
Hydrogen Jukebox, création
La fabrique de tous les possibles
Spectacle vu le 12 janvier 2009
Angers Nantes Opéra créé l’évènement grâce à la création française de Hydrogen Jukebox de Philip Glass, sur des poèmes de Allen Ginsgberg. L’occasion ,pour le metteur en scène et auteur de théâtre, Joë l Jouanneau, d’effectuer sa première mise en scène d’opéra, l’occasion, aussi, de retrouver à Nantes Philippe Nahon et l’ensemble Ars Nova et de voir le magnifique acteur Eric Génovèse, dans une éblouissante composition. Lire aussi l’article approfondi Anti-Patriotic Act et voir le portfolio Yes we can’t.
L’un des premier spectacles de l’ensemble Ars Nova, lors de sa création en 1963 par Marius Constant, un artiste proche de Peter Brook, était une adaptation musicale des Chants de Maldoror de Lautréamont, où le chef d’orchestre était un danseur. Philippe Nahon, l’actuel directeur de l’ensemble, poursuit de telles rencontres improbables et poétiques et brise les frontières entre les disciplines, dans un travail d’une réjouissante liberté. Dans Hydrogen Jukebox de Philip Glass et Allen Ginsgberg , dont la création européenne a eu lieu à Nantes le 12 janvier dernier, les musiciens sont intégrés à la dramaturgie du spectacle et forment, avec les chanteurs et le comédien, une troupe où tous racontent la même histoire. Joël Jouanneau, qui signe sa première mise en scène d’opéra, a construit un travail qui va au plus près du Work in progress qui caractérisait les improvisations de Philip Glass et de Allen Ginsgberg dans les années 90. La proposition d’un espace qui suggère la fabrique de Andy Wahrol, avec des symboles d’une Amérique d’après la guerre du Vietnam, en mal de repères, illustre le morcellement des consciences d’une manière ludique et extrêmement vivante. Philippe Nahon, le chef d’orchestre, endosse le costume de l’oncle Sam, figure emblématique des Etats-Unis. Il joue avec les solistes dans un fascinant détournement des codes de l’opéra. La musique et le chant sont véritablement ici une matière théâtrale, ils sont placés au coeur du jeu, dans une pratique chère à Ars Nova. Le sommet en est le rappel, parfaitement orchestré, dans lequel il est question d’une voiture verte, mais où l’enjeu est évidemment ailleurs. Les solistes se regardent, s’écoutent et se sourient. C’est très beau, comme une harmonie retrouvée par les voix.
Un passeur entre la musique et les mots
Eric Génovèse, sociétaire de la comédie française et artiste d’un total engagement scénique, élargit encore le champ des possibles dans un rôle parlé. Il est Allen Ginsgberg, dans son rapport écorché avec la société américaine mais aussi dans l’intimité de sa création artistique, tapant les mots qui résonnent de sa fureur, sur une vieille machine à écrire. Il est le passeur, très investi physiquement, entre la musique et les mots. Son interprétation est pleine de grâce et de gravité, dans un constant rapport avec les figures qui traversent le plateau. Certains instants sont d’une poésie infinie, comme l’inventaire du nombre de victimes de guerres et de chiffres qui rappellent notre place dérisoire dans le cosmos. Travesti, il ponctue chacune de ces formules qui donnent le vertige, d’une grinçante chorégraphie. Il rappelle, dans sa mouvance et dans ses errances entre différents univers, Puck du Songe d’une Nuit d’Eté. Il en a la légèreté et la sensualité. Accompagné d’un piano, il s’empare d’un texte très engagé rejetant toute idée de guerre avec une incroyable puissance. Un grand moment de théâtre ! Dans un registre plus intime,il exprime, dans le touchant hommage à Tante Rose la perte et le deuil avec pudeur et humanité. Lors de la scène de l’ultime chant, assis devant les chanteurs, il se retourne et sourit à chacun d’eux. C’est un beau moment de réconciliation avec soi et avec les autres pour lequel on imagine que l’indication de jeu a pu être d’écouter la musique.
Une troupe attachante
Joël Jouanneau est un magicien et est parvenu à souder toute l’équipe de ce spectacle en une troupe qui donne l’illusion que tous travaillent depuis très longtemps ensemble. Il règne entre eux une belle énergie et une réjouissante complicité. Ils sont tous de nationalités différentes et ont des parcours très riches. Le gallois Jérémy Huw-Williams donne de très belles couleurs à chacune de ses interventions et offre un premier air particulièrement aérien. On lui doit à Nantes, il y a dix ans, un choc d’opéra. Il était Till l’espiègle dans l’opéra de Karetnikov. Jean-Loup Pagésy qui était Golem pour Angers Nantes Opéra il y a deux ans, a une voix profonde et caverneuse. On rêve déjà du commandeur du Don Giovanni de Mozart qu’il va interpréter à l’opéra de Rennes en mai prochain. La mezzo-soprano Aurore Ugolin a une magnifique présence scénique et produit des sons très riches. Tous sont à citer, en symbiose avec les musiciens de l’ensemble Ars Nova. Ils incarnent avec bonheur une rédemption possible par l’art !
Christophe Gervot
Photos : Patrice Molle
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