Hip OPsession 2016 - Enquête sur l’accessibilité
Le hip-hop en partage
L’une des priorités pour la 12ème édition du festival Hip OPsession, c’est l’accessibilité pour tous, et notamment pour le public sourd et malentendant. Une action mise en place depuis 2007 qui n’a cessé de se développer depuis.
Pour l’édition 2016, le festival Hip OPsession poursuit sa démarche pour l’accès à tous les publics. Différentes actions sont prévues pour le public sourd et malentendant au cours du festival Hip OPsession : un concert chansigné, des interprètes sur grand écran pendant les battles, des accueils et des rencontres interprétées en LSF sur les différents événements. Entre autres. Car d’année en année, l’éventail des actions menées pour tous les publics s’élargit.
« Le temps fort, c’était le concert chansigné de Radikal MC et Laëty le 20 février au Ferrailleur. C’est une création originale pour le festival », explique Pierrick Vially, chargé d’action culturelle au sein de l’association Pick Up Production, qui organise le festival Hip OPsession.
Un concert co-interprété pour les sourds et les entendants
Radikal MC, lui, est un rappeur originaire de la banlieue parisienne qui a déjà un parcours artistique riche : « J’ai commencé la musique, je devais avoir 10 ans. J’ai pris ça au sérieux quand j’en ai eu 20 », se souvient-il. Et depuis, les projets se sont enchaînés pour le MC qui a commencé au studio le Mouvement authentique : album en 2010, projets gratuits les années suivantes et enfin un album en 2015, Lever l’encre. « Et c’est cet album-là que l’on défend », explique-t-il, avant d’ajouter : « Mon lien avec la culture sourde, c’est que mes parents le sont ». Un enfant de parents sourds, que l’on appelle aussi « coda », ou « child of deaf adult ».
Laëty Tual, artiste chansigne nantaise, quant à elle, a embrassé la culture sourde depuis son adolescence. C’est à 15 ans que le déclic se fait pour elle, avec le livre d’Emmanuelle Laborit, Le Cri de la mouette. « À partir de là, un truc dans ma tête s’est complètement ouvert. Dans ce livre, elle parle de langue et de culture. Et c’est ça qui m’a intéressé : cette notion de langue et de culture sourde », se rappelle-t-elle. La curiosité prend le pas : stages, rencontres dans les cafés sourds-entendants, c’est ainsi qu’elle fait peu à peu sienne la culture sourde. « À force de faire des fiestas avec eux, d’aller dans les bars ou dans les boîtes, j’ai eu aussi envie de leur faire partager ce qui me donnait de l’émotion dans la musique. C’est comme ça que j’ai essayé de traduire des chansons », continue-t-elle. Pour Laëty, le premier concert sera à Toulouse en 2007. C’est à partir de 2009 qu’elle s’intègre à des groupes pour chansigner. « Je suis comme un guitariste ou un batteur. Il y a le MC et il y a Laëty. On fait le concert en groupe ! », développe-t-elle avec le sourire. « Encore aujourd’hui, j’ai droit à ce genre de question : "du coup, pour un texte de rap, tu ne signes pas tout, ça va trop vite, en fait" ? » La réponse de Laëty vient du tac-au-tac. « Je travaille comme le mec qui rappe ! » Et c’est cette démarche qu’elle entreprend avec Radikal MC : une véritable co-interprétation du concert. La collaboration entre les deux artistes le temps d’un spectacle paraît naturelle.
C’est en 2011 aux Francofolies de la Rochelle qu’ils se rencontrent pour la première fois. L’un et l’autre avaient joué à quelques jours d’intervalle lors de cette édition du festival. « Ça a été une rencontre très brève, mais on s’est tout de suite compris », racontent-ils tous les deux. Et Radikal d’ajouter : « En la regardant sur scène avec le groupe Fumuj, j’ai vu ce que n’importe quel sourd aurait pu voir. J’ai vu le groupe, et je l’ai vue elle. Même si ils étaient ensemble sur scène, avec mon regard de gars imprégné par la culture sourde, je me suis dit : là elle est solo ! » Il réfléchit un instant avant de poursuivre : « Je la voyais signer et je ne comprenais pas ce qu’elle disait. Je lui ai demandé : "Mais tu signes en quelle langue ?" Elle m’a répondu qu’elle signait en langue des signes américaine. Ça m’avait heurté, parce que le concert était censé être accessible aux sourds, alors que finalement il l’était peut-être moins ! » Aujourd’hui, l’histoire les fait sourire. « Sans avoir à le dire, on le savait. Qu’un jour on se trouverait et que ce serait le bon moment, avec suffisamment de matière chacun de notre côté pour que ça marche. Et c’est ce qu’il s’est passé ». Voilà l’analyse de Radikal.
Quand moi je rappe pour les oreilles des entendants, Laëty va rapper pour les yeux des sourds
Le concept est là : ils co-interprètent l’album sur scène. Un album que Radikal a déjà présenté seul une quinzaine de fois. « Le show est en place », confirme-t-il. « Après, pour travailler ensemble, on fait avec les contraintes qui s’imposent à nous : on n’est pas dans la même ville, on ne peut pas bosser ensemble tous les jours, et il y a quand même une date qui tombe. On a fait avec nos moyens : j’ai envoyé l’album à Laëty, elle l’a interprété une première fois en travaillant sur son chansigne, elle me le renvoie, je m’en imprègne, on se rejoint pour un premier temps de résidence. », explique-t-il. Car au milieu des échanges, il a bien fallu se voir pour affiner l’interprétation. Trois temps de résidences ont eu lieu : trois jours en novembre, de même en janvier et enfin quelques jours avant le concert. « C’est vraiment une co-interprétation », insiste-il. « Si c’était juste pour l’interpréter en langue des signes, elle serait juste à côté de moi et interpréterait, bête et méchant, mot pour mot. Là, pour le sourd, regarder Laëty équivaut à recevoir la subtilité qu’il a dans les textes, les images, le sens, l’émotion, le rythme... Sur scène, on est deux. Et on est deux à la même hauteur. C’est vraiment Radikal MC et Laëty ! Quand moi je rappe pour les oreilles des entendants, Laëty va rapper pour les yeux des sourds. »
Sur la scène du Ferrailleur le 20 février, la complicité est palpable, l’énergie qui se dégage du duo est contagieuse. Radikal MC se tient tantôt sobrement derrière son micro, tantôt bouge sur scène. « À la même hauteur », il y a Laëty, dont le dynamisme électrise la scène. Et le public en redemande, participe en signant quelques mots sur les refrains. Les applaudissements se font voir et entendre. Pour cette création originale, le succès est au rendez-vous. Ce n’est que le début pour ce concert chansigné. Les deux artistes comptent bien jouer sur d’autres scènes. « J’espère faire dix dates en un an », annonce Radikal. Laëty le chambre. N’empêche qu’un concert est déjà prévu en ouverture du festival Regards d’avril, le 30 mars au NTH8 de Lyon.
« Nous sommes tous les deux liés à une même culture, pour des raisons différentes. Paradoxalement, je défends la culture sourde avec de la musique. Ce que l’on veut, c’est proposer quelque chose, montrer que c’est possible. Mon objectif perso, c’est qu’on soit capable de monter un show avec plusieurs rappeurs et plusieurs chansigneurs, dans un an ou deux. Pour moi, c’est l’objectif ultime. Si je fais ça, je peux rentrer chez moi ! Le but, c’est d’être précurseur d’un mouvement, d’une prise de conscience. Si nous pouvons être les fers de lance de ce truc-là, quitte à ce que ce soit d’autres qui le fassent après nous, mieux que nous, peu importe, je m’en fous. Ce qu’on veut, c’est apporter quelques minutes de paix à un public, sourd ou entendant. » Pour Radikal, les choses sont claires. Et Laëty de renchérir. « Pour moi, l’objectif va être de défendre le rap avec le chansigne, dans le sens où le rap est une forme d’expression qui peut être mise en scène, et peut raconter des choses qui appartiennent à la personne ou des regards de société. C’est vraiment ça que j’aimerais que les sourds puissent percevoir, pour qu’ils se sentent le droit de raconter, de nous raconter leur culture et leur réalité. » L’un et l’autre insistent, ce qu’ils veulent, c’est créer des liens entre deux cultures, au moins le temps d’un concert. « Si on avait dû avoir un nom de groupe, on se serait sans doute appelé "le pont", "la passerelle" ou "la croisée des chemins"... », confirme Radikal avec un sourire.
Faire le lien entre deux cultures. Voilà l’essentiel pour les deux artistes. C’est d’ailleurs Laëty qui avait à l’époque poussé Pick Up Production à se poser la question de l’accessibilité pour tous. « Une rencontre décisive », pour Pierrick Vially. Laëty a toujours le souvenir en tête, dix ans après. « J’étais allée aux battles de danse avec des potes sourds. Je me souviens que le speaker reflétait pleinement les valeurs du hip-hop, moi j’appréciais, mais mes potes ne pouvaient pas comprendre ces valeurs-là, alors j’ai passé mon après-midi à traduire. Après ça, je suis allée voir les gens de Pick Up, pour leur dire qu’il faudrait peut- être faire quelque chose pour le public sourd ! »
Plus tard, l’association reviendra vers elle avec cette interrogation : « On veut bien faire quelque chose, mais comment fait-on ? » De là, la politique d’accès pour tous a commencé à se dessiner petit à petit, au fil des éditions du festival nantais. Aujourd’hui, l’offre pour tous tend à être assez variée et de plus en plus complète. « Il y a des loupés et des réussites, c’est comme ça qu’on progresse », constate Pierrick Vially. L’année dernière par exemple, les écrans dédiés aux interprètes pendant les battles de danse avaient été jugés trop petits par le public sourd et malentendant. Cette année, ils ont été agrandis. « L’équipe de Hip Opsession essaie toujours de s’améliorer, et ça marche de mieux en mieux », constate Amélie Pietri, interprète LSF sur le festival Hip Opsession depuis trois ans.
Une visite interprétée pour les entendants
En plus du concert chansigné, plusieurs visites guidées de l’exposition Blue Point présentée à l’Atelier ont été menés en LSF par la médiatrice culturelle Lila Bensebaa, et interprétée pour les entendants. Une expérience originale qui bouscule les habitudes. « C’est une visite où tous les publics peuvent venir sans être scindés, il n’y a pas d’un côté les sourds, de l’autre les entendants. C’est tout l’intérêt de cette visite », souligne Lila Bensebaa. « Faire quelque chose pour tout le monde », regrouper les publics, comme elle le confirme. Cela se vérifie lors des visites.
Pour celle du 18 février, une vingtaine de personnes se sont déplacées, sourds et entendants confondus. Pour Blandine et Hélène, toutes deux entendantes, l’exposition Blue Point en LSF interprétée à l’oral, c’était une première. « C’est un autre rythme de visite, mais c’est plutôt une bonne surprise », affirment-elles. À quelques mètres, Élodie et Imane conversent en signant. Elles, clairement, cela leur a plu. « Souvent avec un interprète, c’est plus neutre. Là, l’avantage c’est que la médiatrice fait la visite en LSF. C’est plus facile et naturel pour nous ! », s’enthousiasment-elles. « C’est rare d’avoir un guide qui signe directement », déplorent-elles. Pour l’interprète de la visite, Amélie Pietri, c’est aussi un exercice linguistique qui change, un peu comme de passer de la version au thème. « Interpréter pour les entendants, c’est intéressant, on travaille dans le sens inverse », explique-t-elle.
Accès pour tous ?
« L’objectif, c’est bien sûr de rendre le festival 100% accessible à tous », annonce Pierrick Vially. Petit à petit. Cette année, la nouveauté principale, c’est le concert d’Oxmo Puccino, diffusé en audiodescription dans des casques. Sans oublier bien sûr les battles du premier week-end du festival interprétées sur grand écran, la mise à disposition de mobilier vibrant sur certains concerts...L’accès se fait de plus en plus universel pendant le festival Hip OPsession. Même s’il reste du chemin à parcourir, comme le souligne Pierrick Vially : « Il reste beaucoup de travail à faire, et on espère embarquer les autres avec nous. C’est pour la 10ème édition en 2014 que Pick Up Production sollicite les fondations sur les champs culture et handicap, pour financer son action avec la Fondation SNCF. » Pour les deux dernières éditions du festival, en 2015 et 2016, c’est la Fondation de France qui a été sollicitée. « Il y a le Crédit Agricole qui s’est engagé sur les trois ans à venir », illustre-t-il. « On essaie toujours de mobiliser d’autres partenaires, pour pouvoir proposer un maximum de choses », continue Pierrick Vially.
Ce sont les sourds qui sont force de proposition
Dans cette optique, le festival a mis en place un comité d’organisation et de préparation des événements qui composé de sourds, d’interprètes, d’entendants, et d’artistes. « On va y décider ensemble de ce qui est pertinent. On ne propose plus de choses en pensant bien faire, ce sont les sourds qui sont force de proposition », expose-t-il. Pour renforcer encore son engagement, le festival s’est inscrit auprès du collectif T’Cap, un réseau départemental d’acteurs culture sport et handicap. « Cette année, nous sommes diagnostiqués par le collectif T’Cap et Quest’handi qui évaluent nos supports de communication, la formation de nos bénévoles, ce que l’on fait sur nos événements. Cette évaluation va nous aider à construire un projet encore plus intéressant sur les années à venir », indique-t-il. Une rencontre professionnelle a également été menée le 22 février dernier sur la question de l’accès pour tous. Objectif : prendre le festival Hip Opsession pour exemple et questionner les lieux culturels et les festivals du Grand Ouest sur leurs démarches d’accessibilité, en présence de partenaires et de représentants institutionnels.
Le festival nantais Hip OPsession n’est d’ailleurs pas le seul à se poser la question de l’accès pour tous dans le paysage des événements culturels de la région Pays de la Loire. Il y a notamment le festival Au foin de la rue qui fait figure d’exemple à Saint-Denis-de-Gastines en Mayenne : il a remporté en 2014 le trophée national de l’accessibilité, catégorie « Inclusion et mixité » et a lancé l’année dernière son application « Au Foin De La Rue - Quest’Handi », qui permet une traduction des concerts du festival en LSF. Ce qui distingue le festival mayennais, c’est aussi la pluralité de son offre pour tous les publics. Les actions mises en place pendant le festival s’adressent à tous les types de handicaps : auditif, moteur, visuel, mental et psychique. Ce qui n’est pas encore le cas pour le festival Hip OPsession, qui, par le jeu des rencontres, a concentré son action pour l’accès au public sourd, mais tend à se diversifier peu à peu, avec cet objectif énoncé par le responsable d’action culturelle : un festival 100% accessible.
« On a envie de fédérer les acteurs et les lieux culturels sur ce sujet-là. En tout cas, on ne lâchera pas l’affaire », conclut Pierrick Vially. Le ton est donné pour les années suivantes.
Texte : Marie Jousseaume
Photos : Pierre Pigeault, Alice Grégoire, Marie Jousseaume
Vidéo : Alice Grégoire
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