Publié le 4 décembre 2010

Lucie Bouchereau

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Retour sur la rencontre avec Gonzalo Navarro, directeur de la maison d’édition « Equi-librio  », l’auteur espagnol Javier Iglesias Plaza et la traductrice Anne-Lise Thomin.

Nous avons un livre…

Equi-librio a vu le jour, il y a trois ans. Gonzalo Navarro est passionné de livres. Il souhaite conserver la liberté d’expression en France en favorisant la diffusion des « œuvres de l’esprit » de jeunes auteurs latino-hispaniques. Le concept est surprenant et ludique. Les ouvrages sont bilingues : un côté du livre propose la version française et l’autre côté présente celle en espagnol : une nouveauté intéressante d’un point de vue pédagogique et culturel.

Auquel vous ajoutez une dose d’Equitabilité…

Ne sachant comment appeler ce concept Gonzalo Navarro parle d’édition équitable. Il bouscule la norme française du contrat qui lie éditeur et auteur. Au sein d’Equi-librio, il n’y a pas d’exclusivité contraignante, les textes sont disponibles sous la forme traditionnelle du livre-papier et/ou en téléchargement. La répartition des gains issus de l’exploitation de l’œuvre est faite avec équité. L’auteur est ainsi placé au centre de la chaîne d’édition et non à la fin. Un exemple à suivre.

« Dos » : La traduction, jeu d’équilibre entre interprétation et réalité…

La traductrice, Anne-Lise Thomin, un maillon important de cette production bilingue, est également présente à cette rencontre. Elle nous fait part des difficultés culturelles de la traduction et de la place de l’interprétation qui est à doser avec attention tout au long de la traduction. Afin de retranscrire au mieux l’univers de Javier Iglesias Plaza, elle s’est donc bien imprégnée de son style. Une part d’interprétation reste malgré tout inévitable. La difficulté supplémentaire pour le traducteur de ce style d’œuvre bilingue est que le lecteur a les moyens (s’il est bilingue franco-espagnol !) de vérifier le respect du sens donné par l’auteur, comment le sens voyage d’une langue à l’autre :

L’auteur, dans ce livre Le baiser de Borges et autres absurdités du quotidien fait référence aux collines de Ubeda. Il utilise l’expression « andar por los cerros de Úbeda », littéralement « divaguer sur les collines de Úbeda ».

Le problème, pour la traductrice, est que l’auteur s’interroge sur l’existence de ces collines et sur le fait que personne ne les ait jamais vues. Il s’interroge également sur l’origine de cette expression. (Personnellement, comme la majorité des Français, je ne connais pas ces collines. Ça s’écrit comment ?)

Nos expressions nationales ou régionales font référence à notre passé culturel, à l’histoire de notre pays...comment rendre alors accessible le sens de cette histoire de colline pour le lecteur français ? La traductrice a choisi l’expression : « passer du coq à l’âne ». « Ça vaut ce que ça vaut » comme disait avec humour Anne-Lise Thomin.

De l’humour, d’accord, surtout quand on découvre l’origine de cette expression. En 1227, un capitaine nommé Álvar Fáñez. Pendant la prise de la ville de Úbeda par les troupes du roi Ferdinand III de Castille, dont il faisait partie, ce capitaine disparut peu avant l’assaut final et réapparut alors que la ville était prise. Il déclara au roi qu’il avait complètement oublié la bataille, parce qu’il avait un rendez-vous amoureux avec une belle sur les « collines de Úbeda ».

« Tres » : Les contes de Plaza

Javier Iglesias Plaza, à découvrir dans le livre diffusé par Equi-librio ou sur son blog Vida puta sin talento /Putain de vie sans talent, nous surprend et nous interroge : par son style, sa non-conformité et son langage coloré. On rie jaune sur de l’humour noir, le verbe y est familier et la métaphore surprenante. La digression arrive comme un cheveu sur la soupe (encore un proverbe), alors que l’histoire est tour à tour morbide et attachante. La putain de vie sans talent ?

Il nous conte « ces gouttes d’absurdité du quotidien sur lesquelles nous n’avons pas le temps de nous arrêter ». Il est percutant, parfois dérangeant. Il parle de solitude, du temps qui passe, de la mort, des cauchemars, d’apparence physique, de conformité, d’amour, de désir, de la nuit, du sens de la vie, de fourmis, de soucis de frigo vide, de femme-citron et de canapé pas confortable. Il nous offre une suite de « cuentos », des petits récits de quelques pages de bizarreries sans trame, parfois sans histoire ni explication mais mettant en scène un peu de folie pour combattre la « dictature de la logique ». Ce concentré d’inquiétudes nous renvoie aux nôtres. Selon lui, assumer « le fait qu’il n’y a rien à expliquer, que tout peut se réduire à l’absurde » est le début du bonheur. La dérision et le rire sont nécessaires pour « affronter » le quotidien.

Lucie Bouchereau