Emigration pas choisie
Brick Lane : le choc des cultures
Brick Lane, aussi appelé Banglatown n’est pas le quartier le plus touristique de Londres. C’est dans ce quartier que Sarah Gavron adapte le roman de Monica Ali et raconte le destin de Nazreen, une bangladaise déracinée. Entre la nostalgie de son pays d’enfance et l’ennui de sa vie Londonienne, elle construit sa vie tant bien que mal.
Une femme traverse tête baissée les rues bondées de Londres. Malgré un sari chatoyant, elle fait tout pour passer inaperçu. Elle rabat son foulard sur son visage dès qu’elle croise un regard. Cette femme qui semble mal à l’aise, c’est Nazreen.
Nazreen est née au Bangladesh. A 17 ans, elle arrive à Londres pour retrouver Chanu, le mari qu’on lui a choisi. Rapidement elle devient mère de deux filles. Et aujourd’hui, à 30 ans, sa vie à Brick Lane est monotone : faire les courses, attendre que son mari et ses enfants rentrent à la maison. Rien de bien passionnant pour cette jeune femme, qui ne rêve que de retourner au Bengladesh, pour rejoindre sa sœur, qui lui envoie régulièrement de ces nouvelles par courrier, des lettres qui lui procurent son seul moment d’évasion.
Mais Chanu se fait licencier et les soucis financiers s’accumulent. Nazreen décide alors de travailler. Sur les conseils de sa voisine, la jeune femme se lance dans de petits travaux de couture. C’est par son travail qu’elle rencontre Karim. Ils tombent amoureux et cette passion remet en cause toute sa vie.
A la recherche de son identité
A travers le regard de Nazreen, la réalisatrice montre la difficulté de « se sentir bien chez soi ». Comment réussir à s’intégrer dans une culture occidentale sans renier ses origines, sa religion musulmane ? Chaque personnage, confronté à ses doutes, essaye de répondre à cette question à sa manière.
On plonge dans l’univers de l’immigration, des mariages arrangés et surtout des destins de femmes coupées de leur culture d’origine.
Partagée entre deux hommes, Chanu, son mari et Karim son amant, Nazreen est alors confrontée à deux visions du monde. Chanu est un mari vieillissant, bedonnant, qui loin d’être vraiment méchant, essaye tant bien que mal de s’occidentaliser. Mais ses efforts semblent vains et ce monde le dépasse de plus en plus. Karim, lui est un jeune homme plein d’énergie. Porté par la fougue de sa jeunesse, il est à la recherche de ses racines et tente de comprendre les conséquences du 11 septembre en organisant des meetings politiques où il prône un islamisme conservateur.
C’est au milieu de ce tumulte d’idées contradictoires que Nazreen fait l’apprentissage de sa propre identité. Au début du film, l’insertion régulière de ses souvenirs d’enfance montre combien il est difficile pour elle de faire table rase de son passé. C’est grâce à ses filles, qui ne connaissent que l’Angleterre et la culture occidentale, que Nazreen trouve enfin le courage de se réconcilier avec son passé et son présent.
Un film intimiste
Les premières images de ce film sont dépaysantes. Nous sommes dans un Bengladesh lumineux, verdoyant. Le tout est saupoudré d’une musique bengladeshi traditionnelle. Sans transition, la caméra nous plonge dans Brick Lane. Le quartier est austère. Les immeubles en briques rouges ferment la vue. L’appartement familial est petit, long, et le sentiment d’oppression prend à la gorge. Par ces détails qu’on comprend l’état d’esprit de l’héroïne, sa perception du monde qui l’entoure. Au fil de l’histoire, la lumière de Londres change, elle s’éclaircit. Ainsi quand Nazreen est amoureuse, la lumière se fait tout de suite plus chatoyante, grâce au jeu de couleurs et de lumière du directeur photographique Robbie Ryan. Cette volonté d’être au plus près du personnage de Nazreen, incarnée par Tannishta Chaterjee, se traduit par des gros plans de son visage ou des scènes du quotidien.
A travers le regard de Nazreen, la réalisatrice montre la difficulté de « se sentir bien chez soi ». Comment réussir à s’intégrer dans une culture occidentale sans renier ses origines,
Un arrière-plan sociétal et controversé
Au départ, Brick Lane est un roman de Monica Ali, construit comme un monologue intérieur. Best-steller outre-manche, le livre est même en finale de la sélection Booker Prize. Mais il est aussi la cible de certains bengalis, qui le juge insultant, raciste, méprisant. Loin d’apaiser les tensions, le tournage du film à Brick Lane a suscité quelques remous. En effet, le film a une dimension sociale non négligeable : il nous plonge dans l’univers de l’immigration, des mariages arrangés et surtout des destins de femmes coupées de leur culture d’origine.
Au final, Brick Lane n’est ni un documentaire, ni un film sur la communauté bengladeshie en tant que telle. C’est la mise en scène du parcours d’une jeune femme, qui veut s’intégrer à une société où le poids du communautarisme est néanmoins présent. Dans cette perspective, savoir qui l’on est et ce que l’on veut est loin d’être simple. Plus qu’un film intimiste, Brick Lane poursuit le chemin déjà entamé par Just a kiss de Ken Loach et bouscule en douceur nos idées reçues sur la vie des immigrés d’Angleterre.
Marie Delhaye
Renaud Certin
à lire une interview de la romancière bangladaise Monica Ali dans The Guardian
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