Publié le 8 octobre 2008

AgnesFoissac

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Alors que sa mère, très âgée, commence doucement àsombrer dans l’incohérence, Tahar ben Jelloun se livre àun exercice de transcription du long monologue qu’il écoute patiemment àson chevet.

Il devient le témoin à la fois des lucidités fugitives et des errances de cette femme qui, comme délivrée des contingences du temps et de l’espace, se confie en mélangeant les visages, les lieux et les époques. Elle relate ainsi les évènements marquants d’une existence difficile, revit dans le désordre, avec drôlerie et amertume, ses espérances de petite fille, ses angoisses de jeune fille dans l’attente du mariage, redevient jeune mère, puis veuve, et épouse à nouveau. Elle convoque les morts, croit qu’ils sont auprès d’elle et la seconde d’après qu’ils l’ont abandonnée. Sans pudeur elle offre ainsi des bribes de sa vie de femme à un fils qu’elle ne parvient plus toujours à reconnaître.

La naissance d’un roman pour exorciser la peine

Si elle les éloigne, la maladie de sa mère permet pourtant à l’auteur de faire une rencontre insoupçonnée avec elle. Il la perd dans le présent mais la découvre dans le passé, à travers son histoire, véritable héritage verbal que l’écrivain doit reconstruire « Chaque fois, j’ai inventé ses émotions et j’ai dû lire ou plutôt traduire ses silences ». Et c’est en ce sens qu’il s’agit d’un véritable roman. Tahar Ben Jelloun transcende par l’écriture sa position de spectateur de la décrépitude mentale et physique de sa mère. Il exorcise cette douloureuse et pourtant inéluctable inversion des rôles qui fait que nous devenons tous un jour parent de nos propres parents.

Il confronte d’ailleurs le traitement coupable des personnes âgées de nos sociétés occidentales à celui du Maghreb. Au Maroc, il n’existe ni hospices, ni maisons de retraite. Cette option ne fait pas partie de leur culture. Les familles, souvent nombreuses, prennent en charge leurs vieillards et cela va de soi. La sénilité n’ampute pas du statut de père ou de mère.

Concernant la forme du roman, les répétitions, très nombreuses, peuvent fatiguer la lecture jusqu’à l’agacement. Pourtant elles restituent fidèlement l’émotion de ces moments passés auprès d’une femme dont les pensées perdues passent et repassent en boucle. Le romancier et poète transforme les divagations en litanies d’amour, l’amour filial inconditionnel qui sous tend l’intégralité de ce roman.

Agnès Foissac

Tahar Ben Jelloun Sur ma mère, roman, Gallimard