La Chambre d’Isabella, spectacle baroque à la frontière des formes et des genres
Le rire, l’art et la vie
Création à la fois scénique, musicale et chorégraphique, la Chambre d’Isabella est un spectacle qui se pose d’emblée comme une Å“uvre aux apparences et aux sens multiples, déroutant et captivant le spectateur par la richesse des éléments qu’elle lui donne à voir et à penser.
Opulente : tel est le terme que Viviane de Muynck -qui interprète le rôle d’Isabella dans la pièce- utilise pour qualifier la scène. Et c’est en effet l’impression qu’elle donne : le sol, entièrement blanc, reflète intensément un éclairage parfois très fort, et les innombrables objets archéologiques qui constituent l’essentiel du décor sont à eux seuls, par leur omniprésence même, une partie non négligeable de la pièce. Mais ce qui rend ce spectacle véritablement « opulent », c’est sans doute la présence constante de tous les acteurs sur scène : lorsque les uns parlent ou chantent, les autres, souvent, dansent ou marchent en arrière-plan. Jan Lauwers en personne, l’auteur et metteur en scène du spectacle, est sur scène dans le rôle de l’ « homme au costume blanc », comme il se présente lui-même au début de la pièce.
L’Histoire dans l’histoire
Les objets archéologiques, si présents physiquement, ne se limitent cependant pas à un rôle visuel : c’est à partir d’eux qu’Isabella, une femme d’un âge avancé , va évoquer ses souvenirs et faire revivre aux yeux des spectateurs les fantômes de son passé. En racontant son histoire, Isabella raconte aussi celle du XXème siècle - narration du reste très sélective : esi l’on ne sait rien de ce qu’aurait été son attitude pendant la Guerre, Bowie et son Ziggy Stardust sont évoqués...e Mais, bien au-delà du seul XXème siècle, ce sont plusieurs millénaires d’Histoire qui sont conviés sur scène à travers les nombreux objets archéologiques présents. Comme le résume bien Viviane de Muynck, « Isabella porte en elle comme une touche d’ailleurs, l’histoire d’un certain temps, d’un passé, de l’Histoire ».
Aveugle
Etrangement, Isabella est aveugle. Cela peut paraître anecdotique face à la richesse visuelle et conceptuelle de la pièce, et vraisemblable pour une femme de son âge. Peut-être. Mais cette cécité est lourde de sens, d’interrogations. D’ailleurs, lorsque nous l’avons évoquée avec Viviane de Muynck, celle-ci nous a d’emblée précisé que Jan Lauwers ne s’était pas expliqué sur ce point, et que les hypothèses qu’elle formulait ressortaient de sa position de comédienne face à un aspect de son rôle. Selon Viviane de Muynck, la cécité d’Isabella peut être considérée comme la matérialisation de son « point aveugle » : « tout le monde a quelque chose qu’il ne veut pas voir », explique la comédienne ; Dans le cas d’Isabella, cette cécité volontaire concerne en particulier sa naissance : elle croit qu’elle est la fille d’un prince du désert. Mais cet aveuglement (au sens propre) n’est pas que négatif : l’aveugle, c’est aussi celui qui, privé de la vue de la réalité immédiate, voit plus loin ; tel le devin Tirésias qui, pour avoir été privé de la vue par Héra, reçoit en compensation de la part de Zeus le don de voir l’avenir. Poursuivant son interprétation, Viviane de Muynck suppose que la cécité d’Isabella permet à cette dernière de découvrir le « grand schéma », sorte de vérité profonde de la vie.
Rires et larmes : Budhanton
Ce « grand schéma », c’est peut-être à travers l’étonnante et truculente figure de Budhanton qu’Isabella le perçoit. Budhanton, pur néologisme de Jan Lauwers, est né de la contraction des noms « Buddha » et « Marc-Antoine » (homme politique et général romain, malheureux rival du futur empereur Auguste et amant de Cléopâtre) ; Budhanton, c’est donc le mélange de la sérénité de Buddha et des excès passionnés mais assumés et maîtrisés de Marc-Antoine. Chez Isabella, l’attitude calme et passionnée de Budhanton se manifeste surtout par ce grand rire qu’elle a face au tragique de la vie ; et c’est précisément ce qu’aime Viviane de Muynck dans ce personnage : « c’est une vieille femme pleine de joie de vivre, de curiosité, et qui a su profiter de la vie ». Isabella , en ce sens, est à la mesure du spectacle tout entier : s’il fait une si large place à la légèreté et au rire, c’est peut-être pour mieux répondre à la tragique énigme de l’existence humaine.
Gaël Montandon
Pour plus d’infos sur Jan Lauwers et sa troupe Needcompany : www.needcompany.org
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