Publié le 7 juin 2009

Vincent Hallereau

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Ce magnifique disque ne verra, hélas, jamais le jour. On se le procurera sous le manteau moderne qu’est le téléchargement plus ou moins légal.

Dark Night Of The Soul est un album issu de la collaboration exemplaire entre trois mondes différents : un producteur hype, Danger Mouse (Gnarls Barkley, Gorillaz, Beck…), un songwriter américain discret mais extrêmement talentueux, Mark Linkous (tête pensante de Sparklehorse), et un cinéaste, touchant au génie, David Lynch, qui offre au projet un remarquable livret photo de cent pages, et prête sa voix à deux titres. Cerise sur le gâteau, une pléiade d’invités prestigieux se succèdent au micro, sur chacun des treize titres : Jason Lytle (ex-leader des immortels Grandaddy), The Flaming Lips, Gruff Rhys (Super Furry Animals), Julian Casablancas (The Strokes), James Mercer (The Shins), Nina Persson (The Cardigans), Vic Chesnutt, Suzanne Vega, Iggy Pop, Black Francis. Que du bon !

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Mais ce disque impressionnant ne connaitra pas de sortie physique. En effet après une querelle entre Danger Mouse et la puissante et mythique maison de disque EMI (The Beatles, The Yardbirds, David Bowie, The Sex Pistols, Radiohead…), autour d’une réclamation mystérieuse de droits d’auteur, le coffret ne comprendra, finalement, que le recueil de photos, signées David Lynch, et un CD-R vierge. Tous les exemplaires, limités à 5000, seront clairement estampillés : “For Legal Reasons, enclosed CD-R contains no music. Use it as you will.”, soit : “Pour des raisons légales, le CD-R ne contient pas de musique. Utilisez-le comme bon vous semble”. Le prix est de dix dollars pour le CD-R et un poster, et de cinquante dollars pour l’édition avec le livret de cent pages (disponible ici). Est-ce une nouvelle façon de contrer les majors ? Cela ressemble plus, hélas, à un suicide collectif ou, plus simplmement, à un sacerdoce musical. Les 5000 exemplaires ne suffiront évidemment pas à couvrir les coûts de production de l’album, avec ses nombreux et célèbres invités, et du livret. Il semble donc voué à l’underground, et ce n’est que regrettable au vue de la qualité de l’ensemble, mais cela démontre, une nouvelle fois, la puissance et les abus des maisons de disque.

Qu’en est-il de la musique ?

Dans sa démarche, elle pourrait faire penser au projet U.N.K.L.E. et son album Psyence Fiction, du producteur James Lavelle et de Dj Shadow, de 1998, avec des collaborations multiples telles que Thom Yorke, Mike D (Beastie Boys), Kool G. Rap, Jason Newsted (Metallica), Badly Drawn Boy et Richard Ashcroft (The Verve). Mais, avec Dark Night Of The Soul, on est plus du côté de la pop que du trip-hop, comme l’était l’album de Lavelle et Dj Shadow.

Aussi étonnant que cela soit, avec autant d’invité, l’album est cohérent de bout en bout. Les mélodies, pop-country-folk-psychédélique-space-rock, composées par Mark Linkous, sont véritablement jouissives, et la production, électro-pop-synthétique, de Danger Mouse amène une touche de modernité, et par moment un coup de fouet salvateur, comme sur Little Girl (avec Julian Casablancas) ou Pain (avec Iggy Pop). Chacun met sa touche personnelle, mais ne tire pas la couverture à soi, dans le respect de l’homogénéité du projet. Les grands moments de l’album sont Dark Night of the Soul et Star Eyes (I Can’t Catch It), aux mélodies vaporeuses et répétitives, avec un David Lynch insoupçonné au chant, époustouflant, le très beatlessien Daddy’s Gone avec Mark Linkous et la délicieuse Nina Persson et Grim Augury avec Vic Chesnutt, formidable ballade folk des temps modernes. En fait, toutes les chansons sont fabuleuses ! J’aurais juste deux bémols à apporter pour les titres, trop proches de leurs interprètes et donc trop faciles, Angel’s Harp avec Black Francis, un peu trop rentre-dedans, ainsi que Pain avec Iggy Pop, mais en même temps, la voix d’Iggy est terrible, et ça, ça sauve un morceau.

Télécharger cette exceptionnelle pépite est devenu une évidence, avec ces commentaires alléchants… Vous pouvez, aussi, l’écouter intégralement ici.

Vincent Hallereau