Publié le 21 mai 2004

Pascal Couffin


La culture sur le point d’être privatisée. Les industries culturelles contrôlent l’ensemble de la chaîne : de la création àla distribution. Alors que l’offre de produits culturels est de plus en plus élevée, une infime partie est consommée. Pourquoi ?

Vers la marchandisation de la culture

A la fin des années 90, lorsque le cycle de négociation de l’Uruguay Round s’acheva, un immense champ s’ouvrit aux 120 pays membres de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Pour l’OMC, tous les secteurs de la vie humaine peuvent être déréglementés et libéralisés. Le secteur culturel a, lui, bénéficié d’un sursis de deux fois cinq ans et c’est à ce moment là que l’on a commencé à parler d’exception culturelle. Ce n’était pas une invention langagière de M. Jean Marie Messier, alors patron de Vivendi-Universal !

Désormais de nouveaux enjeux apparaissent, comme la volonté d’élargir le droit de la propriété intellectuelle à de nouveaux champs. Une anecdote mérite d’être signalé : les Etats-Unis avaient refuser d’adhérer au Copyright en 1891 pour des raisons de diversité culturelle afin de lutter contre l’impérialisme anglais et français. Un siècle plus tard, les rapports de force se sont inversés.

Concentration de l’industrie culturelle

Depuis quelques années, on constate une très grande abondance des produits culturels mais elle fait face paradoxalement à une grande concentration de la consommation. Pour le secteur musical, 5% des disques représentent 60% des ventes. Même logique quant à la diffusion en radio. Selon une enquête du Figaro Entreprise du 10 janvier 2003, le nombre de passages radio de Jean Jacques Goldman à été de 37200 passages (soit plus de 100 par jour !)

Désormais, l’industrie culturelle est extrêmement concentrée. Ainsi pour l’industrie du disque, 4 majors détiennent 80% de la production. Ces multinationales, nous les connaissons tou(te)s, il s’agit de Time Warner, Viacom, Disney, NBC-Universal, Newscorp, Sony et Bertelsman. Elles possèdent aussi bien le contenu que les structures qui aide à promouvoir leurs produits culturels : agence marketing, chaînes de distribution, presse… La distribution a, elle aussi, connu la grande concentration.

L’intérêt d’un grand groupe à détenir 80% du marché est d’accélérer la rotation des produits à la vente. Ils n’ont donc plus le temps de s’imposer, tout est joué avant même la sortie en magasin par les politiques de promotions et de marketing. Un groupe comme Lagardère dans l’édition du livre peut définir le livre qui va faire un carton car il détient la chaîne d’un bout à l’autre : de la création à la vente. Standardisation et formatage sont de mises.

A côté de ces mastodontes, subsistent de nombreux indépendants qui malgré la vague de concentration, voient leurs produits augmenter. Mais seule une partie de cette offre de produits culturels est offerte à la consommation puisque ces biens de consommation n’ont pas la chance d’être placé en tête de gondole voir même de pénétrer les rayonnages des grands groupes de distribution. Le marché interdit à ces maisons indépendantes d’être présentes dans les grands lieux de diffusion. La censure est désormais économique. Alors qu’il existe 3500 éditeurs en France, on ne parle que de 200 !

Beaucoup de produits culturels, peu de demande

Le phénomène de concentration n’a donc pas réussi à entamer l’offre. L’inverse se produit même, puisque lors de chaque rentrée littéraire, le nombre de livre va croissant et c’est pour ces raisons qu’il a été décidé d’étaler les sorties sur l’année. Le problème vient donc des consommateurs qui ne s’intéressent (ou plutôt ne peuvent s’intéresser) qu’à une très petite partie du catalogue. Comme chacun sait, la politique de l’offre en matière culturelle ne suffit pas à élargir la demande.

Un réel apprentissage est donc nécessaire afin que le consommateur détienne les clés de la culture. Plus la curiosité grandit, plus la demande devient naturelle et l’intervention publique via la médiation culturelle se réduit. Malheureusement, l’émancipation du consommateur est loin d’être acquise. Nombre de prescripteurs, tels les médias, agissent sur son opinion et le conditionne à acheter une faible partie des produits culturels disponibles. La véritable réflexion qui doit être mener, est de définir notre rapport à la culture.

Une intervention publique nécessaire

L’intervention publique est donc primordiale. Sans elle, point de diversité culturelle. Aussi l’interdiction d’accorder des subventions aux entreprises culturelles au nom de l’OMC est un danger ! Si une telle mesure venait à s’exercer, on assisterait inévitablement à la réduction de l’offre culturelle. Le réseau de cinéma Europa a ainsi bénéficié de subventions de la part de l’Union Européenne afin de diffuser des films exceptionnels et leur laisser le temps de trouver un public. La réussite a été au rendez-vous, le goût du public s’est développé.

Les combats sont devant nous. Une ébauche de solution se dessine à l’horizon si elle est suivie d’une réelle volonté politique. La culture ne pèse pas un grand poids dans l’univers néo-libéral, aussi un des enjeux, est de faire en sorte que la culture ne soit pas l’objet d’une négociation à l’OMC. Pour cela il faut un texte, actuellement en préparation à l’UNESCO. A suivre…