Opéra
L’interprétation du Songe
Le Songe d’une Nuit d’Eté de Britten, à l’Opéra de Nice le 25 avril 2008
En programmant une nouvelle mise en scène du "Songe d’une Nuit d’Eté", l’Opéra de Nice crée l’évènement. Pour monter cet opéra -rarement représenté- de Britten d’après Shakespeare, Paul Emile Fourny s’est souvenu de son premier métier de comédien, et a orchestré un spectacle où le théâtre est roi. Le mélange des genres offert ici rappelle combien l’opéra est un art total.
"Le songe d’une nuit d’été" de Shakespeare [1] a été particulièrement inspirant pour les compositeurs. Dès 1692, Henri Purcell proposait "The fairy queen",une série de sublimes intermèdes musicaux destinés à s’intégrer à cette comédie, dans un mélange des genres baptisé mask, équivalent britannique de notre comédie-ballet. L’opéra de Rennes a présenté une vision de cette partition foisonnante et sensuelle en février dernier. En 1960, Benjamin Britten créait un opéra à partir du "Midsummer Night’s Dream" [2], en prolongeant l’onirisme du texte par des sonorités aériennes et les accents légers et mouvants d’un songe. L’opéra de Nice, en miroir de la partition de Félix Mendelssohn, dont un ballet sera représenté les 6, 7 et 8 juin prochains, a proposé, du 25 au 29 avril, une production éblouissante du chef d’oeuvre de Britten. Paul Emile Fourny, après l’avoir présenté l’an passé au Teatro Colon de Buenos-Aires, a réglé une mise en scène jubilatoire qui accorde la primauté au théâtre. Cet opéra marie avec un rare bonheur les égarements baroques entre l’illusion et la réalité et les vertiges du sentiment amoureux.
C'est beau de voir les spectateurs sourire ainsi après un opéra, de ces sourires que seuls causent un beau visage, un paysage parfait et quelques oeuvres d'art
Du théâtre avant toute chose
Lorsque le rideau se lève, le regard est saisi par un entassement pyramidal de chaises de théâtre qui fait penser aux sculptures improbables de Arman. Par delà l’aspect esthétique de cet assemblage, c’est avant tout un formidable élément de jeu que les interprètes escaladent, contournent tout en racontant des histoires de forêt enchantée et d’amours contrariées. Cet opéra mêle les genres et les sentiments, de l’élégie à la fureur, de la magie à la parodie. Les possibilités d’expression sont donc multiples. On sent, dans l’équipe réunie pour ce spectacle, un esprit de troupe et un bonheur de jouer communicatifs. Paul Emile Fourny, avant d’être metteur en scène d’opéra et directeur de l’opéra de Nice, a été comédien en Belgique et il renoue ici avec son premier métier en proposant une direction d’acteur pleine d’invention et d’imagination qui trouve, dans le jeu, une belle énergie où tous donnent sans compter. Scott Emerson compose un Puck tourbillonnant tandis que les quatre amoureux expriment tous les mouvements du coeur avec une touchante vérité, que ce soit Graciela Oddone, Helena bafouée, Mariana Rewerski, découvrant avec stupeur l’abandon ou encore Jonathan Boyd, émouvant Lysander et Luciano Garay, brutal Demetrius. Ils forment un quatuor parfaitement réglé pour la ronde des amours intermittentes. Le paroxysme théâtral est atteint dans la parodie de "Pyrame et Thisbé" [3], variation comique des blessures du coeur, où la troupe de comédiens offre un réjouissant spectacle. Ricardo Cassinelli, dans le personnage de Flute, construit une figure de Thisbé décalée, excessive et d’un incroyable pouvoir comique !
La musique des mouvements du cœur
La partition de Britten sculpte les émois de ces personnages contrastés et riches en couleur grâce à des sons d’une beauté inouïe, aux accents ineffables. La palette orchestrale est en outre fascinante et Arthur Fagen, à la tête de l’orchestre philharmonique de Nice obtient des accords envoûtants, en parfaite symbiose avec la magie du spectacle. C’est une musique qui trouble, qui transporte ; nous sommes complètement ici dans cet art total dont rêvait Baudelaire. Oberon est incarné par un fascinant sopraniste : Fabrice Di Falco, surnommé le Farinelli créole. Son chant aérien mêle de sublimes vocalises à celles de Mélanie Boisvert, Tytania à la voix de cristal, dont on a déjà adoré la lumineuse présence dans "Le Monde de la Lune" de Joseph Haydn à Nantes et à Angers en janvier dernier. Depuis le monde des fées, ces deux artistes orchestrent un tourbillon de vie et de battements de coeur. On sort de ce spectacle dans un état de profond bonheur. C’est très beau de voir les spectateurs sourire ainsi après un opéra, de ces sourires que seuls causent un beau visage, un paysage parfait et quelques oeuvres d’art. Cette oeuvre est trop rarement représentée et on aimerait que plus de théâtres suivent l’exemple niçois, comme l’opéra de Toulon qui en proposera une vision la saison prochaine. Afin de permettre au plus grand nombre de vivre ce beau voyage esthétique, la soirée du 29 avril était ouverte aux étudiants pour 5 euros. Un triomphe !
Christophe Gervot
Colonne 1 : Jonathan Boyd et Mariana Rewerski
Colonne 2 : Graciela Oddone et Luciano Garay
Colonne 3 : Fabrice Di Falco et Mélanie Boisvert
Colonne 4 : La mise en scène de Paul Emile Fourny
Photos : Michael Campi / Opéra de Nice
[1] A lire : la traduction du "Le songe d’une nuit d’été" de Shakespeare par Jean Michel Desprats parue chez Actes Sud
[2] Un enregistrement de référence du "Songe d’une Nuit d’Eté" a été fait en 1990, sous la direction de Richard Hickox avec le divin James Bowman dans le rôle d’Obéron.
[3] La tragédie lyrique "Pyrame et Thisbé" de François Francoeur et Jean-Fery Rebel, présenté par Angers Nantes Opéra en mai 2007 vient de paraître en CD chez Mirare (2CD Mirare Mir058)
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