Publié le 10 juillet 2005

Isabelle Kersimon


Programmation spécifique du festival, en partenariat avec la CCAS, l’opération "Contre-Courant" présentait hier soir une Calenture de la Coopérative 326 : Le Mur. Un saut violent dans l’insupportable et somptueuse puissance des mots de Christophe Blangero.

Il convient certainement d’abord de décrypter pas à pas, ligne à ligne, cette sorte de grimoire vivant qu’offre la Coopérative 326. Mais avant tout, pour bien entendre sa singularité et son positionnement, et parce que l’on ne saurait découvrir ses créations sans l’engagement de ceux qui la soutiennent, un petit tour dans le travail au long cours de la CCAS.

Barbarisme des sigles ! Sous ces sifflantes capitales, en Avignon, c’est la Caisse centrale des activités sociales EDF-GDF qui œuvre en conjonction avec le festival In pour proposer des spectacles gratuits sur l’île Barthelasse, face à la cité fortifiée. Financé par une partie (infime) du 1 % de nos factures de gaz et d’électricité, ce budget de soutien artistique (800 000 euros) concerne une centaine de créateurs, et un public estimé à environ cent mille personnes chaque année. Ce qui fait de lui le premier diffuseur de spectacles en France, avec un total de plus de 1 100 représentations. Mais revenons en Avignon, où "Contre-Courant" se déploie dans ce fondement philosophique et politique de la CCAS, soit, selon les mots de Fiore D’Ascoli, président de sa commission d’action culturelle, "une façon de créer les conditions d’accès à la culture pour tous". Et ce n’est pas du luxe, au royaume de toutes les représentations. "Ce qui nous intéresse", précise F. D’Ascoli, "c’est bien sûr la question artistique et culturelle, mais également la rencontre humaine entre les artistes et le public".

De rencontre et de rêve

Ca tombe bien, la rencontre est également au cœur de la dynamique de la Coopérative 326. En tournée nationale pour la CCAS avec Le Terrier (Kafka), elle créera par ailleurs mardi soir Mue - Première Mélopée, expression d’une symbiose artistique et métaphysique entre ses membres et ceux de la communauté xavante, du Mato Grosso (Brésil). On aura l’occasion d’y revenir très vite et plus longuement. Hier soir, en tout cas, une partie de la Coopérative présentait ce fameux Mur, objet poétique inouï défini comme l’une de ses "Calentures". Quand je vous disais qu’un lexique s’impose... Interrogé ce matin à ce sujet, Jean Lambert-wild, sur scène hier soir, en donnait la définition suivante : "Une calenture est un délire furieux auquel les marins sont sujets lors de la traversée de la zone tropicale, et caractérisé par des hallucinations et le désir irrésistible de se jeter à la mer. Notre délire est une dépression joyeuse."

Prenant prétexte d’une furieuse galvanisation opérée par la lecture de pensées de Christophe Blangero, Jean Lambert-wild, poète, dramaturge et metteur en scène, par ailleurs porte-parole de la Coopérative 326 en sa qualité de "plus bavard de tous", s’élance dans l’obscurité contre un mur tactile et réactif.

De nombreux spectateurs sont assis sur le plateau, faisant rempart humain sur les faces d’absence du mur dont, dans la nuit, on ne distingue que les frontières lumineuses. Face à lui, cet homme sur un fauteuil médical, armé d’un casque d’aviateur pour cette étrange traversée. Tout près, une femme - la splendide comédienne Laure Thiéry - livre la parole, ce court texte fracassant, d’une précision contondante, où la tendresse du souvenir et du désir le dispute à la revendication douloureuse de l’exigeance de vie. Tout commentaire étant par définition impossible et mortifère, l’homme se confronte à l’absolu, à la violence qui le malmène : ce conflit majeur, éternel, la quête de son lieu. En livrant son corps à cet élan, en se jetant intégralement contre ce mur, il se confronte à l’indicible. Du mur, surgissent des signes mouvants. A la violence des chocs, répond l’énigme chatoyante, par le biais d’un procédé électronique unique. La musique, hypnotique, de Jean-Luc Therminarias, accompagne cette douloureuse réitération du lancer où le don de soi dans la disparition finit par désigner un monde des possibles, une porte du rêve.

Victoire Delisle