’il est utilisé en bruit de fond, son temps de jeu va être interrompu et sera plus court. Par conséquent, il va endosser toujours le même rôle, celui qui est le plus proche de lui. L’enfant va donc établir une relation perturbée qu’il va guérir plus tard en jouant devant son écran, en se créant plusieurs avatars et en s’amusant avec des jeux vidéo ». Morale de l’histoire : si vous ne voulez pas voir vos chérubins drogués par le virtuel mieux vaut leur éviter la télé.
La recette miracle des jeux vidéos
Les adolescents ont abandonné leurs rubik’s cube au profit de super Mario, de Zelda ou de GTA4 et ce n’est pas un hasard. « C’est bien mieux qu’au cinéma. Ils n’ont plus une identité mais plusieurs grâce aux multiples avatars qu’ils se créent. La recette pédagogique des jeux vidéos n’existe nulle part ailleurs. Contrairement au système scolaire ils gratifient et ne réprimandent pas ».
Les "serious games" [1] sont d’ailleurs de plus en plus prisés. Mais attention aux idées reçues : « D’après une étude, les jeux de Nintendo pour muscler votre cerveau ne sont pas plus efficaces que les mots croisés du journal de Mickey », souligne Serge Tisseron. Cependant les "serious games" ont un bel avenir devant eux. Ils envahissent peu à peu les établissements de santé, d’éducation et de formation. La console Wii a elle aussi trouvé de nouveaux adeptes dans les maisons de retraite où certains résidents réalisent des petits exercices quotidiens tout en s’amusant.
Ce sont les consoles portables qu'il faut bannir. Elles isolent les enfants et les empêchent de communiquer.
Pour terminer, Serge Tisseron souligne qu’il existe de bonnes et de mauvaises manières de jouer. « Ce sont les consoles portables qu’il faut bannir. Elles isolent les enfants et les empêchent de communiquer. Il faut plutôt opter pour les jeux sur grand écran avec plusieurs manettes. Et pour les aider à ne pas être trop immergés dans leur monde, il est conseillé de jouer à plusieurs ». Il est très rare qu’un joueur ne distingue pas le réel du virtuel. Juste un bémol au sujet des jeux de voiture, « il est déconseillé de prendre aussitôt son véhicule car ils font perdre la notion de vitesse ». Selon le psychanalyste, la violence due aux jeux vidéos ne concerne qu’une minorité de joueurs. Pour lui, c’est aux parents de prendre le relais. « les concepteurs ont des normes très draconiennes. Il faut absolument se référer à la norme PEGI. »
Amandine Miquelez
Quelques livres de Serge Tisseron
Virtuel, mon amour, édition Albin Michel
Qui a peur des jeux vidéos, édition La Découverte
Manuel à l’usage des parent dont les enfants regardent trop la télévision, édition Bayard
Fragil a rencontré Serge Tisseron à l’occasion d’une conférence de l’atelier des médias de l’Université de Nantes. Retrouvez des extraits de la conférence ainsi qu’une vidéo réalisée par Euradionantes sur le site de l’Atelier des Médias.
[1] Serious games : jeux de type ludique et pedagogique.
Bloc-Notes
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