
Festival Soy 2008
Que la musique triomphe de la pluie : SOY au Pannonica
Le Pannonica, Nantes, dimanche 2 novembre 2008
Ceux qui ont eu assez d’endurance pour assister à la fin du marathon musical du Festival SOY, en dépit de la pluie, en dépit d’encore plus de pluie, à travers le bon, le très bon et le bof-bof, ont eu la chance d’assister à une soirée qui les a laissés avides d’encore plus : à quand la septième édition ? Juste après le râgâ de Chris Corsano et de Mick Flower, à peine quelques rues plus loin, le chapitre final du festival, au Pannonica, confirmait la tendance de l’association Yamoy à vouloir toujours offrir un petit quelque chose à chacun –à condition, bien sà »r, que ce petit quelque chose ne soit pas ce que l’on s’attend généralement à écouter un dimanche soir… ou n’importe quel autre soir d’ailleurs. Retrouvez cet article en version anglaise.
Avec Stearica, trio turinois se complaisant dans le pilonnage en règle de power chords, SOY semblait vouloir saluer la dernière faction des amateurs de post-rock qui se pointent à chaque événement musical d’ampleur organisé en ville. Et pourtant, les apparences –même musicales– peuvent décevoir. Sans compter le soutien quelque peu surprenant que leur a accordé Acid Mothers Temple en les invitant à rester dans leur orbite pour les prochains mois de tournée, il y a quelque chose d’assez rafraîchissant dans la manière dont les Stearica abordent le post-rock, genre qui s’ossifie peu à peu. Et ce n’est pas seulement parce qu’ils viennent d’Italie, ou parce qu’ils parsèment leur mix de guitare, basse et percussions d’extraits parlés et de feedback.
Les Stearica s’arrangent pour jouer très vite et très fort, et pourtant très ensemble.
Tout comme les groupes les plus appréciés du genre, les Stearica s’arrangent pour jouer très vite et très fort, et pourtant très ensemble. À certains moments cependant (et ce sont les plus intéressants), la machine bien huilée s’emballe, la précision mathématique flotte –une pause qui dure un peu trop longtemps, une ligne de basse qui meurt en un rugissement à faire vibrer le parquet, un fill de batterie qui semble vouloir s’émanciper de cette marche en avant cartésienne et implacable qu’est leur musique. Stearica semble toujours sur le point d’exploser en vol, et c’est peut-être cette attente, plus que tout autre chose, qui réussit à capter notre attention.
No Age : de retour du futur, de retour du passé
À leur suite, Den Spunt et Randy Randall de No Age, qui se présentent modestement au public comme “juste un autre groupe de rock ‘n’ roll”. Ce qui est probablement le meilleur moyen de présenter ce duo de Los Angeles, non parce qu’il est juste un autre groupe de rock, mais parce qu’il se plaît à distiller les principes du rock ‘n’ roll en une formule plus que compacte : Dean à la guitare, Randall à la batterie, des vocaux hurlants (à peine audible au-dessus de la guitare et de la batterie), et une douzaine d’hymnes couplet-refrain de deux minutes martelés à la vitesse grand V.
La musique de No Age n’a rien de remarquable ; et c’est précisément ce qui fait son charme.
Bien que leur travail avec des samples enregistrés maison et des effets de guitare sur Weirdos Rippers et Nouns ait mené certains critiques à utiliser les termes d’“expérimental” et de “rock noise”, ce n’est pas l’impression que dégage leur set live –mis à part le facteur volume, bien entendu. Non, la musique de No Age n’a rien de remarquable ; et c’est précisément ce qui fait son charme. Ceux qui s’abstiendront de les qualifier d’emblée comme “juste un autre” groupe de rock FM découvriront que les No Age ne sont pas si complaisants, et que leur refrains optimistes et leur attitude positive sont moins le signe d’un “consensus” qu’un héritage des idoles punk boutonneuses de leur jeunesse : Black Flag, Nation of Ulysses, ou même The Adolescents. Ils nous rappellent ainsi que la simplicité et l’exubérance du punk véritable –malgré le passage des années– sont toujours vivantes et bien-portantes.
Défier la gravité avec Acid Mothers Temple
Acid Mothers Temple, ou le groupe pour lequel la majorité du public était au Pannonica ce soir-là. Dire qu’ils n’ont pas déçu serait aussi déplacé que de comparer leur performance à n’importe quelle autre du Festival SOY. Bien que récent –Acid Mothers Temple n’existe que depuis 1995–, le collectif japonais a délivré plus d’albums, accueilli plus de membres et réalisé plus de projets parallèles que la plupart des groupes de space rock psychédélique tournant depuis les années 60 et 70. Ce pourquoi l’on est tentés d’abandonner l’analyse socio-historique pour adopter la croyance qu’ils répandent eux-mêmes : ces types-là viennent effectivement de l’espace. Sur leur site web, les membres d’Acid Mothers Temple & The Melting Paraiso U.F.O (l’une des émanations les plus populaires du collectif, et celle au Pannonica ce soir-là) présentent leur musique d’une manière aussi pertinente que n’importe quelle autre : “Ce que vous vous apprêtez à expérimenter est aussi génialement et sublimement cool que la musique d’un autre système solaire, quand les dieux anciens dominaient encore la Terre !”
Une description beaucoup moins déroutante quand on les voit entrer en scène : quatre anciens aux cheveux incroyablement longs, dont la couleur va du noir au blanc, se balançant d’un côté et de l’autre, comme s’ils ne pouvaient être affectés par quelque chose d’aussi terrestre que la gravité. Caché derrière une longue moustache et une barbe, Higashi Hiroshi lance avec son synthé quelques trémolos astraux, tandis que Tsuyama Atsushi à la basse et Shimura Koji à la batterie mettent en place l’une des sections rythmiques les plus distordues et énergiques que l’on ait entendu de ce côté-ci de la galaxie. Le guitariste soliste Kawabata Makoto, alter ego japonais de Slash, torture sa guitare ; il en tire une succession de phrases répétées qui, peu à peu, gravissent les pentes sublimes du Mont Olympe.
Pour certains, la musique d’Acid Mothers Temple est une expérience religieuse. Pour d’autre, c’est simplement “too much”.
Pour certains, la musique d’Acid Mothers Temple est une expérience religieuse. Pour d’autre, c’est simplement “too much”. Mais il y a aussi ceux qui, comme les musiciens eux-mêmes, semblent apprécier le fil sur lequel marche le collectif, entre sérieux et parodie, entre spiritualité orientale et fantaisie post-coloniale. L’élément “oriental” de leur musique s’étend bien au-delà de l’utilisation occasionnelle d’une flûte japonaise, ou d’un riff de guitare tiré d’une BO bollywoodienne. Il imprègne la fibre même de la structure de leurs chansons. Ce qui est fascinant, dans la musique d’Acid Mothers Temple, c’est qu’on ne peut jamais dire s’ils créent une musique authentiquement “bouddhique” (comme ils le clament), ou bien s’ils nous jettent au visage nos propres fétiches orientaux. Quand Tsuyama Atsushi s’approche du micro et fredonne un “om” comme un moine tibétain dans un rite de lévitation de dessin animé, on ne peut s’empêcher de se demander s’il se moque de lui-même ou bien… de nous.
Un seul regret… que Tsuyama Atsushi, comme le reste du groupe, ait été trop occupé à s’élever vers le Ciel pour discuter un peu avec nous…
Retrouvez cet article en version anglaise.
Emilie Friedlander
Traduction : Sophie Pécaud
Photos : Rémi Goulet
À écouter :
No Age, Nouns, Sub Pop, 2008.
Acid Mothers Temple & the Melting Paraiso U.F.O, Glorify Astrological Martyrdom, Important Records, 2008.
Acid Mothers Temple & the Melting Paraiso U.F.O, Cometary Orbital Drive, Bam Balam Records, 2008.
Acid Mothers Temple & the Melting Paraiso U.F.O, Interstellar Guru And Zero, Homeopathic, 2008.
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