Publié le 22 février 2004

Marion Mélaye


Qu’est-ce que la pornographie ? Y a-t-il une différence entre pornographie et érotisme ? Qu’est-ce qu’un impératif pornographique ? Quelle est la place, dans ce cadre, de l’amour, du désir et de la subjectivité ? Lors d’une conférence, le 2 février, dans le cadre des "Escales Philosophiques" au Piano’cktail, Michela Marzano, chercheur au CNRS, essaye d’aborder ces questions d’un point de vue philosophique.

La pornographie comme symptôme

L’analyse d’un symptôme : celui de la banalisation de la sexualité, de l’instrumentalisation du corps, et de l’effacement de la subjectivité a été soulevée d’un point de vue éthique et non moraliste. La problématique des normes : aux "normes" de la pornographie (et ses images qui essayent de formater le sexe) s’oppose les normes des censeurs.

Le contexte contemporain : le sexe est partout

Que ce soit à la télévision, sur Internet, au cinéma, ou dans les magazines : on dit et montre tout. Où des normes sont instaurées et où l’on sépare la sexualité du désir. S’appuyant sur : La vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet (Éd. Millet, 2000), Michela Marzano explique le dualisme entre l’esprit et le corps qui permet de ressentir sa sexualité.

Pornographie

D’un point de vue juridique, la loi de 1975 (qui instituait un classement X pour les films à caractère pornographique) ne donnait aucune définition de la pornographie et renvoyait en revanche à un décret (jamais rédigé) pour la préciser. En 1981, la Commission du gouvernement instaure l’appelation érotique : lorsque les gestes amoureux sont glorifiés tout en les décrivant complaisamment. A l’opposé, la pornographie priverait les rites de l’amour.

En effet à l’érotisme (subtil et noble), la pornographie demeure explicite, grossière, et ignoble. Le problème n’est pas dans la quantité de chair montrée, ni, non plus dans la précision « chirurgicale » avec laquelle certaines scènes sont représentées. Le problème est plutôt la représentation que la pornographie nous donne de l’individu : il existe une frontière qualitative. C’est l’image de l’individu lui-même qui change.

Pornographie « classique »

A partir des années ’70s : on assite à la construction rigoureuse des images, à un hyperréalisme (accumulation de signes). La sexualité est affichée comme rituel. Les acteurs et actrices sont des modèles où le primat est à la performance.

Contraintes et normativité

La pornographie ne nous raconte pas comment les choses vont dans le monde, mais comment elles doivent aller, comment une femme doit être et doit réagir afin d’être une femme. Elle nous dit comment un homme doit se porter afin d’être un vrai homme, quelles sont les règles du jeu et ce qu’il faut faire. La pudeur, le dégoût et la compassion sont trois digues abattues.

Définition de Lawrence (acteur) : « En art, ce ne sont ni la charge ni la stimulation sexuelle. Ce n’est même pas l’intention délibérée de l’artiste de réveiller ou d’exciter le désir sexuel. Il n’y a rien à redire au désir sexuel lui-même, du moment qu’il se manifeste sans détour. La stimulation sexuelle est normale. »

La sexualité

La sexualité humaine a la particularité d’être ce par quoi l’homme et la femme se remettent en cause profondément, en dépassant leur solitude et en s’abandonnant l’un à l’autre. D’autre part, la sexualité est le lieu même de la compromission, de l’abandon : c’est dans et par l’acte sexuel que le sujet s’ouvre au mystère du manque, qu’il découvre la jouissance dans ce qu’elle a de plus intime et de plus étranger, qu’il touche sa faille structurelle, la faille d’où procède le désir.

Ce qui est en jeu dans la sexualité, c’est un subtil équilibre entre la dépossession de soi et la possession de l’autre.Dans la sexualité, l’homme est confronté au renoncement : le désir peut s’exprimer et émerger dans la mesure où autrui fait « barrière » à notre envie de le « consommer ».

Dans la sexualité, autrui est une « présence » qui confirme notre présence et qui nous permet d’exprimer notre subjectivité.

Selon J. Paulhan : « L’amour, c’est quand on dépend -je ne dis pas sexuellement dans son plaisir, […] enfin de tout corps étranger avec l’esprit ou l’âme qu’il porte, d’un corps qui peut à chaque instant devenir plus éblouissant que le soleil, plus glaçant qu’une plaine de neige ».

Cette conférence qui a rempli le Piano’cktail a plusieurs fois choqué l’assemblée de tous âges. Nombreux sont ceux qui sont sortis avant la fin de la conférence. La tension réside dans le sujet qui demeure un sujet sensible. Elle s’exprime également en bioéthique, car la pornographie est très souvent une conduite grave envers les femmes et les enfants. La dérive avec les snuf movies (meurtres filmés) en est sa radicalisation.

Son discours a enfin relevé que l’on voulait tout voir dans la pornographie comme dans les Real-TV. Ajoutons que ce n’est plus la sexualité qui inspire la pornographie, mais très souvent la pornographie qui inspire la sexualité. Durant une heure l’assemblée a mené le débat avec le chercheur du CNRS qui a souvent esquivé des opinions claires et précises. A Paris, lors d’une conférence : la polémique de son discours avait auparavant choqué, ce qui a été porté au tribunal.

-  Penser le corps de Michela Marzano (PUF, 2002).